Chers amis,

La plupart des maladies qui alimentent aujourd’hui les craintes des patients, et remplissent les caisses de l’industrie pharmaceutique, semblent avoir connu une augmentation constante de cas ces dernières décennies – en tout cas dans les pays développés.

On en appelle certaines, pour cette raison, « maladies de civilisation », et personne ne semble s’émouvoir du fait que la médecine allopathique, qui rappelle à tout bout de champ qu’elle a fait des progrès considérables depuis un siècle… ne parvient pas à endiguer la progression de ces maladies qu’elle prétend mieux combattre !

Ainsi la « lutte contre le cancer », que ce soit en amont (le dépistage) ou en aval (le traitement) n’empêche pas la prolifération presque incontrôlable de certains cancers (dont celui du sein), et de plus en plus tôt, comme les dernières et sinistres statistiques sur l’augmentation des diagnostics avant 50 ans le montrent[1].

La plupart de ces maladies en constante progression dans nos pays ont pour facteur de risque l’âge, comme l’hypertension, l’ostéoporose et Alzheimer.

Quand on y regarde de plus près, il y a trois raisons très différentes à cette progression dans nos pays :

  • Le vieillissement global de la population, qui augmente de facto leur incidence possible ;
  • La dégradation de nos conditions et notre hygiène de vie, notamment aux niveaux alimentaire et environnemental ;
  • Les normes et la définition même de ces maladies.

Le poids de cette troisième raison est le plus sous-estimé de tous.

Tout bien-portant est un malade qui s’ignore

Vous connaissez sans doute cette sentence de la pièce Knock ou le triomphe de la médecine : « Tout bien-portant est un malade qui s’ignore ».

L’œuvre de Jules Romains a 100 ans cette année, et il n’est pas exagéré de dire qu’elle était à de nombreux égards prophétique.

Comment transformer un bien-portant en malade ?

En lui prouvant par A + B que sa santé, sur tel ou tel plan, n’est pas normale.

N’est pas normal ce qui, par définition, n’est plus dans les normes.

Or il n’est rien de plus facile que de les changer, ces normes ! Une mesure considérée comme « normale » à un certain moment, ne l’est plus un an plus tard !

Un cas très concret : l’hypertension.

« Il y a un demi-siècle, l’hypertension artérielle commençait à 16 pour la systolique (pression haute pendant la contraction du cœur, le premier chiffre, et aussi le plus connu) et à 10 pour la diastolique (pression basse pendant le repos du cœur, le deuxième chiffre). On avait aussi coutume de considérer l’âge : la systolique était trop forte si elle dépassait 10 + le chiffre des dizaines (14 à 40 ans, 16 à 60 ans…). (…) Puis, un consensus international validé par l’OMS a décrété que l’hypertension artérielle commençait à 14/9, tous âges confondus. La vieillesse n’avait plus de particularité clinique », rappelle le médecin Luc Perino[2].

Par le simple abaissement des normes de mesures, le nombre d’hypertendus, qui avoisinait les 9% dans la population mondiale, devrait atteindre en 2025 les 30 %[3] !

Du moins, telles étaient les prévisions d’une étude de 2005… que les derniers chiffres (de 2021) de l’OMS tendent à confirmer : on compterait, d’après l’Organisation, 1,26 milliards d’hypertendus dans le monde, soit le double d’il y a trente ans[4].

La santé de tous ces « nouveaux hypertendus » est-elle vraiment menacée ? Il ne m’appartient pas de répondre à cette question, mais il est important de la poser.

D’autant plus qu’on retrouve le même changement de définition pour d’autres maladies ou syndromes.

Alzheimer ou démence sénile ?

On ne présente plus la maladie d’Alzheimer… alors qu’on le devrait !

Aussi surprenant que celui puisse paraître, la maladie d’Alzheimer n’est pas, au départ, une maladie liée à l’âge, c’est même l’inverse : le première patiente diagnostiquée par le Dr Aloïs Alzheimer n’était âgée que de 50 ans[5].

Cette information est capitale car elle permet de comprendre le « tour de passe-passe » auquel s’est livré la médecine dans la seconde moitié du XXe siècle.

Durant un demi-siècle, la maladie d’Alzheimer est restée rare, très rare, même, avant de connaître un bond spectaculaire à partir des années 1960/1970.

Que s’est-il passé ? Les neurones de millions de personnes se sont-ils brusquement auto-détruits, plongeant leurs propriétaires dans une démence précoce ?

Évidemment pas.

Ce qui s’est produit, c’est la substitution entre deux termes : celui de « démence sénile » d’une part, et celui de la maladie d’Alzheimer, de l’autre.

La démence sénile, provoquant notamment une perte de la mémoire, est un phénomène connu de la médecine depuis longtemps ; le vieillissement de la population en augmente mécaniquement l’incidence. Pourtant, vous n’en entendez presque plus jamais parler.

À la place, vous entendez parler d’Alzheimer.

La « démence sénile », cela paraît presque normal : un effet malheureux mais naturel de la vieillesse ; quand la médecine a décidé de lui substituer, pour des raisons symptomatiques d’ailleurs défendables, le terme d’Alzheimer, cela a immédiatement activé un « effet peur » bien plus important.

Tout à coup, le microscope et l’imagerie cérébrale ont permis d’identifier des fibrilles dans les neurones et des plaques dans le cortex, là où jusqu’alors on ne voyait qu’une personne oubliant des noms et agissant de manière incohérente.

Mais cette substitution est problématique, car la maladie d’Alzheimer, telle qu’Aloïs Alzheimer l’a identifiée pour la première fois, désigne je vous le disais une atteinte précoce et irréversible du tissu cérébral.

Or, aujourd’hui, plus de 95% des patients diagnostiqués ont plus de 65 ans[6]. 65 ans, cela reste tôt, mais l’immense majorité des malades souffrant d’un Alzheimer avancé sont beaucoup plus âgés.

Le plus ironique c’est que, désormais, pour parler d’un patient diagnostiqué avant 65 ans d’un Alzheimer, on parle d’« Alzheimer précoce » !… alors que la maladie détectée par le Dr Alzheimer désignait justement au départ une démence rare, survenant avant la vieillesse !

Mais Alzheimer n’est pas la seule maladie liée à l’âge qui a connu un bond diagnostic depuis son changement de définition.

Ostéoporose ou ostéopénie ?

La perte de densité osseuse est un phénomène naturel lié à la sénescence.

Tout comme en vieillissant des rides apparaissent sur notre visage et nos cheveux blanchissent ou tombent, nos os sont de plus en plus fragiles.

Ce phénomène de vieillissement porte un nom : l’ostéopénie.

C’est un phénomène physiologique parfaitement naturel.

Néanmoins, on assiste ces dernières années à un « glissement » de plus en plus marqué : l’ostéopénie est facilement présentée, aujourd’hui, comme un stade précoce d’ostéoporose.

Or si l’ostéoporose est une maladie, l’ostéopénie n’en est pas une.

Il y a dix ans, un article scientifique du British Medical Journal attaquait courageusement les raisons identifiées de ce glissement sémantique : la prescription, plus tôt et à une plus large « clientèle » (des femmes ménopausées depuis, notamment), de médicaments anti-ostéoporose[7].

Les auteurs de cet article pointaient du doigt la confusion coupable entre prévention et merchandising de médicaments qu’implique cette dérive médicale – celle qui superpose le constat d’un phénomène normal du vieillissement (l’ostéopénie non pathologique) à l’épouvantail brandi d’une maladie plus inquiétante (l’ostéoporose pathologique).

Pour le dire autrement, « l’épidémie » d’ostéoporose à laquelle on assiste depuis quelques années est en partie le fruit de la multiplication d’examens « préventifs » d’ostéodensitométrie, et du marketing des fabricants de médicaments anti-ostéoporose visant à élargir leur consommation au-delà des seuls patients souffrant de la maladie !

On retrouve, en réalité, exactement le même phénomène avec l’hypertension et Alzheimer.

La modification des normes et des définitions médicales ne profite pas aux patients, mais aux compagnies pharmaceutiques

L’impact de la modification de ces normes, de ces mesures et de ces définitions dans le domaine médical sur la santé du patient est très discutable.

Concernant Alzheimer et l’ostéoporose, l’annonce et la seule évocation du nom de la pathologie, provoque sinon un choc, du moins une angoisse accrue du fait de l’imaginaire accompagnant aujourd’hui ces deux maladies.

Il est en revanche indiscutable que les compagnies pharmaceutiques sont les grandes gagnantes de ce phénomène aujourd’hui parfaitement entré dans les mœurs médicales.

L’abaissement des normes de définition de l’hypertension a profité de manière spectaculaire aux fabricants et vendeurs de médicaments anti-hypertenseurs qui ont connu, entre 1980 et 2010, un chiffre d’affaires progressant en moyenne de 5,2% par an (soit une multiplication par 5 en 30 ans !), pour représenter 2 milliards d’euros en 2010 uniquement en France [8] !

Concernant Alzheimer, la situation est plus cynique encore : aucun médicament n’a, jusqu’à présent, fait la preuve de son efficacité dans le traitement de cette maladie.

Cet échec thérapeutique vient en partie du fait que tous les traitements mis au point ciblent les plaques bêta-amyloïdes se formant dans le cerveau du malade diagnostiqué d’Alzheimer : or on ne sait toujours pas si ces plaques sont la cause ou la conséquence de la maladie !

Pire, l’an dernier, des soupçons de fraude ont remis en cause la « théorie amyloïde »… rendant du même coup encore plus douteux les traitements expérimentaux ciblant ces plaques[9].

Ces nouvelles sont mauvaises pour la recherche médicale, encore plus mauvaises pour les patients, mais n’entament pas le succès économique des laboratoires mettant au point de nouveaux traitements contre Alzheimer.

Ces traitements attaquent les fameuses plaques amyloïdes, avec un certain succès semble-t-il, mais sans améliorer la condition des patients ! En réalité tous les médicaments existants actuellement ont un rapport bénéfices/risques négatif.

Ironiquement, qu’il s’agisse d’hypertension, d’ostéoporose ou d’Alzheimer, seules des approches globales, combinant des mesures nutritionnelles, hygiéniques et (dans le cas d’Alzheimer) cognitives et comportementales, ont jusqu’ici prouvé leur utilité préventive et même leur capacité d’inversion.

Hélas, ces approches ne rapportent pas un rond à l’industrie pharmaceutique, qui en attendant pousse à fond sa marchandise, en prétendant qu’elle est la seule voie possible.

Portez-vous bien,

Rodolphe

[1] Margot Montpezat, « Cancer: pourquoi sont-ils de plus en plus fréquents chez les jeunes ? », Pourquoi Docteur, 8 septembre 2022, https://www.pourquoidocteur.fr/Articles/Question-d-actu/40565-Cancer-sont-ils-plus-frequents-jeunes

[2] Luc Perino, « Comment l’hypertension est devenue épidémique », Pour raisons de santé, Blog du Monde, 27 février 2013, https://www.lemonde.fr/blog/expertiseclinique/2013/02/27/saga-hypertension/#more-66

[3] Kearney, Patricia M et al. “Global burden of hypertension: analysis of worldwide data.”, The Lancet, doi:10.1016/S0140-6736(05)17741-1 https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/15652604/

[4] « Plus de 700 millions de personnes hypertendues ne sont pas traitées », communiqué de l’OMS, 25 août 2021, https://www.who.int/fr/news/item/25-08-2021-more-than-700-million-people-with-untreated-hypertension

[5]Graeber, M B, and P Mehraein. “Reanalysis of the first case of Alzheimer’s disease.” European archives of psychiatry and clinical neuroscience, 1999, doi:10.1007/pl00014167 https://link.springer.com/article/10.1007/PL00014167

[6] Mendez, Mario F. “Early-onset Alzheimer’s disease: nonamnestic subtypes and type 2 AD.” Archives of medical research, doi:10.1016/j.arcmed.2012.11.009, https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0188440912003372?via%3Dihub

[7] Alonso-Coello P, García-Franco AL, Guyatt G, Moynihan R, « Drugs for pre-osteoporosis: prevention or disease mongering? », BMJ. 2008 Jan 19;336(7636):126-9. doi: 10.1136/bmj.39435.656250.AD. PMID: 18202066; PMCID: PMC2206291. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2206291/

[8] Khamsing, Willy Thao, et Blandine Juillard-Condat. « Comparaison des ventes de médicaments antihypertenseurs dans cinq pays européens en 2009 », Revue française des affaires sociales, no. 3, 2013, pp. 88-107, https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2013-3-page-88.htm

[9] Yvan Pandelé, « Des soupçons de fraude jettent le doute sur 20 ans de recherches Alzheimer », Heidi News, 22 juillet 2022, https://www.heidi.news/sciences/des-soupcons-de-fraude-jettent-le-doute-sur-20-ans-de-recherches-alzheimer https://www.heidi.news/sciences/des-soupcons-de-fraude-jettent-le-doute-sur-20-ans-de-recherches-alzheimer