Chers amis,

Avoir des enfants mène à toutes sortes d’activités, les unes rébarbatives (je ne vous fais pas un dessin), les autres plus récréatives (là, précisément, il est question de dessin).

Ainsi, il y a une dizaine d’années, j’ai passé un long moment à repérer précisément un grand terrain de jeux au bord de l’eau afin d’en dresser une carte.

La carte était une carte au trésor, et le trésor un butin de bonbons enfermé dans un coffre que j’avais enterré dans le sable, à un endroit marqué, comme il se doit, par une croix sur la carte.

Je préparais la principale activité de la fête d’anniversaire de mon fils aîné, qui fêtait ses quatre ans, et surtout son premier anniversaire avec une foule de copains invités :

Entre la préparation du terrain, du trésor, de la carte (que j’avais évidemment artificiellement vieillie après l’avoir dessinée), tout cela m’avait demandé pas mal de temps… mais ce n’était qu’un début : j’ai à présent trois enfants.

Et donc au moins trois anniversaires à préparer par an.

Votre vie est sans doute également jalonnée d’anniversaires à souhaiter voire à préparer : les anniversaires de vos enfants, petits-enfants, parents si vous les avez encore, amis proches.

Il y a ceux qui occasionnent une organisation digne d’une fête de famille, ceux que l’on se contente de célébrer par une simple carte et un gâteau, ceux pour lesquels un simple appel ou message suffit… et puis il y a le vôtre !

Cette importance de l’anniversaire, ce souci qu’il constitue – oublier de souhaiter son anniversaire à un proche est aujourd’hui un impair occasionnant des excuses – est pourtant un phénomène extrêmement récent.

Jusqu’à la Renaissance vous ne pouviez pas assister à votre « anniversaire »

Le concept d’anniversaire est presque aussi ancien que celui de calendrier mais jusqu’à la Renaissance, l’anniversarium était en réalité la commémoration du jour de votre mort.

Ce n’était donc pas une « fête » : c’était un jour de souvenir.

Jusqu’à fort récemment, lorsque l’on célébrait votre anniversaire… c’est donc que vous étiez déjà mort.

J’ai appris cela en lisant l’excellent travail d’un historien qui a consacré un ouvrage à L’Invention de l’anniversaire[1], retraçant étape après étape l’ancrage dans notre société d’une autre acception – et célébration – de l’anniversaire : celle du jour de la naissance.

Pour en arriver là, il a fallu deux bouleversements considérables : l’état civil et… le « rôle » social et religieux de la date de naissance.

Connaître le jour de sa naissance : un privilège des grands de ce monde

Avant une époque très récente, pour pouvoir fêter votre anniversaire (au sens moderne du terme), il fallait donc remplir deux conditions : connaître votre date de naissance, et être un grand, voire un très grand de ce monde.

On doit la première description d’un anniversaire régulièrement célébré en grande pompe à Marco Polo, dans Le Devisement du monde.

Et il ne s’agissait pas du sien, mais de celui de l’empereur de Chine Kubilai Khan, dont l’anniversaire était l’occasion de grandes réjouissances à la cour[2].

La façon dont Marco Polo en parle laisse entendre que cette façon de fêter la « natalité » de l’empereur (il ne parle pas d’anniversaire au sens moderne) détonnait franchement avec les mœurs européennes au XIIIème siècle !

De fait, au Moyen-Âge, hormis éventuellement les nobles, personne ne connaissait sa propre date de naissance… ni ne s’en souciait. La connaissance de l’âge même que l’on avait était très approximative.

Ce n’est qu’à partir du XIVème siècle, en Europe, que les nobles – et en particulier les rois – commencent à se soucier de leur date et de leur année de naissance, à la faveur du développement de l’astrologie : il ne s’agissait donc pas de fêter son anniversaire mais de faire produire ce que l’on appelle aujourd’hui un thème astral.

Car, au-delà de la difficulté à connaître sa date de naissance, sa célébration heurtait la religion.

L’anniversaire de naissance, une fête païenne !

Si vous regardez un calendrier contemporain, les noms de saints que vous voyez en face de chaque date correspondent pour l’écrasante majorité à la date de leur mort, c’est-à-dire de leur martyr.

Les trois seules exceptions à cette règle sont Jésus-Christ (à Noël) ainsi que sa mère Marie (8 septembre – vous remarquerez qu’elle est donc du signe de la vierge !) et Saint Jean-Baptiste (24 juin).

Jésus et Marie bénéficient d’un traitement différent car leur naissance symbolise l’immaculée conception, donc hors péché ; quant à Saint-Jean-Baptiste, on le célèbre en réalité deux fois, la seconde date étant celle de sa « décollation » – donc de son martyre.

Ces exceptions confirment donc la règle qui prévaut dans la religion catholique : célébrer le jour de la naissance, c’est rappeler que l’on a été conçu dans le péché.

D’où « l’interdit religieux » implicite de l’anniversaire de naissance, sous l’influence de l’Église, durant des siècles.

Et, de fait, les premiers Européens à fêter leur anniversaire de naissance ont rompu avec l’Église catholique : ce sont les Anglicans d’Angleterre et les protestants.

Et encore cela reste-t-il l’apanage des grands de ce monde : les rois d’Angleterre commencent à fêter régulièrement leur anniversaire à partir du XVIIème siècle[3].

Aujourd’hui encore la « fête nationale » d’un pays protestant comme les Pays-Bas correspond à la date d’anniversaire du roi !

La première personne non-royale et non-noble à fêter régulièrement son anniversaire avec des bougies sur un gâteau est également protestante : il s’agit de l’écrivain Goethe, qui souffla littéralement 53 bougies en 1802[4].

Son anniversaire devint par la suite une fête nationale. Mais la première mention avérée de bougies sur un gâteau pour fêter un anniversaire n’a que deux siècles !

Et il a fallu attendre encore pour que vos grands-parents soufflent leurs propres bougies.

La tradition du « Joyeux anniversaire » est toute jeune !

Le fait de fêter son anniversaire se répand doucement au XIXème siècle.

Elle est rendue possible par cette petite révolution dans la grande (Révolution) : celle de l’état civil, qui permet en théorie à tout citoyen non seulement de connaître sa date de naissance, mais de pouvoir compter le nombre d’années à célébrer !

Et elle est, donc, également rendue possible par cette emprise de moins en moins forte de l’Église catholique, qui associe la naissance au péché de chair.

Mais au XIXème siècle, la célébration de son anniversaire de naissance reste un privilège de personne sinon bien née (si j’ose dire), du moins aisée, c’est-à-dire bourgeoise.

Néanmoins, le rituel prend peu à peu sa forme actuelle : compliments, gâteau, cadeaux, bougies… et chanson.

Et justement, cette chanson entonnée à l’arrivée du gâteau, elle est elle-même très récente !

Les paroles du fameux refrain « Joyeux anniversaire », traduites de l’anglais « Happy Birthday » n’ont été écrites qu’en 1924, même si la mélodie remonte à 1893[5].

Vous le savez peut-être, il existe également une autre chanson, bien française celle-là, intitulée « Bon anniversaire ».

Voici ses paroles :

« Bon anniversaire, nos vœux les plus sincères

Que ces quelques fleurs vous apportent le bonheur

Que l’année entière vous soit douce et légère

Et que l’an fini, nous soyons tous réunis

Pour chanter en chœur « bon anniversaire” »

Bien que l’air comme les paroles soient français et occultés par la chanson traduite de l’anglais, elle est en réalité beaucoup plus récente puisqu’elle a été écrite par André Claveau pour un film en 1951[6].

Vous pouvez retrouver la version intégrale de cette jolie chanson en cliquant sur le lien en source[7].

Votre anniversaire, à la vie à la mort

La fête d’anniversaire d’aujourd’hui est donc le fruit d’un lent, mais complet virage à 180° de la « considération » pour la date de naissance de tout un chacun.

De rappel de votre honteuse conception dans le péché dont la date était d’ailleurs oubliée, l’anniversaire de naissance est peu à peu devenu une fête du temps qui passe à l’échelle individuelle.

Cette évolution se reflète même très symboliquement dans le changement de sens du mot « anniversaire », qui était autrefois la commémoration feutrée de la mort et est aujourd’hui la célébration joyeuse de la vie.

Néanmoins les dates de naissance et de mort gardent, aujourd’hui encore, un lien très étroit : d’après plusieurs études statistiques, on mourrait davantage le jour de son anniversaire !

Je me suis plongé dans les études consacrées à ce phénomène à l’occasion de l’écriture de cette lettre, et en réalité les choses ne sont pas si simples que ça.

D’après une analyse statistique menée sur les données d’état civil de deux millions de Suisses entre 1969 et 2008, nous aurions 14 % de risque en plus de mourir le jour de notre anniversaire[8].

Une étude américaine ne trouve statistiquement, elle, une hausse de mortalité le jour de son anniversaire « que » de 6,7 %[9] – mais une hausse quand même donc.

Quand on y regarde de plus près, les données nous enseignent deux choses : la première, c’est que l’on meurt plus volontiers le jour de son anniversaire si celui-ci tombe un week-end (car d’une manière générale il y a davantage de décès le week-end).

La seconde, c’est que ce risque est plus élevé si vous êtes une femme.

Cette distinction entre les sexes a été confirmée par une étude ultérieure qui, elle, analysait les données de différents personnages publics : non seulement les femmes avaient davantage « tendance » à mourir autour de leur date de leur anniversaire…

… mais les hommes, eux, montraient la tendance exactement inverse : ils s’évertuent à ne pas mourir le jour de leur anniversaire[10] !

Évidemment à ce stade personne n’a d’explication convaincante sur le pourquoi du comment de cette différence de traitement ; une seule chose est sûre : il se « passe quelque chose » de spécial le jour de votre anniversaire !

Si vous avez des témoignages à apporter sur ce sujet, n’hésitez pas à me laisser un commentaire .

Une raison de plus pour souhaiter à ceux que vous aimez, le jour de leur anniversaire, de vivre encore de longues années en bonne santé.

Et c’est ce que je me permets de faire à ma chère Anne, dont c’est aujourd’hui précisément l’anniversaire : longue et belle vie à toi, et joyeux anniversaire !

Portez-vous bien,

Rodolphe


[1] Jean-Claude Schmitt, L’Invention de l’anniversaire, éd. Arkhê, 2010

[2] J.-C. Schmitt, op. cit., p.76

[3] Ibid, p.100

[4] Ibid, p.108

[5] Ibid, p.15

[6] https://fr.wikipedia.org/wiki/Bon_Anniversaire – « Anniversaire », fiche Wikipedia

[7] https://www.youtube.com/watch?v=WFGTa-KaYCo – André Claveau, Bon anniversaire

[8] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22658822/ – Vladeta Ajdacic-Gross, Daniel Knöpfli, Karin Landolt, Michael Gostynski, Stefan T. Engelter, Philippe A. Lyrer, Felix Gutzwiller, Wulf Rössler, « Death as preference for birthdays – an analysis of death time series », in. Annals of Epidemiology, août 2012

[9] https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0277953614008120?via%3Dihub – Pablo A. Pena, « A not so happy day after all : Excess death rates on birthdays in the US », in. Social Science & Medicine, vol.126, février 2015

[10] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30262554/ – Gabrielle E. Kelly & Cecily C. Kelleher, « Happy birthday ? An observation study », in. Journal of Epidemiology and Community Health, 27 septembre 2018