Chers amis,

Pour la quatrième année consécutive, vous avez probablement entendu à la radio, dans la presse ou à la télé, divers appels à vous abstenir de boire de l’alcool durant tout le mois de janvier.

Il s’agit d’une opération britannique baptisée « Dry January », ce qui signifie « janvier sec », conçue par une association antialcoolique et importée en France l’an dernier.

L’alcoolisme est un fléau et la démarche est, sans doute, animée de bonnes intentions.

Une initiative au mieux maladroite, au pire contre-productive.

Se priver d’alcool durant tout un mois pour « réfléchir à sa dépendance à l’alcool » a pourtant tout d’une fausse bonne idée.

De deux choses l’une : 

Soit vous êtes un adulte conscient de sa consommation d’alcool, un buveur « occasionnel », et en boire ou ne pas en boire durant tout un mois ne changera pas grand chose.

Vous éprouverez peut-être la satisfaction d’avoir été « sobre » quatre semaines, mais il y a peu de chance que cela modifie en profondeur votre rapport à l’alcool le reste de l’année.

Soit vous souffrez effectivement d’une dépendance à l’alcool, et ce « mois sobre » va être pour vous une épreuve que vous allez vous infliger.

Dans ces cas-là, réussir à « tenir » vous demandera un effort à la hauteur de votre dépendance… mais le risque de rechute risque d’être tout aussi grand.

Un sevrage ne s’improvise pas

Le sevrage d’une dépendance, même légère, quelle qu’elle soit – au tabac, au sucre, à l’alcool – n’est pas une démarche anodine et il est important d’être accompagné par un professionnel de santé, en l’occurrence un naturopathe ou un addictologue.

En réalité, c’est la réussite de ce sevrage qui garantit la pérennité de la sortie de la dépendance.

Dans le domaine de la santé, sauf évidemment lorsque le pronostic vital est engagé, tout arrêt d’une substance, qu’il s’agisse de médicament ou même de nourriture dans le cas du jeûne, doit être graduée et accompagnée.

Se lancer dans cette aventure du jour au lendemain est triplement périlleux :

  • L’arrêt brutal d’une substance addictive peut entraîner des troubles physiques et psychologiques importants: anxiété, dépression, fatigue, nausées, etc.
  • La fin du mois a toutes les chances de sonner comme une libération, et de laisser par contre-coup libre cours à une consommation encore plus importante, comme un enfant privé de bonbon qui « compense » de façon déraisonnable quand il en trouve ;
  • La culpabilité que l’on peut éprouver en ne réussissant pas à aller au bout de ce mois ou bien en rechutant accroît le mal-être et rend plus difficile encore une vraie démarche de sevrage.

Détoxifier le foie, vraiment ?!

Une autre raison avancée pour ce mois de janvier sans alcool, c’est : « détoxifiez votre foie après les excès des fêtes ».

Alors là, j’en reste comme deux ronds de flan.

Pour « détoxifier » un organe, il ne suffit pas de cesser de consommer une certaine catégorie d’aliment, tout patient averti sait cela.

C’est une démarche active, qui passe par une cure spécifique : je vous en parlais il y a un moment déjà dans cette lettre[1].

C’est l’alcoolisme l’ennemi, pas l’alcool

En ciblant ainsi l’alcool, ce « défi de janvier » se trompe de cible, j’en suis convaincu. Et deux fois plutôt qu’une.

Il y a d’abord une question de culture.

Que l’opération ait une origine britannique est compréhensible : ce pays a malheureusement une tradition de la « cuite » (ou « binge drinking ») fermement ancrée.

Un article de la revue médicale suisse révèle le chiffre ahurissant qu’un jeune homme sur deux et une jeune femme sur trois sont ivres-morts au moins deux fois par mois au Royaume-Uni[2].

A l’inverse, la France et d’autres pays comme la Grèce ou l’Islande ont les chiffres les plus faibles d’Europe.

De fait, si notre pays dispose d’une forte tradition culinaire comprenant l’alcool, il s’agit d’abord d’une tradition socio-culturelle et gastronomique liée au vin, dont la consommation est plus douce et régulière.

Autrement dit, le « Dry January » peut être défendu dans un pays où la beuverie est endémique, mais me paraît impertinent dans une société où la consommation d’alcool est traditionnellement mieux maîtrisée.

Il y a autre chose : je ne peux m’empêcher de penser que cette incitation à se priver radicalement d’alcool durant un mois a un côté très « père la rigueur » typiquement britannique.

Mener au mois de janvier cette campagne de propagande en faveur de la privation forcée a en outre quelque chose d’un peu masochiste : le mois de janvier n’est déjà pas le mois le plus folichon de l’année, et, en cette période de confinement et restrictions tous azimuts, les sources de réconfort ne sont pas légion.

Il s’agit d’une initiative simpliste, basée sur une vision manichéenne de l’alcool : boire, c’est mal ; ne pas boire, c’est bien.

Vilipender ainsi l’alcool pour prétendument combattre l’alcoolisme consiste donc ni plus ni moins à jeter le bébé avec l’eau du bain.

Car, c’est probablement cela le pire et le plus hypocrite dans ce « janvier sans alcool » : si l’alcoolisme est un fléau et l’abus d’alcool dangereux pour la santé, une consommation modérée d’alcool… peut au contraire avoir des bienfaits

Pour la longévité et contre le déclin cognitif

Une consommation modérée d’alcool, et en particulier de vin rouge, est associée à une meilleure longévité en bonne santé et à un recul du déclin cognitif.

Ce n’est pas un scoop.

Le vin rouge fait partie intégrante du régime crétois, connu depuis plusieurs décennies pour ses bienfaits santé.

Des études scientifiques qui concluent aux vertus santé d’une consommation douce et régulière de vin rouge sont régulièrement publiées, comme celle sortie en novembre dernier dans le Journal of Alzheimer’s disease, et qui révèle que le vin rouge contribuerait à protéger d’Alzheimer[3].

Mais, à mes yeux, le travail le plus important qui a consacré le vin rouge comme une boisson santé anti-âge sont ceux menées par les chercheurs s’intéressant aux zones bleues, ces zones du monde où l’on vit plus longtemps en bonne santé qu’ailleurs sur la planète, notamment le démographe belge Michel Poulain et le journaliste américain Dan Buettner.

Leurs travaux, appuyés sur ceux d’autres scientifiques encore, ont permis de démontrer que, hormis dans l’archipel d’Okinawa où la culture du vin n’est pas ancrée, la consommation quotidienne d’un verre de vin rouge jouait un rôle capital dans la longévité exceptionnelle des habitants des quatre autres zones bleues identifiées – la péninsule de Nicoya au Costa Rica, la région montagneuse de Nuoro en Sardaigne, l’île d’Ikaria en Grèce et la communauté adventiste de Loma Linda aux États-Unis.

A tel point que cette consommation régulière de vin rouge fait partie des neuf conseils pratiques donnés par ces chercheurs pour appliquer chez soi les « leçons de santé » des centenaires des zones bleues[4].

Je reviendrai plus en détail sur les bienfaits du vin rouge et la meilleure façon d’en profiter dans une prochaine lettre.

Avant cela, j’aimerais vous expliquer un autre bienfait, méconnu mais réel et important, à prendre un verre d’alcool de temps en temps – et il ne s’agit pas que de vin rouge.

Savez-vous comment votre cerveau se débarrasse de ses toxines ?

Notre cerveau est très actif, et consomme à lui seul environ 20 % de l’énergie de l’organisme pour accomplir ses multiples fonctions… alors qu’il ne représente que 2 % du poids de notre corps.

Il génère par conséquent un grand nombre de composés, toxiques pour certains, qui doivent être éliminés. En une année, notre cerveau évacue à peu près l’équivalent de son poids, soit 1,3 kg de détritus[5] !

La façon dont il s’y prend pour « vidanger » ces déchets est longtemps restée un mystère, d’autant que le cerveau est entouré d’une enveloppe protectrice qui l’isole partiellement du reste de l’organisme…

… Jusqu’à ce que des chercheurs « découvrent » en 2012 son système de nettoyage autonome : le système glymphatique[6]. Je vais essayer de vous décrire son fonctionnement le plus simplement possible. 

Le système glymphatique est un réseau complexe de canalisations formées par des cellules particulières du cerveau, les astrocytes.

En forme d’étoile, ces cellules possèdent de longs prolongements, qui s’évasent à proximité des vaisseaux sanguins, formant des sortes de « pieds ».

Le liquide cérébro-spinal, qui a suivi le trajet d’une artère pour pénétrer profondément dans le cerveau, est propulsé par les battements du vaisseau sanguin et s’engouffre dans ce réseau étoilé en empruntant de petits canaux à eau, appelés aquaporines.

En se mélangeant avec le liquide interstitiel, présent entre les neurones, le liquide cérébro-spinal est alors débarrassé de l’ensemble des déchets accumulés par l’activité des cellules nerveuses, avant d’être déversé hors du cerveau pour être éliminé par le foie et les reins.

Un vrai système d’évacuation des eaux usées !

Que vient faire l’alcool là-dedans ? Vous allez voir.

L’alcool améliore la fonction « auto-nettoyage » du cerveau !

Par la suite, des chercheurs ont découverts que les personnes souffrant d’Alzheimer avaient un système glymphatique moins performant. En d’autres termes : les égouts de leur cerveau sont en partie obstrués.

On a, depuis, commencé à comprendre ce qui aide ce système d’évacuation à bien fonctionner… ou l’en empêche.

D’abord : le sommeil. Cette vidange se fait pour l’essentiel lorsque nous dormons[7].

Ensuite : l’âge. En vieillissant,comme beaucoup d’autres fonctions vitales, la fonction nettoyage du cerveau s’altère avec les années. Mais, comme pour tout autre phénomène lié au vieillissement, il est possible de maintenir en forme cette fonction.

Et c’est là, enfin, qu’intervient l’alcool.

Une consommation modérée d’alcool serait, avec l’exercice et le jeûne intermittent, la meilleure façon de garder le système glymphatique performant.

C’est la conclusion d’une étude menée en 2018[8] : pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs ont administré des doses différentes d’alcool à des souris : élevées pour un premier groupe, modérées pour un second (équivalentes à deux verres et demi par jour pour un homme) et nulles pour un troisième.

Ils ont constaté une amélioration de la fonction glymphatique chez les animaux consommant des doses modérées d’alcool par rapport aux animaux restés sobres.

Et si les souris du premier groupe, fortement alcoolisées, subissaient une forte inflammation au niveau des astrocytes et enregistraient une baisse de leurs performances intellectuelles et motrices, les animaux du second groupe en étaient épargnés.

Cette étude confirme donc que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé, mais aussi qu’une consommation modérée d’alcool est préférable, du point de la santé du cerveau, à pas d’alcool du tout.  

Ce qui rejoint exactement les conclusions et recommandations des chercheurs des zones bleues : la consommation modérée d’alcool, à raison d’un ou deux verres par jour, est bel et bien un facteur de longévité et de protection des maladies neurodégénératives.

Et donc, en ce mois de janvier, inutile de vous priver par sens du sacrifice : un bon verre de temps en temps est bien préférable à une sobriété dogmatique !

Portez-vous bien, et trinquons à notre santé !

Rodolphe


[1] R. Bacquet (2019). Un super organe au talon d’Achille. Alternatif-bien-être. https://alternatif-bien-etre.com/alimentation/detox/un-super-organe-au-talon-dachille/

[2] Nau, J-Y (2005). L’Angleterre, ses pubs, son « binge drinking ». Rev Med Suisse, 1. https://www.revmed.ch/RMS/2005/RMS-46/1976#:~:text=Mais%20en%20Grande%2DBretagne%20d,moins%20deux%20fois%20par%20mois

[3] Klinedinst, B. S., Le, S. T., Larsen, B. (2020) et al. ‘Genetic Factors of Alzheimer’s Disease Modulate How Diet Is Associated with Long-Term Cognitive Trajectories: A UK Biobank Study’ : 1245 – 1257. https://content.iospress.com/articles/journal-of-alzheimers-disease/jad201058

[4] The Blue Zones, Dan Buettner, National Geographic, Washington D.C., 2nd edition, 2012, pp.279-281

[5] Nedergaard, M. & Goldman, S. A. (2016). Brain Drain. Sci Am., 314(3) : pp.44–49.

[6] Iliff, J. J., Wang, M., Liao, Y. et al. (2012). A Paravascular Pathway Facilitates CSF Flow Through the Brain Parenchyma and the Clearance of Interstitial Solutes, Including Amyloid β. Sci Transl Med, 4(147) : 147ra111. DOI : 10.1126/scitranslmed.3003748

[7] Xie, L., Kang, H., Xu, Q. et al. (2013). Sleep Drives Metabolite Clearance from the Adult Brain. Science, 342 (6156): 373. DOI: 10.1126/science.1241224

[8] Lundgaard, I., Wang, W., Eberhardt, A. et al. (2018). Beneficial effects of low alcohol exposure, but adverse effects of high alcohol intake on glymphatic function. Sci Rep. 8(1) : 2246. DOI: 10.1038/s41598-018-20424-y