Chers amis,

On commence à mieux comprendre mieux d’où vient l’épidémie de coronavirus, et il y a plusieurs leçons à tirer de ces découvertes. 

La première, c’est qu’avec plus de bon sens et surtout de pédagogie, cette épidémie aurait pu être évitée. 

La deuxième, c’est que la compréhension de « l’histoire » de cette épidémie nous permettrait d’en éviter de similaires à l’avenir.

La troisième, c’est que malgré les efforts d’imagination des complotistes, la réalité est plus subtile et plus simple que la théorie du méchant virus créé en laboratoire !

C’est l’histoire de la vie

Je suis obligé de partir d’un « basique » : un virus est un organisme vivant qui a deux grands objectifs, survivre et se reproduire.

Il est doté d’un patrimoine génétique qui évolue d’une génération à l’autre (comme tout organisme vivant) ce qui lui permet de mieux s’adapter à son environnement.

Son environnement, en l’occurrence, ce sont les organismes animaux ou humains qui l’accueillent !

Le « succès », pour un virus, c’est de pouvoir passer d’un hôte à l’autre, d’un individu à l’autre. Et le « Graal » c’est de pouvoir passer d’une espèce animale à l’autre.

Dans ce jeu évolutif, le coronavirus qui sévit depuis deux mois en Chine a deux atouts majeurs :

  • il est doté d’un incroyable dynamisme génétique ;
  • il a des « hôtes » incroyablement tolérants… et mobiles.

Redoutables machines de guerre génétiques…

Les coronavirus se distinguent par la « couronne » qui les entoure (d’où leur nom) et des génomes d’une longueur exceptionnelle[1].

Cela leur offre un avantage précieux dans la galaxie des virus : celui de muter rapidement et facilement.

C’est autant de chances supplémentaires, pour eux, de s’adapter à un nouvel hôte et de se propager plus rapidement.

C’est pour cela qu’on parle « des » coronavirus. Il s’agit de toute une famille de virus apparentés, qui infectent particulièrement deux catégories de mammifères : les rongeurs et les chauve-souris.

On est quasiment sûrs que le coronavirus qui sévit depuis deux mois en Chine a muté depuis les chauve-souris : c’est le virus dont la structure est la plus proche (à 96 %[2]) de celles des coronavirus des chauves-souris.

Mais surtout…

… les chauve-souris sont des laboratoires vivants et des véhicules de course pour les virus.

Bouillons de culture volants

Pour un virus, avoir pour hôte une chauve-souris présente deux avantages, qui ont joué un rôle déterminant dans cette épidémie.

La Chauve-souris rhinolophe « fer à cheval » est le principal « réservoir à coronavirus » en Chine.

Premier avantage : les chauves-souris disposent d’un système immunitaire remarquable

Les chauve-souris sont des animaux qui déjouent toutes les statistiques.

Ce sont des mammifères volants, qui ont une espérance de vie bien supérieure à la fois aux oiseaux, avec lesquels ils partagent l’espace aérien, et aux souris, avec lesquelles ils partagent une grande partie de leur patrimoine génétique[3].

Elles ne connaissent ni cancers, ni autres maladies dégénératives communes aux autres espèces de mammifères.

Et par ailleurs les chauve-souris sont des réservoirs à virus potentiellement mortels pour les autres espèces, dont l’homme.

En septembre 2018, une étude rappelait le fait que les chauve-souris hébergent, sans en souffrir, de nombreux virus habituellement mortels pour l’homme, parmi lesquels la rage et Ebola[4].

Comment ces animaux parviennent-ils à vivre aussi longtemps et à ne pas être atteints par tous ces virus qu’ils hébergent ?

Grâce à un système immunitaire incroyablement efficace.

Dès qu’un virus déboule dans l’organisme d’une chauve-souris, celui-ci se met à produire en quantités astronomiques de l’interféron alpha, une molécule qui sonne le branle-bas de combat général.

Nous disposons tous, nous mammifères, de cette molécule… Mais les chauve-souris en produisent plus vite, en beaucoup plus grande quantité et avec une plus grande efficacité[5].

Ainsi la chauve-souris ne tombe pas malade… sans pour autant détruire le virus, qui continue à vivre et à muter en elle.

À l’intérieur des chauve-souris, les virus peuvent donc se reproduire et muter à volonté. Et le « pompon », c’est quand une même chauve-souris abrite 2 versions ou plus d’une même famille de virus, qui vont échanger leurs particularités… et créer un nouveau virus mutant.

Les chauve-souris se comportent ainsi comme des tubes à essai vivants, ultra-résistants, pour les virus les plus agressifs.

Second avantage : elles voyagent plus vite et plus loin

Ces virus bénéficient d’un second avantage : les chauve-souris ont des ailes.

Les chauves-souris sont en effet les seuls mammifères volants. Cela leur permet d’accomplir de plus grandes distances en bien moins de temps que toutes les autres espèces de mammifères… et leurs virus se propagent donc plus vite !

Oui, mais… de la chauve-souris à l’homme ?

Il est peu probable que le coronavirus qui, à l’heure où j’écris ces lignes, a fait plus de 1 900 morts en Chine[6], ait été transmis directement de la chauve-souris à l’homme.

En fait, les grandes épidémies ont systématiquement un « hôte intermédiaire ».

C’est-à-dire une espèce animale qui fait le lien entre les « réservoirs sauvages » de la maladie, et nous, les humains. 

Près d’un siècle après ses ravages, des chercheurs ont ainsi compris que la grippe espagnole était en réalité une grippe aviaire, développée dans des populations de canards et d’oies sauvages. Elle a affecté des oiseaux de basse-cour, lesquels ont à leur tour infecté les humains[7].

La terreur du Moyen-Âge, la grande peste bubonique, transmise à l’homme par la puce du rat… viendrait en réalité des populations de marmottes d’Asie centrale, où elle sévit d’ailleurs toujours[8].

Les marmottes sont le « réservoir » de la peste bubonique tout comme la chauve-souris est le « réservoir » du coronavirus : elles sont porteuses de la maladie, n’en meurent pas, mais sont capables d’infecter d’autres espèces. À moins de manger de la marmotte crue, ce qui est arrivé à un couple de Mongols il y a quelques mois[9], c’est par l’intermédiaire de la puce du rat que l’on est infecté par la peste.

Mais dans le cas du coronavirus, quel est l’hôte intermédiaire ?

Retour sur le marché de Wuhan

Vous vous souvenez que les premiers cas de coronavirus ont été associés au marché aux animaux de Wuhan.

C’est un fait bien connu qu’on retrouve sur les marchés chinois des animaux vivants destinés à la consommation alimentaire.

On y retrouve également les attributs d’animaux protégés dans le reste du monde : cornes de rhinocéros, os de tigres, bile d’ours, testicules de lion, et… écailles de pangolin[10].

Le pangolin est un animal aujourd’hui en voie de disparition à cause du braconnage illégal destiné, précisément, à la Chine[11].

Or, en septembre dernier, deux mois avant le début de l’épidémie, une étude chinoise alertait sur les proportions inquiétantes de contamination par le coronavirus chez les pangolins[12].

Trafic de pangolins en Chine

Il y a quelques jours, des chercheurs ont révélé que le génome du coronavirus des pangolins est à 99 % identique à celui qui sévit chez l’homme[13].

Tout comme la civette avait été l’hôte intermédiaire du SRAS en 2002-2003[14]ce serait donc le pangolin qui aurait servi d’hôte intermédiaire au coronavirus

Comment le virus est-il passé de la chauve-souris au pangolin ?

On ne le sait pas.

Mais une chose est sûre : le coronavirus qui a infecté les pangolins est fortement apparenté à celui des chauves-souris en amont… et à celui de l’homme en aval.

Il a donc « suffi » d’une mutation supplémentaire pour que le virus saute d’une espèce supplémentaire à l’autre.

L’homme aussi est responsable

Les cas graves et mortels de coronavirus « version 2020 » sont le produit du dynamisme génétique de ce virus, on l’a vu.

Ce qu’on ne dit pas, c’est que les coronavirus sont des virus connus de longue date et jusqu’ici leur transmission à l’homme était bénigne.

Ce sont les activités humaines qui leur ont fourni le « coup de pouce » nécessaire.

L’Asie connaît en effet une déforestation accrue, qui pousse les chauves-souris à aller chercher leur nourriture plus loin et à s’approcher dangereusement des zones d’habitat humain.

Déjà en 2014, la déforestation avait été accusée d’avoir favorisé la propagation d’Ebola en Afrique[15] : les chauves-souris, également « réservoirs » de ce virus, côtoyaient de plus en plus près les habitations humaines.

La tradition des « marchés d’animaux vivants » dans certaines villes de Chine est un facteur aggravant : la cohabitation de toutes sortes d’animaux domestiques et sauvages vivants dans un espace restreint et en contact avec l’homme constitue un bouillon de culture à ciel ouvert.

Quelles leçons en tirer ?

C’est à nous de ne pas ouvrir la voie des virus vers l’épidémie.

Ça demande de la volonté politique :

  • trouver un moyen de maintenir l’habitat naturel des chauve-souris, afin de les éloigner des centres urbains. Cela commence par la protection et la reforestation des zones rurales ;
  • avoir le courage de fermer tous les marchés à ciel ouvert d’animaux vivants, là où le risque est le plus fort ;
  • circonscrire rapidement les zones contaminées, comme cela n’a pas été fait à Wuhan.

Pour le reste, c’est du bon sens : avoir une bonne hygiène, beaucoup se laver les mains et porter un masque.

En aucun cas il ne faut céder à la panique.

Car il est probable qu’il y aura beaucoup, beaucoup, d’autres « coronavirus » dans les années, les décennies, les siècles à venir.

Portez-vous bien,

Rodolphe


[1] Marc Gozlan, « Les chauves-souris chinoises, réservoirs de coronavirus émergents », 10 février 2020, sur lemonde.fr, consulté 19 février 2020 et disponible sur ce lien : https://www.lemonde.fr/blog/realitesbiomedicales/2020/02/10/les-chauves-souris-reservoirs-de-coronavirus-emergents-en-chine/

[2] PENG Zhou et al., « Discovery of a novel coronavirus associated with the recent pneumonia outbreak in humans and its potential bat origin », 23 janvier 2020 sur biorxiv.org, consulté le 19 février 2020 et disponible sur ce lien : https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2020.01.22.914952v2

[3] HERZBERG Nathaniel, « Les secrets de la longévité des chauves-souris », mis à jour le 24 juin 2019 sur lemonde.fr, consulté le 19 février 2020 et disponible sur ce lien : https://www.lemonde.fr/sciences/article/2019/06/23/les-secrets-de-la-longevite-des-chauves-souris_5480400_1650684.html

[4] MANDL, J. N., Schneider, C., Schneider, D. S., & Baker, M. L., « Going to Bat(s) for Studies of Disease Tolerance »20 septembre 2018, Frontiers in Immunology (9), consulté le 19 février 2020 et disponible en suivant ce lien : https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fimmu.2018.02112/full

[5] LEGAULT Jean Benoît, « Coronavirus : le rôle potentiel de la chauve-souris est élucidé », le 15 février 2020 sur lactualite.com, consulté le 19 février 2020 et disponible sur ce lien : https://lactualite.com/actualites/coronavirus-le-role-potentiel-de-la-chauve-souris-est-elucide/

[6] FONTANET Arnaud (interview), « L’épidémie de covid 19 fait moins de morts que la grippe mais suscite beaucoup d’inquiétudes », le 18 février 2020 sur lemonde.fr, consulté le 19 février 2020 sur ce lien : https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/02/18/l-epidemie-de-covid-19-fait-moins-de-morts-que-la-grippe-mais-suscite-beaucoup-d-inquietudes_6029973_3244.html

[7] Laura Spinney, La Grande tueuse : comment la grippe espagnole a tué le monde, Albin Michel, 29 août 2018, pp.245-266

[8] The Associated Press, Kirghizistan, « 160 personnes en quarantaine pour la peste bubonique », le 28 août 2013 sur quebec.huffingtonpost.ca, consulté le 19 février 2020 et disponible sur ce lien : https://quebec.huffingtonpost.ca/2013/08/28/kirghizistan-160-personn_n_3829664.html

[9] « Mongolie : deux personnes décèdent de la peste après avoir mangé de la marmotte crue », mis à jour le 8 mai 2019 sur 20minutes.fr, consulté le 19 février 2020 et disponible sur ce lien : https://www.20minutes.fr/monde/2512671-20190507-mongolie-deux-personnes-decedent-peste-apres-avoir-mange-marmotte-crue

[10] LACAZE Julie, « Les croyances de la médecine chinoise à l’origine d’un important trafic d’animaux », Nationalgeographic.fr, consulté le 19 février 2020 et disponible sur ce lien : https://www.nationalgeographic.fr/animaux/les-croyances-de-la-medecine-chinoise-lorigine-dun-important-trafic-danimaux

[11] SCHNEIDER Frédérique, « Qu’est-ce que le pangolin, petit animal en voie d’extinction ? », le 18 février 2018 sur la-croix.com, consulté le 19 février et disponible sur ce lien : https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Environnement/INFOGRAPHIE-SOS-pangolin-mammifere-braconne-monde-2018-02-18-1200914705

[12] LIU, P., Chen, W., & Chen, J.-P., « Viral Metagenomics Revealed Sendai Virus and Coronavirus Infection of Malayan Pangolins (Manis javanica) »,Viruses, 11(11), 979, 2019, étude disponible sur ce lien : https://www.mdpi.com/1999-4915/11/11/979

[13] ATS, « Le pangolin pourrait être l’animal qui a transmis le coronavirus à l’humain », le 7 février 2020 sur letemps.ch, consulté le 19 février 2020 et disponible sur ce lien : https://www.letemps.ch/sciences/pangolin-pourrait-lanimal-transmis-coronavirus-lhumain

[14]  GAS Valérie, « La civette pourrait être le vecteur du SRAS », le 24 mai 2003 sur rfi.fr, consulté le 19 février 2020 et disponible sur ce lien : http://www1.rfi.fr/actufr/articles/041/article_22306.asp

[15] VAN EECKHOUT Laeticia, « Epidémie d’Ebola : la déforestation en cause », le 19 août 2019 sur lemonde.fr, consulté le 19 février 2020 et disponible sur ce lien : https://www.lemonde.fr/planete/article/2014/11/04/epidemie-d-ebola-la-deforestation-en-cause_4517695_3244.html