Vous émerveiller devant le ciel agit sur votre cerveau

Chers amis,

À quoi pensez-vous lorsque vous regardez les nuages ? Vous arrive-t-il encore de les contempler avec vos yeux d’enfant ?

Pour ma part j’adore y chercher des « paréidolies ».

Je sais, ça fait snob, ce mot !

Ça qualifie la tendance naturelle de l’esprit à reconnaître des choses familières dans des formes indéterminées :

  • le profil d’un visage dans un rocher
  • un sourire dans une plaque d’égouts, une boîte aux lettres ou une prise murale
  • une tête de chien ou de lapin dans un nuage…
  • …ou même le supposé visage de Jésus sur un toast grillé (vendu 30 000 dollars aux enchères[1]!)

Chaque fois que j’ai le temps – que je prends le temps – de contempler un nuage, j’admire son évolution au rythme lent du vent et du temps, et j’attends d’y reconnaître une « paréidolie » animalière.

Ce sont mes préférées, une manière très facile d’exercer son imagination et parfois de rire seul. 

Voyez ce nuage par exemple :


Qu’y voyez-vous ? Certains un sous-marin… pour ma part j’y vois un cachalot !

La Société d’Appréciation des Nuages

Malheureusement, la plupart des gens ne regardent plus les nuages.

Pire : quand ils les remarquent, c’est pour s’en plaindre. Trop noirs ou trop nombreux à leur goût, ils viennent obscurcir un ciel qu’ils voudraient toujours bleu.

Partageant ce triste constat, un Britannique connu pour son espièglerie, Gavin Pretor-Pinney, a eu une idée lumineuse.

Il a fondé en 2006 The Cloud Appreciation Society. En français : la Société d’Appréciation des Nuages.

« Parfois on a besoin d’une excuse pour ne rien faire, c’est ce qu’on fait avec la chasse aux nuages, résume-t-il avec malice. C’est une forme de méditation. »

Cette association rassemble aujourd’hui 43 000 doux rêveurs dans plus de 115 pays.

Leur objectif ? Se rassembler autour d’une cause totalement futile et partager leurs plus belles photos de nuages, pour le plaisir de l’âme et des yeux.

Je ne résiste pas à l’envie de vous citer leur génial manifeste[2] :

« Nous croyons que les nuages sont injustement dénigrés et que la vie serait incommensurablement plus pauvre sans eux.
Nous pensons qu’ils sont la poésie de la Nature, et la plus égalitaire de ses manifestations, puisque tout le monde sur Terre peut profiter d’une vue fantastique sur eux.
Nous nous engageons à combattre « la pensée totalitaire du ciel bleu » partout où nous la trouverons. La vie serait terne si nous devions contempler un monotone ciel sans nuages jour après jour.
Nous voulons rappeler aux gens que les nuages sont l’expression des humeurs de l’atmosphère, et peuvent être lus tout comme le visage d’une personne.
Nous croyons que les nuages sont faits pour les rêveurs et que leur contemplation bénéficie à l’âme. En fait, tous ceux qui savent apprécier leurs formes économiseront un paquet d’argent en frais de psychanalyse.
Alors nous disons à tous ceux qui écouteront : levez les yeux, émerveillez-vous de leur beauté, et rappelez-vous toujours de vivre la vie la tête dans les nuages ! »

Une nouvelle espèce de nuage

C’est beau n’est-ce pas ?

Cette association a aussi contribué à faire progresser la science.

Car à force de photographier des nuages sous toutes leurs coutures, Gavin Pretor-Pinney et ses acolytes sont retrouvés face à une pile de clichés inclassables représentant un nuage fortement ondulant, au drapé caractéristique…

…ne semblant pas rentrer dans aucune des sous-catégories reconnues en météorologie.

Après un combat d’une dizaine d’années pour la reconnaissance de cette « nouvelle espèce de nuage » et après examen attentif de leur requête, l’Organisation Mondiale de Météorologie a fini par accéder à leur demande.

L’Asperitas a rejoint la grande famille des Altocumulus en mars 2017 !

Dans le très officiel Atlas international des nuages[3]  !



L’Asperitas, nuage ondulant officiellement reconnu en mars 2017.

Émerveillez-vous et vous vivrez plus longtemps

Vous vous dites sans doute que cela est fort sympathique mais… « ne sert à rien ».

Détrompez-vous, laisser vagabonder votre imagination, y compris en observant les nuages, est excellent pour votre moral, votre créativité, votre santé.

L’émerveillement fait même depuis quelques années l’objet d’une attention soutenue des chercheurs.

Ils ont démontré que la capacité à s’émerveiller et à s’absorber dans la contemplation du beau entraînerait :

  • Une baisse des protéines inflammatoires (l’interleukine-6, responsable des inflammations articulaires et du risque de développer une maladie cardiaque), a révélé une récente étude de l’université de Berkeley[4].
  • Un moindre risque de tomber en dépression, selon une étude parue au mois d’avril[5], et même une thérapie contre les maladies mentales« L’émerveillement est une émotion complexe et transformationnelle qui peut restructurer les schémas mentaux d’un individu si profondément qu’elle pourrait être considérée comme une thérapie pour toutes les pathologies mentales lourdes, y compris la dépression », concluent deux chercheurs milanais.
  • Un moindre niveau de stress ressenti au quotidien, et une meilleure satisfaction générale vis-à-vis de sa vie[6], d’après une méta-analyse publiée en dans le Journal of Personality and Social Psychology.
  • Et même… une espérance de vie rallongée de 7 années ! Pour mener une telle étude, il faut pouvoir étudier un groupe de personnes ayant exactement le même mode de vie et vivant au même endroit. Les chercheurs ont ainsi examiné des lettres biographiques rédigées par les religieuses d’un couvent à l’âge de 20 ans, 40 ans et 70 ans. Des sémanticiens ont analysé la teneur du vocabulaire et quantifié les mots en lien avec les notions d’émerveillement, d’optimisme et de gratitude. Ils ont ensuite étudié leur état de santé, et se sont aperçus que les religieuses manifestant le plus cet état d’esprit positif à travers leurs lettres… vivaient en moyenne sept années de plus que les autres[7]!

Cette étude devenue célèbre sous le nom de « The Nun Study »[8] a été réitérée dans des contextes plus courants et les résultats sont les mêmes.

Pourquoi s’émerveiller devient compliqué avec l’âge

Mais l’émerveillement c’est quoi, au juste?

Et pourquoi, à l’âge adulte, devient-il plus difficile d’accéder à ce sentiment ?

Dans son livre Retour à l’émerveillement, le philosophe Bertrand Vergely rappelle qu’en grandissant, l’enfant perd sa capacité d’émerveillement par sa confrontation aux contraintes et à la dureté de l’existence.

Nous échangeons cette spontanéité magique contre la capacité de comprendre, un besoin de contrôle, une volonté d’essayer de maîtriser notre environnement.

Devenu adulte, nous nous orientons ensuite

  • soit vers l’idéalisme, « une manière d’intellectualiser le rationnel, en réduisant la réalité à un concept »,
  • soit vers le matérialisme, « contre-pied triste et tragique de l’idéalisme, qui dément toute abstraction et explication intellectuelle »

Nous négligeons généralement une troisième voie, selon Bertrand Vergely la base de l’attitude philosophique : l’émerveillement[9].

L’émerveillement de l’adulte n’est pas celui de l’enfant naïf du monde.

Il est une sorte de quête : « Il faut avoir lutté contre soi pour parvenir à cet émerveillement-là. Il faut avoir surmonté la tristesse, la lassitude, la révolte, le désespoir et donc, les avoir rencontrés ».

Un sentiment ambivalent qui fait peur

S’émerveiller une fois adulte réclamerait du courage !

Car il peut susciter un inconfort, de la confusion, de la peur, la crainte d’être idiot.

Cette ambivalence est mieux rendue en anglais, où émerveillement se dit « awe ». « Awe » se traduit tout à la fois par « émerveillement », mais aussi par « l’effroi mêlé d’admiration » ou encore « stupeur mêlée de crainte et de révérence ».

Le mot « awe » a d’ailleurs donné aussi bien le mot awesome (impressionnant, génial) que le mot awful (terrible, affreux).

Pascal, dont on nous faisait lire les Pensées au lycée, contemplait l’immensité d’une nuit étoilée et disait « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie ».

Il décrivait bien l’inconfort, le sentiment désagréable que peut susciter la contemplation de l’immensité, cette « peur de n’être peut-être rien », ce refus d’admettre sa petitesse…

Comment accéder à l’émerveillement ?

L’émerveillement est, en tous cas, un état qui implique d’être en présence de quelque chose :

1/ d’immense, de puissant, qui suscite l’intérêt, la surprise : l’immensité est ressentie, disent les psychologues américains Dacher Keltner et Jonathan Haidt, lorsque nous sommes confrontés à quelque chose de beaucoup plus grand que notre cadre de référence ordinaire…

2/ qui génère une certaine difficulté à essayer de le comprendre ; et un sentiment certes d’admiration, mais aussi de confusion, de crainte ou de soumission.

Dacher Keltner et Jonathan Haidt parlent « d’accommodation » pour qualifier le processus naturel d’adaptation mentale qui s’enclenche alors, nos structures mentales étant contraintes de s’élargir et de s’adapter.

C’est cette « accommodation » qui susciterait les cas extrêmes d’illumination ou même de renaissance : en ressentant l’immensité de la mature, en étant intrigués par sa puissance, nous pourrions accéder à l’expérience de l’émerveillement dans ce qu’elle a de plus transformatrice.

Lâcher-prise, disponibilité mentale et enfant intérieur

Pour atteindre cet état, Édouard de Perrot, psychothérapeute et spécialiste en neurologie, nous offre 3 clés[10] :

  1. le lâcher-prise : « S’émerveiller, c’est accepter de ne pas tout comprendre. Et laisser les choses s’éclairer plutôt que vouloir les expliquer. »  Ce qui implique de retrouver notre regard d’enfant, dépourvu d’intellectualisation et de jugement.
  2. la disponibilité mentale : Il s’agit de cultiver une curiosité qui ne nous pousse pas uniquement à découvrir, mais aussi à redécouvrir ces choses que l’on ne voit plus, tant nous y sommes habitués.
  3. la reconnexion à son enfant intérieur, en acceptant de lui rendre son pouvoir. En grandissant, nous avons tous adopté une personnalité pour répondre aux demandes des adultes ; l’idée est de retrouver ce qu’on aspirait à devenir quand on était enfant.

Je cite Bertrand Vergely :

« L’enfant vit dans un univers merveilleux, en général, puis un jour il découvre le monde, et il est traumatisé. Nous sommes tous traumatisés, parce que nous avons rencontré l’âpreté, la difficulté, la douleur, la lutte, la déception… Nous souffrons parce qu’il y a en nous cette part de l’enfant qui n’a pas grandi et qui est bouleversé par le monde et la difficulté de l’existence.

On peut être tentés alors de passer du tout au rien, en disant : « Le monde n’est pas idéal comme on m’a laissé croire enfant, donc je refuse le monde, le monde est absurde et la vie n’a aucun sens. »

Mais ce qui nous fait souffrir, ce n’est jamais la vie, c’est le refus de la vie. L’émerveillement, c’est la capacité de dépasser cette révolte et ce sens de l’absurdité qui nous frappe tous. Si quelque chose te fait souffrir, s’il y a quelque chose que tu n’aimes pas dans la réalité, c’est que tu en as besoin. Ne la fuis pas, n’y résiste pas, plonges-y toi, et tu vas découvrir le secret de ce que tu as à en apprendre. »

C’est beau n’est-ce pas ?

Au-delà du spectaculaire

Chacun est libre de s’émerveiller de ce qu’il veut, ça peut être une œuvre d’art, un paysage, un arc-en-ciel, le chant d’un rossignol, des bulles de savon…

Ou un acte d’une grande bonté, un geste tendre, une histoire drôle, le rire d’un enfant, le sourire d’un(e) inconnu(e), un « heureux hasard »…

Pour ma part je reviens aux nuages, tellement spectaculaires parfois qu’ils me laissent bouche bée.

Voyez plutôt :



Cette photo sans aucun filtre ni trucage, c’est un « trou de Virga » : un trou ovale en plein milieu d’un nuage, avec en son centre un arc-en-ciel aplati.

Il se produit lorsqu’une partie de l’eau d’un nuage gèle, et que les cristaux de glace formés tombent, laissant un trou.

Il est souvent causé par le passage d’un avion dans le nuage.



Ci-dessus c’est un nuage lenticulaire, en forme de chapeau chinois, qui se forme le plus souvent au-dessus d’un sommet, comme ici le célèbre Mont Fuji, point culminant du Japon.

Les nuages lenticulaires sont créés du côté par lequel arrive le vent et disparaissent de l’autre côté, ce qui donne l’étrange impression d’un nuage qui ne bouge pas (en fait il bouge) et semble recouvrir le sommet pour le protéger du soleil.

Voici encore les nuages dits de « Kelvin-Helmholtz », provoqués par le cisaillement de deux vents, en forme de vagues qui se brisent …

J’adore ça, je ne m’en lasse jamais.

Retrouvez votre âme d’enfant

Mais on peut aussi savoir apprécier les formes des nuages les plus banals, les cumulus dont je vous parlais au début :



Pour moi ce n’est pas une masse informe qui cache le soleil…

…mais deux chats qui dansent la salsa !

Alors si le ciel bas et lourd vous pèse parfois, ne l’oubliez pas, les nuages vous parlent. Et au-dessus d’eux, le soleil brille, le ciel est toujours bleu.

Portez-vous bien,

Rodolphe


[1] https://www.francetvinfo.fr/sciences/voir-le-visage-de-jesus-sur-un-toast-est-parfaitement-normal-selon-une-etude_596549.html

[2] https ://cloudappreciationsociety.org/manifesto/

[3] https://www.slate.fr/story/141977/nuage-asperitas-effrayant

[4] Stellar JE, John-Henderson N, Anderson CL, Gordon AM, McNeil GD, Keltner D. « Positive affect and markers of inflammation: discrete positive emotions predict lower levels of inflammatory cytokines ». Emotion. avril 2015, doi: 10.1037/emo0000033PMID: 25603133.

[5] Chirico A, Gaggioli A. The Potential Role of Awe for Depression: Reassembling the Puzzle. Front Psychol. 2021 Apr 26;12:617715. doi: 10.3389/fpsyg.2021.617715. PMID: 33981268; PMCID: PMC8107378.

[6] Bai, Y., Ocampo, J., Jin, G., Chen, S., Benet-Martinez, V., Monroy, M., Anderson, C., & Keltner, D. (2021). Awe, daily stress, and elevated life satisfaction. Journal of Personality and Social Psychology, 120(4), 837–860. https://doi.org/10.1037/pspa0000267

[7] Riley, Kathryn P.; Snowdon, David A.; Desrosiers, Mark F.; Markesbery, William R. (March 2005). « Early life linguistic ability, late life cognitive function, and neuropathology: findings from the Nun Study ». Neurobiology of Aging,  doi:10.1016/j.neurobiolaging.2004.06.019PMID 15639312S2CID 41770951.

[8] Snowdon, David A. (2002). Aging with Grace: What the Nun Study Teaches Us About Leading Longer, Healthier, and More Meaningful Lives. New York, New York: Bantam Books. ISBN 0-553-38092-3.

[9] Bertrand Vergely, Retour à l’émerveillement, Albin Michel, septembre 2010

[10] de Perrot, É. (2007). Émerveillement. Psychothérapies, 27, 161-174. https://doi.org/10.3917/psys.073.0161