Chers amis,
J’ai un défaut (parmi d’autres !) : être incapable de cacher le fait que je m’ennuie.
Cela m’a longtemps rendu « insortable » en société.
En soirée, si une conversation me barbe, je m’éclipse. Si j’assiste à un discours ou un spectacle ennuyeux, je m’évade dans mes pensées. Et ça se voit…
Je sais que cela peut paraître impoli. Bien que ça ne me semble pas être un crime non plus.
Ma position a cependant changé, récemment.
Auparavant j’estimais que la vie était trop courte pour s’imposer des situations rasoir ; il me paraissait normal d’abandonner un livre dont la lecture me décevait, de quitter une salle de cinéma quand je jugeais le film mauvais.
Mon investissement dans la santé naturelle, l’écriture, le tournage de programmes vidéo avec de grands experts, mais aussi une vie de famille intense avec trois enfants… tout cela me laisse très, très peu de temps libre, de temps « à moi ».
Alors maintenant, quand je m’ennuie, je me dis « ah, c’est agréable ! Je n’ai rien d’urgent à faire ! Pas de journal à boucler à la dernière minute, pas d’enfant à aller chercher à l’école, pas de démarche administrative à faire ! »
C’est ainsi que l’ennui est devenu une sorte de luxe pour moi. Un moment de légèreté, d’insignifiance, au milieu du tumulte et de la vitesse. Mes pensées deviennent enfin libres de vagabonder… jusqu’à me sentir libre de ne pas penser du tout !
S’ennuyer, c’est ennuyeux
J’ai regardé des études scientifiques sur l’ennui, elles commencent souvent par une lapalissade : s’ennuyer, c’est ennuyeux. Ce serait une émotion aux « conséquences négatives »[1].
Le « Danckert Lab », attaché à l’université de Waterloo (Waterloo au Canada, pas en Belgique) et dirigé par le chercheur en neurosciences James Danckert, y a consacré plusieurs études fructueuses depuis quelques années[2].
Sa définition de l’ennui est à mon sens déjà très éclairante : une « incapacité d’agir dans son environnement malgré la motivation pour le faire[3] ».
L’ennui, souvent considéré comme un état passif, est en réalité une forme de « frustration » …mais active .
Il ne s’agit pas du tout d’un moment où le cerveau est à l’arrêt et se repose.
Enfant, vous vous rappelez ces longues heures en classe à attendre que le cours se termine ? Chaque minute passait avec lenteur. Vous n’étiez pas inactif, en fait. Vous auriez simplement préféré être ailleurs, ou plus tard. Vous attendiez avec impatience la cloche pour enfin sortir et faire ce qui vous plaisait.
Parent, vous vous rappelez avoir vu vos enfants traîner comme des âmes en peine un long dimanche après-midi, ne sachant que faire… puis tout à coup trouvant quelque chose qui leur plaisait.
Cela montre que l’ennui n’est pas du tout une forme de « mort cérébrale », mais au contraire une inadéquation entre ce que l’on voudrait faire et ce que l’on peut faire à un instant précis.
Les deux faces de l’ennui
S’il est récurrent et profond, l’ennui peut être révélateur de désordres psychologiques assez pénibles.
Il pourrait, d’une part, être le symptôme de troubles de l’attention, et notamment de difficultés chroniques à se concentrer[4], ainsi qu’un signe avant-coureur de perte d’estime de soi et même de dépression[5].
S’il devient récurrent chez l’enfant, c’est même un facteur à part entière d’échec scolaire[6].
Mais l’ennui a également ses vertus. Dans un environnement professionnel, l’ennui est un critère de choix pour mesurer la vigilance, l’attention et les performances[7]. Il permet en fin de compte – si les patrons comme les collaborateurs en prennent conscience – d’éviter l’automatisation des tâches et de reprendre l’investissement de chacun à zéro.
C’est la conclusion – plus large – d’une autre étude, qui précise que l’ennui n’est pas mauvais ou bon en soi : son apparition indique qu’un changement est nécessaire[8].
Il faut connaître son ennui
Lors du premier confinement, on a vu fleurir sur Internet, en particulier dans les magazines féminins, des articles vantant les « vertus » de l’ennui : il serait source de créativité et permettrait de se reconnecter aux autres, d’après Marie-Claire[9] ; il apaiserait l’esprit et influence la productivité, d’après TerraFemina[10].
Pourquoi pas….
Pour moi l’ennui est, surtout, un symptôme.
Un symptôme d’un certain vague-à-l’âme, voire même d’un mal-être, s’il se produit trop souvent.
Un symptôme de ce que nous pourrions améliorer dans notre existence, quand il est occasionnel.
Même un symptôme d’une vie trop remplie ou harassante, quand il est quasi-absent.
Le grand auteur chinois Sun Tzu, dans L’Art de la guerre, disait : « connais ton ennemi et connais-toi toi-même ».
Mon conseil serait : « connais ton ennui comme toi-même ».
M’ennuyer me permet (malgré moi) non pas de refaire le monde mais de refaire mon monde : c’est le moment où j’ai des idées concernant des sujets auxquels je n’ai pas le temps de penser, qui empruntent des chemins inattendus, qui arrivent à des destinations imprévisibles.
Je conclus donc en soutenant que… ne jamais s’ennuyer est aussi douteux que de toujours s’ennuyer. Et vous, vous ennuyez-vous ? Que ressentez-vous, qu’en retirez-vous ? Je serais heureux de vous lire en commentaire ici.
Portez-vous bien,
Rodolphe
[1] Danckert, J., Hammerschmidt, T., Marty-Dugas, J., et al. (2018). Boredom: Under-aroused and restless. Conscious Cogn. 61:24-37. doi: 10.1016/j.concog.2018.03.014. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29631194/
[2] https://www.jamesdanckert.com/home
[3] Danckert, J., Merrifield, C. (2018). Boredom, sustained attention and the default mode network. Exp Brain Res 236, 2507–2518. https://doi.org/10.1007/s00221-016-4617-5
[4] Weinberg, W. A., & Brumback, R. A. (1990). Primary disorder of vigilance: a novel explanation of inattentiveness, daydreaming, boredom, restlessness, and sleepiness. J Pediatr. 116(5):720-5. doi: 10.1016/s0022-3476(05)82654-x. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/2329420/
[5] Ibid.
[6] Ibid.
[7] Cummings, M. L., Gao, F., & Thornburg, K. M. (2016). Boredom in the Workplace: A New Look at an Old Problem. Hum Factors. 58(2):279-300. doi: 10.1177/0018720815609503. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/26490443/
[8] Danckert J., Mugon J., Struk A., Eastwood J. (2018) Boredom: What Is It Good For?. In: Lench H. (eds) The Function of Emotions. Springer, Cham. https://doi.org/10.1007/978-3-319-77619-4_6
[9] Surateau, M. Les vertus de l’ennui: quand ne rien faire est necessaire. Marie Claire. https://www.marieclaire.fr/les-vertus-de-l-ennui,1334096.asp
[10] Machado, P. (24.03.2020). Les 5 bienfaits précieux de l’ennui. Terra Femina. https://www.terrafemina.com/article/bien-etre-les-5-bienfaits-precieux-de-l-ennui_a353008/1
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C’est ce que je vous souhaite
Pour s’endormir comme un bébé
Fu !
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je ne m’ennuie jamais , je n’ai pas le temps de faire tout ce que j’aimerais faire…..
on peut aller rendre visite à des personnes âgées qui trouvent le temps très long et qui sont heureux de voir quelqu’un qui s’intéréssent à eux;
votre article est trés intéressant, merci
maryvonne
boujour et merci pour votre article
Je pense que comme tout dans la vie l’ennui est nécessaire pour se poser,
comme le repos est nécessaire après le travail
Cela fait parti d’un équilibre , et le but de la vie est de déterminer nos équilibres à travers
nos souffrances
Eveline
Dit autrement, nous sommes tous –génétiquement parlant- des bipolaires ! Mais, heureusement, pas tous des bipolaires pathologiques….
Si la bipolarité normale n’existait pas, il faudrait impérativement l’inventer……
Bonjour à tous ceux qui liront
Comme presque tout le monde il m’arrivait de m’ennuyer et dans ces cas-là je devenais enragée: ménage, rangement etc… et puis un jour (il y a longtemps) j’ai eu envie de modifier ma façon de réagir et j’ai décidé que quand je m’ennuyais il me fallait sortir de chez moi pour aller marcher dans la nature, n’importe où
Et là quel bonheur je me sentais vivre, libre et heureuse
J’ai à nouveau eu cette sensation d’ennui avec les confinements et la valse du ménage à outrance a recommencé.
Et à nouveau j’ai recherché l’aide de la nature et chaque jour je pars pour un long moment, , je regarde les arbres, les fleurs , j’écoute et je regarde vivre les oiseaux, en bref je fais le plein d’ondes positives, il m’arrive de ne pas savoir où je suis mais je m’en fiche je suis BIEN
C’est une pause de l’esprit. 70000 pensées par jour….quand même.
Espace . Permission de non conformisme aussi. Détente.
En fait c’est rare.
Bonjour Rodolphe.
Il m’arrive de m’ennuyer quand je suis à une fête mais jamais quand je suis seule. Et surtout, j’ai toujours quelque chose à » faire » surtout depuis que je crois en Dieu. Cela a tellement changé ma vie.
Cordialement
Moi je n’ai pas le temps de m’ennuyer, j’ai tellement de choses à faire à part le travail de la maison il y a les appels téléphoniques avec mes amies d’ici et celles qui habitent en Grèce en Italie et en Espagne, ma famille qui habite à Los Angeles et ainsi avec tout cela j’arrive à peine et trop tard dans la nuit consulter mes e-mails qui sont trop et qui me fatiguent en ne me laissant même pas le temps pas le temps de voir des choses intéressantes sur YouTube , je n’arrive même pas à suivre les cours de l’informatique qui m’intéressent beaucoup et tous les jours je pense à les reprendre mais malheureusement je n’ai pas le temps,je reçois régulièrement de nouvelles choses à apprendre mais je n’ai suffisamment pas le temps de les suivre. Voilà je n’ai même pas le temps de m’ennuyer si j’ai un moment libre j’essaie de trouver quelque chose à faire et il y a des tas de choses à faire, de la couture, de mettre en ordre dans les papiers etc… les journées passent très rapidement pour moi
Il y a une vingtaine d’années, j’avais eu l’occasion de lire « Laissez-les faire des bêtises », de Hélène De Leersnyder, un libre qui m’avait beaucoup intéressée (je m’en souviens encore) et qui traitait en partie des vertus de l’ennui.
Il me suffit d’observer mes chats (3) Ils peuvent passer de très longs moments immobiles, mais bien éveillés, assis sur leurs derrières ! Ils semblent observer le monde autour d’eux ! et sans doute, sans le formuler avec des mots, peut-être se disent-ils « je vit et c’est très bien » – « je sens mon corps vivant qui respire » ….. Eh bien *, oui, moi aussi, comme eux, je me dis, je vis, je vis, je vis, je respire et c’est très bien ! Quelle chance !
Jules Renard disait : « L’idéal du calme est dans un chat assis » …..
L’ennui est-il père de tous les vices ? Car pour fuir l’ennui, ne risque-t-on pas comme ces jeunes des rues, désœuvrés, verser dans des loisirs dangereux ( drogue, alcool ) ou encore pire sombrer dans des trafics illicites ? Comme le cerveau de l’homme est pratiquement toujours en activité, il s’ennuiera dès lors qu’aucune occupation ne le tiendra en éveil.
On pourrait croire qu’au « temps de l’information », avec un téléphone à la main, on n’a plus le temps, (ni le droit) de s’ennuyer. Mais l’homme ne doit pas seulement recevoir, il doit aussi donner. Et permettez de reprendre la citation d’un sage : « Je m’enrichis par ce que je donne »
Un bon moyen pour combattre l’ennui : la méditation et pourquoi pas la prière. Je ne m’ennui plus dans les salles d’attentes médicales, depuis que je me munis de mon chapelet et prie pour les autres malades et le personnel soignant.
Continuer, avec vos thématiques, à nous faire réagir afin de replacer l’homme au cœur de la création. Salutations.
…. permettez de reprendre la citation d’un sage : « Je m’enrichis par ce que je donne »
Charles :
Permettez-moi de vous répondre que l’acte entièrement gratuit (sauf en cas de pathologies mentales) est pure utopie !
JE M’ENRICHIS par ce que je donne…N’est autre que ce qui me motive à « donner »…La récompense de la vertu, ou tout acte vertueux, génère souvent un état de conscience agréable, ou sensation intense du bien-être ressenti pouvant aller jusqu’à un état de surexcitation…C’est ça la récompense !
Bonjour Rodolphe !
Il m’arrive de lire vos articles bien intelligibles et, souvent, pertinents. Peut-être un tantinet trop longs…Aragon n’aurait pas apprécié….
Pour militer contre l’exécrable monopole et abus des Multinationales pharmaceutiques, psychiatres, etc..je vous suggère de lire le livre « SOMMES-NOUS TOUS DES MALADES MENTAUX ? La vérité sur le DSM-5 » (Odile Jacob) de Allen Frances, qui a dirigé le groupe de travail qui a conçu et rédigé le DSM-IV, considéré comme « la bible de la psychiatrie ». Alors que paraît une nouvelle version augmentée, le DSM-5, il tire la sonnette d’alarme et crie à haute voix : CESSONS DE SURMEDICALISER LES VICISSITUDES DE LA VIE HUMAINE
NB -Ce livre est préfacé par le Pr Bernard Granger.
Je peux vous garantir que vous n’aurez pas le temps de vous ennuyer et surtout de vous y référer en prenant de bonnes notes afin d’informer les lecteurs de votre site, mais pas seulement….
A vous lire ?
Cordialement
alessandro pendesini – Bruxelles tel fixe 02/4101020
je crois que vous avez raison car quand je m’ennuie je ne sais pas comment en sortir et lorsque je n’ai pas le temps de m’ennuyer c’est que je suis en surpression et je n’ai plus de temps pour moi. mais avec les aytres quand je suis en train de les aider ou de chercher à les soulager de leur peine je crois que même sous pression tout se met en place et tout roule
J’étais souvent comme vous jusqu’au moment où je me suis dit: Je m’ennuie . . .
une lumière tout à coup s’est allumée et j’ai répété fort J’ennuie MOI. . . . je suis<
partie à rire et j'ai changé "mon fusil d'épaule" alors maintenant je trouve toujours
quelque chose qui m'intéresse à faire et je ne m'ennuie plus.
Je suis un peu comme vous, je m’évade facilement vers d’autres contrées si le sujet (réunion par exemple) n’est pas captivant. Par contre devant un documentaire surprenant de découvertes, j’oublie tout le reste. Mais l’ennui est, en effet, nécessaire car il permet de chercher au plus profond de nous ce qui pourrait nous tenter.
J’aimais tellement lire et depuis 1 certain temps, je m’ennuie en lisant. Je n’arrive pas à trouver du plaisir en lisant 1 livre. Pouvez-vous en parler s’il vous plaît. Merci beaucoup.
Bonjour, c’est la première fois que je laisse un commentaire, j’avoue. Peut-être parce que le moment où je m’ennuie le plus me paraît assez incongru…d’ailleurs c’est en vous lisant que je me suis dis que c’était de l’ennui; c’est lors de mes insomnies ! J’ai le sommeil très léger et il n’est une semaine qui passe sans un réveil nocturne. Et là, alors que je devrais me rendormir mon esprit vagabonde d’idée en idée. Parfois même je chante des paroles de chanson dans ma tête, ces chansons que vous n’aimez pas spécialement mais dont les textes, souvent peu élaborés, sont comme des rengaines obnubilantes. Validez-vous ceci comme de l’ennui?