Chers amis,
A l’approche de la fin du week-end, de nombreuses personnes éprouvent la « déprime du dimanche soir ».
Un petit blues, au pire une grande angoisse, les étreint à la perspective de retourner au travail ou à l’école le lundi matin. Ou de voir leur week-end se terminer. Leur gorge se serre, une sorte d’abattement leur tombe dessus, leur estomac se noue à mesure que le sablier du dimanche s’écoule.
Peut-être connaissez-vous ce sentiment si vous travaillez ou l’avez-vous connu si vous êtes retraité.
Ce phénomène serait beaucoup plus répandu qu’on ne le pense… et n’aurait pas l’explication que l’on croit a priori évidente.
La boule au ventre
D’abord un aveu : je n’avais pour ma part rien connu de tel jusqu’à très récemment.
Lorsque j’étais lycéen ou étudiant à l’université, beaucoup de mes camarades se plaignaient de la tristesse qui leur tombait dessus à la fin du week-end. Je les écoutais avec beaucoup d’intérêt, et le plus de compassion dont je pouvais faire preuve, car… c’est un sentiment qui m’était étranger.
Je ne tirais pas de gloire de cette absence de « déprime du dimanche soir » : pour moi, j’avais bien profité du week-end, l’arrivée du lundi était une chose naturelle et inscrite invariablement dans le calendrier. Le dimanche soir était un moment tranquille et chaleureux.
Au fil des années je me suis rendu que j’étais une exception !
Entre 2 et 3 actifs sur 4 connaîtraient la « phobie du lundi »
En 2008, le magazine Sciences Humaines relevait que « 52% des salariés français souffrent de troubles du sommeil dans la nuit du dimanche au lundi.[1] »
D’après une enquête internationale menée en 2015, cette proportion s’élevait à 76% chez les actifs aux États-Unis[2] et à 62% dans l’ensemble du monde.
Cette « phobie du lundi », qui entraînerait angoisse et morosité, serait un phénomène allant croissant. Chez les Américains adultes et actifs, cette proportion atteignait 80%[3] en 2018, soit 3 ans plus tard.
Cela signifie-t-il que de plus en plus de gens sont malheureux au travail ?
Eh bien… non, pas forcément.
L’angoisse de retourner au charbon ?
Je vous le dis sans détour, mais aussi sans vanterie, j’ai toujours aimé travailler.
Bien sûr j’aime aussi beaucoup me détendre : lire tranquillement au coin du feu ou au fond de mon lit, voyager et discuter avec mes amis, faire des jeux de société avec mes enfants.
Et je n’oublie pas que le mot « travail » vient du mot latin « trepalium », qui désignait un instrument de torture destiné à punir les esclaves : travailler n’a jamais été une partie de plaisir et gagner son pain a toujours coûté sang et eau !
Mais j’ai eu la grande chance de pouvoir gagner ma vie en menant des activités qui me plaisaient, et dans lesquelles je trouvais, comme on dit aujourd’hui, « du sens ».
Aussi m’y suis-je beaucoup investi, ne ménageant pas mes efforts, avec le plus souvent la satisfaction de voir mon labeur récompensé par des résultats qui les justifiaient.
J’ai conscience que, d’un certain côté, j’ai été privilégié.
Pourtant, il y a environ un an et demi, j’ai commencé moi aussi à ma grande surprise à ressentir de temps à autre cette « déprime du dimanche soir ».
Mon activité n’avait pas fondamentalement changé : je vous écrivais toujours mes lettres, j’étais toujours rédacteur en chef de la revue Alternatif Bien-Être, je concevais toujours des programmes de formation pour vous aider à prendre soin de vous autrement.
Que s’est-il passé ?
Il ne s’agit pas d’aimer ou non son travail !
En fait la déprime du dimanche soir et le burn-out sont deux échelons d’une seule et même échelle : celui de la pression et du stress professionnels.
Et, dans ce cadre, le fait d’aimer ou non son travail joue effectivement un rôle… mais pas forcément celui que l’on croit.
Le syndrome d’épuisement professionnel ou burn-out est apparu dans le vocabulaire médico-professionnel au cours des années 1970. Les victimes de ce syndrome appartenaient à une catégorie de salariés très précise : les travailleurs sociaux américains. Il s’agissait de conseillers d’éducation, d’aides bénévoles dans des cliniques, de professionnels du soin : des travailleurs tournés vers les autres, d’abord enthousiastes, puis « essorés » par leur surinvestissement affectif.
Leur épuisement compassionnel se traduit alors par de la fatigue chronique, de l’irritabilité, et pour finir parfois en une profonde dépression…
Au tournant des années 2000, le burn-out s’est étendu à quasiment tous les secteurs professionnels. De nos jours nombreux sont les médecins généralistes à établir des diagnostics de burn-out, sur des bases par ailleurs très changeantes d’un médecin à l’autre.
Mais le fond reste le même : le burn-out, comme la déprime du dimanche soir, ne sont pas des phénomènes touchant des personnes n’aimant pas leur travail…
… Mais au contraire des personnes surinvesties dans leur travail soit par passion, soit par sens du devoir, soit par conscience professionnelle. Et souvent par les trois à la fois – ce qui est particulièrement frappant chez les personnels de santé.
Le revers de la médaille du travail
Et nous vivons en effet une époque où le travail est, pour la majorité d’entre nous, moins pénible et usant qu’autrefois.
Nous vivons même une époque où il est plus facile qu’auparavant d’avoir un métier qui « fasse sens » à nos yeux.
Vous me rétorquerez à juste titre qu’il y a des centaines de contre-exemples, d’autant plus que nous sommes en pleine crise qui aggrave le taux de chômage et rend précaires de nombreux emplois.
Je suis d’accord.
Mais, globalement, nous nous en tirons mieux que nos grands-parents et leurs grands-parents avant eux, qui ne disposaient ni de congés payés, ni de RTT ; une époque où avoir un métier créatif consistait le plus souvent à vivre dans la misère ; une époque où un travail harassant parvenait à peine faire vivre une famille.
Alors, pourquoi aujourd’hui, alors que les salariés disposent malgré tout d’une plus grande sécurité de l’emploi, assiste-t-on à cette « explosion » du syndrome du dimanche soir et du burn-out ?
Moi compris ?!
Nous ne travaillons plus de la même façon
C’est le résultat de la profonde mutation de notre rapport au travail.
Dans le deuxième numéro de L’Humanologue[4], le sociologue Jean-François Dortier identifie 5 éléments majeurs qui expliquent cette montée du syndrome du dimanche soir et du burn-out :
- La montée des cadences, produit à la fois de la pression économique dans le secteur privé et des restrictions budgétaires dans le secteur public ;
- L’augmentation des normes de qualité qui rendent beaucoup plus contraignantes et complexes des activités comme la restauration ;
- L’instauration d’une « culture de l’urgence » par l’économie numérique : « l’usage du mail et du smartphone qui devait simplifier et faciliter la communication a contribué à parasiter le travail et à augmenter le stress et le sentiment d’urgence. »
- L’alourdissement des protocoles de validation, plus fastidieux : « Des infirmiers aux responsables marketing, des professeurs d’école aux responsables informatiques, toutes les activités doivent être consignées, mesurées et formatées pour faire l’objet d’une évaluation. »
- Le « piège » de l’autonomie de l’employé, qui a un coût psychologique élevé : « Naguère, le travail taylorisé entraînait ennui, abrutissement, déqualification, frustration. Aujourd’hui, le travail enrichi et autonome entraîne de nouvelles pathologies : hyperactivité, surcharge mentale, stress et culpabilisation. »
Tout cela, donc, contribue à alourdir la barque du travailleur contemporain, qui :
- A l’approche du week-end, est soulagé de pouvoir se reposer un peu… mais culpabilise de n’avoir pas réussi à mener telle ou telle tâche ;
- Et, à l’approche du dimanche soir, stresse par anticipation pour les tâches qui l’attendent, et regrette de ne pas avoir eu assez de temps pour décompresser et se relaxer !
Mais cela n’explique pas tout.
La frontière vie professionnelle/vie privée s’estompe
Mon grand-père, qui a été tour à tour boucher, cheminot, chef de bureau d’une gare de marchandise, a travaillé dur toute sa vie et était apprécié pour sa grande conscience professionnelle.
Mais son travail était son gagne-pain : il avait six enfants à nourrir et, une fois le rideau de la boucherie baissé ou la porte de son bureau à la SNCF fermée, il ne ramenait pas de travail à la maison.
Il est décédé il y a plus de quinze ans et je ne lui ai jamais demandé s’il avait souffert de burn-out ou du syndrome du dimanche soir… Mais je suis convaincu que non.
Quand il était las de son métier, il en changeait.
Si son employeur ne lui convenait plus, il démissionnait.
Le rapport plus individualiste et « passionnel » à l’emploi, mais aussi la numérisation du travail, ont rendu beaucoup plus floue la frontière entre vie privée et vie professionnelle.
Le télétravail qui s’est beaucoup développé à la faveur de la crise sanitaire a aggravé ce flou.
Combien de maisons et d’appartements sont à la fois devenus un bureau, une école, une crèche et une salle de restaurant voire une salle de sport durant le confinement ?
A la « journée de travail » proprement dite s’ajoute, et même se superpose, une autre : celle des tâches domestiques. Ce sont les devoirs des enfants à faire le soir ; le repas à préparer ; le week-end qui débute non par un jour de repos, mais par une demi-journée ou une journée de ménage, ne laissant plus que le dimanche pour souffler…
Telles sont les causes contemporaines du burn-out et de son tout premier « signal d’alarme », le syndrome du dimanche soir.
Il existe cependant des solutions simples pour contrecarrer cette « phobie du lundi » et, à mon sens, contribuer à éloigner la menace du burn-out.
Trois conseils pour ne plus déprimer le dimanche soir
1 – Faites du dimanche soir un moment positif et important
A mes yeux, la meilleure façon de conjurer le spectre du dimanche soir, c’est tout d’abord de le transformer en un moment hautement désirable.
Autrement dit : ne plus voir le dimanche soir comme la fin du week-end, mais comme son apothéose.
Ne plus le voir, non plus, comme le début de la semaine qui arrive, mais comme un but à part entière, un événement à préparer et célébrer.
C’est en réalité un moment de choix pour organiser un bon repas, choisir d’aller au cinéma (quand ils rouvriront), établir un rituel avec celles et ceux qui vous sont chers.
Cela vous permettra non seulement de ne plus redouter le dimanche soir mais au contraire de l’attendre avec le sourire ; cela vous épargnera également la longue chute du moral dans les chaussettes du dimanche après-midi.
2 – Auto-disciplinez-vous… même pour le repos !
Ensuite, je sais que cela fait un peu vieux-jeu, mais cultivez l’autodiscipline afin de trouver un bon équilibre entre travail, tâches domestiques et détente.
Identifiez clairement, sur un carnet, les tâches qui vous attendent aussi bien au travail qu’à la maison, ainsi que le temps qu’il vous faut pour les accomplir. Cela vous aidera à mieux être focalisé sur chaque tâche le moment venu et à ne pas paniquer face à tout ce qui vous attend.
Vous pouvez faire cela, par exemple, le vendredi soir, non seulement pour préparer votre semaine à venir mais aussi pour dégager votre esprit pour le week-end.
Cela a un autre but : vous imposer des moments de vraie déconnexion, où vous vous autorisez à faire ce qui vous plaît, sans culpabiliser de ce que vous n’avez pas réussi à faire, ni songer à ce qui vous attend.
3 – Bonne année, et bonne semaine !
Enfin, cela est plus facile à dire qu’à faire, mais faites du lundi une journée attractive, même au travail.
Si vous le pouvez, appropriez-vous votre espace de travail, de façon à vous y sentir à l’aise, et à le retrouver avec plaisir.
La réponse « Comme un lundi » à la question « Comment ça va ? » est amusante, mais dénote une complaisance facile.
Or, le premier jour de la semaine c’est comme la nouvelle année : c’est une page blanche qui ressemblera à ce que vous écrirez ou dessinerez dessus !
Amies et amis qui travaillez, amies et amis qui êtes retraités, je vous invite à témoigner à votre tour de votre éventuelle « déprime du dimanche soir », et surtout à partager vos solutions passées ou présente pour y remédier, en commentaire ci-dessous !
Portez-vous bien !
Rodolphe
[1] Dortier, J.-F. (2008). Le blues du dimanche soir. Sciences humaines, Les Grands Dossier 12. https://www.scienceshumaines.com/le-blues-du-dimanche-soir_fr_22699.html#articlePayantAchat
[2] Cision, PR Newswire (2015). Red, White and Mostly Blue: Monster Data Shows that the US Continues to Suffer the Most from Sunday Night Blues. https://www.prnewswire.com/news-releases/red-white-and-mostly-blue-monster-data-shows-that-the-us-continues-to-suffer-the-most-from-sunday-night-blues-300092235.html
[3] Heitmann, B. (2018). Your Guide to Winning @Work : Decoding the Sunday Scaries. Official Blog, Linkedin. https://blog.linkedin.com/2018/september/28/your-guide-to-winning-work-decoding-the-sunday-scaries
[4] L’Humanologue n°2, décembre 2020-février 2021, pp.12125-128
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En soumettant mon commentaire, je reconnais avoir connaissance du fait que Total Santé SA pourra l’utiliser à des fins commerciales et l’accepte expressément.
« La déprime du dimanche soir », je la connais depuis mes années collèges.
Ce n’était pas pour moi un genre de « burn-out » (mais peut-être déjà une fragilité puisqu’en arrêt pour dépression et burn-out depuis un an accompagné d’insomnie chronique, mais plus de « déprime du dimanche soir » depuis).
Pour moi, c’était l’angoisse de ne pas avoir bien préparé mon cartable ou d’avoir oublié de faire un devoir.
Mes parents m’envoyaient au lit à 20h30, au moment ou le générique du film du dimanche soir sur TF1 résonnait et c’était pour moi le signal du début de l’angoisse, alors que quelques heures avant nous étions en famille à regarder « les animaux de monde » et heureux de partager un plateau repas devant la télé.
Malheureusement, pour moi, ces rituels ont renforcé ce sentiment de mal-être qui s’est amplifié tout au long de ma vie et surtout depuis une dizaine d’année lors des retours de vacances.
Mon burn-out, d’après mon analyse , viendrait surtout de mon investissement dans le travail, renforcé par un besoin de reconnaissance qui n’est jamais venu.
Sans vouloir vous raconter ma vie, j’ai aussi développé une pathologie cardiaque suite a un divorce douloureux avec depuis des récidives et des crises d’angoisses à chaque pic de stress et retours de vacances, m’amenant à envisager d’appeler le 15 pour symptômes cardiaques.
Alors oui, « la déprime du dimanche soir » est dangereuse et insidieuse : s’en faire une raison, c’est faire comme la grenouille qui finit ébouillantée.
C’est le début d’un cercle vicieux dans lequel je me suis piégé : crises angoisses puis cardiopathie puis dépression, burn-out et insomnie.
Je pense que notre vie sociale nous mène vers ces soucis de santé en nous poussant vers l’excellence : toujours plus, toujours mieux (tu peux mieux faire, allez fait un effort …) alors que l’on se sent déjà au maximum, mais pour ne pas décevoir nos parents puis nos profs puis nos collègues et employeurs, on se met en danger en se mettant en sur-régime !
Ca m’arrivait tout le temps quand j’étais en activité professionnelle (ex cadre supérieur). Surtout l’hiver quand la nuit du dimanche survenait à six heures du soir. Je n’ai jamais réussi à cette époque à trouver une parade.
Bonjour, mon mari et moi sommes retraités depuis 7 ans et ressentons pourtant toujours le syndrome du dimanche soir. Je compare cela à quelqu’un qui s’est fait amputer le bras et ressent de la douleur dans ce bras qui n’existe plus! Peut-être est-ce aussi parce que nous continuons à découper la semaine en jours de semaine et week-ends… Nous n’avons pas le choix car plusieurs commerces n’ouvrent qu’en semaine et certains restaurants que les week-ends (surtout depuis la pandémie). Quoi qu’il en soit, j’espère que la phobie du lundi cessera un jour! (-:
Depuis toute petite, j’ai eu le blues du dimanche soir. Puis cela s’est amplifié au travail, le spleen venait déjà le dimanche matin… Mes sœurs se moquaient de moi. Mon travail me plaisait, mais ce qui me pesait, c’était la pression des supérieurs hiérarchiques. Faire consciencieusement mon travail d’employée de bureau ne leur suffisait pas, il fallait toujours inventer de nouveaux objectifs. J’ai donc été stressée pendant toute ma vie professionnelle. Je n’ai jamais compris pourquoi la plupart des chefs adorent terroriser les salariés. Ils veulent sans doute prouver leur supériorité sociale…. C’est lamentable.
Lettre qui doit dater du confinement….. On parle de la réouverture des cinémas…..
Je ne lire plus ce reçu, je veut arrêter. Richard Beswick. Please ne m’envoyer plus, alternatif
bien être.