Chers amis,

Jamais je n’aurais cru entendre parler du tabac en d’autres termes que de « fléau », de « poison » et de « tueur »…

Et là, boum, arrive le Covid-19, et en quelques jours le tabac devient une hypothétique protection sérieuse contre le virus et même un espoir !…

La crise provoquée par le Covid-19 est décidément riche en surprises.

Ce coup de théâtre remet un peu de justice dans une cause qui semblait à jamais perdue : le tabac, c’est le diable. Et dire le contraire, c’est criminel.

Mais c’est faux. Si on peut s’accorder à reconnaître les méfaits du tabac (je vais y revenir), le tabac est d’abord une plante médicinale, dont les populations amérindiennes qui la cultivaient et l’utilisaient connaissaient les propriétés, et que les premiers médecins européens exploitèrent également.

Le GROS problème du tabac, lui bel et bien réel, c’est l’industrie qui s’est créée autour.

Le tabac contre le Covid-19 ?

Un gros quart de la population française fume (25,4 %).

Je parle de vrais fumeurs : au moins une cigarette par jour.

Pourtant, moins d’1 patient sur 10 atteint par le Covid est fumeur.

Il n’y a « que » 8,5% de fumeurs parmi les patients hospitalisés[1].

Cette faible proportion des fumeurs au sein des contaminés est d’autant plus étonnante que l’une des principales complications de la maladie, vous le savez, est une intense détresse respiratoire.

Or les fumeurs réguliers développent une faiblesse pulmonaire : ils sont rapidement essoufflés et la tabagie est la principale cause du cancer du poumon.

Bizarre non ?!

On retrouve cette proportion en Chine, le tout premier foyer épidémique. La Chine compte 28 % de fumeurs mais n’observe que 12,6 % d’entre eux parmi les personnes infectées par le Covid-19[2].

Des médecins de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, ont décidé d’enquêter sur ce paradoxe.

Ils ont découvert que, sur 139 patients admis en ambulatoire (âge moyen 44 ans), seulement 5,3 % étaient des fumeurs quotidiens. Sur 343 patients hospitalisés (âge moyen : 65 ans) pour le Covid-19, seulement 4,4% de fumeurs quotidiens.

« Notre étude transversale suggère fortement que les fumeurs quotidiens ont une probabilité beaucoup plus faible de développer une infection symptomatique ou grave », concluent les auteurs[3].

Est-ce si surprenant ?

L’homme consomme du tabac depuis 8000 ans

Le tabac fut l’une des toutes premières plantes domestiquées par l’homme.

A voir la quantité de tabac produite aujourd’hui, cela ne vous étonnera sans doute pas.

Mais l’historienne canadienne Sylvie Savoie rappelle que, pour les Amérindiens, le tabac était une plante rare, sacrée, et précieuse[4].

Elle était employée pour ses remarquables bienfaits tant sur l’âme que sur le corps. Inhalées, mâchées, prisées ou infusées, les feuilles de tabac formaient un « pont » entre le monde des hommes et celui des esprits et étaient donc utilisées par chamanes et sorciers.

La plante avait aussi une fonction symbolique pour les dignitaires : on connaît tous le « calumet de la paix » fumé par les Indiens… C’est par la pipe que les Indiens d’Amérique du nord le fumaient volontiers, tandis que ceux du sud fumaient aussi les feuilles séchées, enroulées… c’est sur ce modèle que furent créés les cigares modernes.

La plante était également réputée pour ses vertus médicinales : elle était utilisée pour faire disparaître la fatigue, soulager les piqûres d’insectes et combattre les maux de dents – et la douleur en général.

Anti-fatigue, anti-douleur mais aussi coupe-faim : autant d’effets que les fumeurs connaissent, et qui tiennent en grande partie à un alcaloïde : la nicotine.  

La nicotine : ange ou démon ? Les deux !

La nicotine tire son nom de Jean Nicot, considéré comme l’importateur du tabac en France au XVIè siècle. La molécule ne fut cependant découverte qu’au début du XIXè siècle par un pharmacien lui aussi français, Louis-Nicolas Vauquelin.

C’est dans cette molécule que les bienfaits – mais aussi les méfaits, bien sûr – du tabac tiennent principalement.

C’est peu connu, la nicotine a des vertus antiparasitaires redoutables : on l’utilise contre les acariens et de nombreux insectes. Ce n’est ni plus ni moins qu’un insecticide naturel !

Sur l’homme, elle a des effets contrastés. C’est le moins qu’on puisse dire.

C’est même une molécule mi-ange, mi-démon.

Côté mi-ange, la recherche a démontré à plusieurs reprises que la nicotine améliore la concentration, la mémoire et les performances cognitives en général[5] : elle renforce la mémorisation à court terme, les réflexes mais aussi le sens de l’orientation[6] !

Autrement dit : c’est une molécule fort utile face à des situations exigeantes demandant un état d’alerte maximal – elle augmente la production d’adrénaline – et une grande clarté d’esprit. C’est un excitateur et un stimulant intellectuel à brève échéance.

Le tabac est bel et bien une plante de survie à court-terme

Côté mi-démon, elle augmente la pression artérielle et la fréquence du rythme cardiaque (ce qui est lié également à la production d’adrénaline qu’elle provoque).

Contrairement à une idée reçue, elle n’est pas cancérigène en soi. Aucune étude n’a jamais prouvé que la nicotine provoquait le cancer.

C’est le goudron et les autres produits toxiques inhalés dans la fumée de cigarette qui sont cancérogènes. J’y reviendrai dans une prochaine lettre.

Une autre propriété de la nicotine est à elle seule mi-ange, mi-démon : c’est son effet sur la dopamine.

La dopamine est un neurotransmetteur bien connu : c’est lui qui est responsable du « système de récompense » produit par notre système nerveux.

Or, la nicotine provoque une surproduction de dopamine, ce qui explique l’état d’euphorie (voire les transes sacrées observées dans certaines cérémonies amérindiennes) provoqué au départ par le tabac…

…et la rapide dépendance qu’il engendre : pour retrouver cet état, il en faut toujours plus.

C’est un psychotrope, tout simplement.

Et c’est là que l’usage industriel du tabac est criminel.

Comment l’industrie a transformé une plante médicinale en drogue meurtrière

Les Amérindiens faisaient, encore une fois, un usage rare et précis du tabac : ils n’en prenaient pas chaque jour, loin de là ! Son utilisation était liée à des circonstances médicales, rituelles ou symboliques précises.

Avec l’arrivée des Européens, l’usage a changé du tout au tout. Le tabac est peu à peu devenu une plante banale… banalisée, devrais-je dire, car ses effets sont restés les mêmes.

Il est devenu une « came » pour la population.

Les choses ont empiré quand l’industrie du tabac s’est mise à sciemment concevoir ses cigarettes pour les rendre les plus « addictives » possibles… grâce à la nicotine.

Une fois de plus : la nicotine n’est pas elle-même cancérigène.

Mais comme c’est elle qui engendre l’addiction aux cigarettes industrielles, qui sont, elles, truffées de produits toxiques (comme le goudron), c’est à elle que l’on fait porter le chapeau des millions de morts causées par le tabac.

Ce mécanisme est parfaitement connu depuis les années 1990[7].

Un film raconte cette démarche cynique de la part des cigarettiers américains pour rendre leurs produits plus addictifs tout en sachant qu’ils sont cancérigènes grâce à la manipulation des concentrations de nicotine.

Ce film, c’est Révélations, réalisé en 1999 par Michael Mann, avec Al Pacino et Russel Crowe[8]. Je vous invite à le regarder si vous ne le connaissez pas, c’est formidable.

En fin de compte, il s’est passé avec le tabac ce qui s’est produit avec d’autres précieux produits naturels, comme le sucre, le chanvre ou la coca : puissants et bienfaiteurs quand ils sont consommés à faible dose, ils deviennent des drogues quand des profiteurs peu scrupuleux s’en emparent.

  • Le sucre a inondé les produits alimentaires,
  • La coca a donné la cocaïne,
  • Le chanvre a donné une drogue qui se fume
  • … la nicotine a engendré un monstre : le tabagisme.

C’est la dose qui fait le poison, pas le produit ! Il faut le répéter !

C’est terrible, car l’addiction mortelle engendrée par l’industrie de la cigarette a discrédité l’incroyable (et bienfaitrice) molécule qu’est la nicotine.

Mais là il y a un changement : ses bienfaits thérapeutiques sont, timidement, de nouveau reconnus.

Le Covid-19 va-t-il permettre d’achever la réhabilitation de la nicotine ?

En fait les bienfaits de la nicotine n’ont jamais été oubliés… mais ils étaient tabous.

Les choses ont commencé à changer il y a quelques années lorsqu’on a découvert que la nicotine offrait un effet protecteur face aux maladies neurodégénératives comme Parkinson[9] et Alzheimer[10].

Mais vous voyez le problème : promouvoir les effets thérapeutiques de la nicotine, c’est prendre le risque de voir la population se remettre à fumer comme des pompiers et développer des cancers !

Et en plus… c’est complètement en contradiction avec les vastes campagnes pour combattre le tabagisme : messages des autorités de santé publique, hausse constante du prix du paquet de cigarettes, photos atroces sur ces mêmes paquets pour « montrer les ravages » du tabac…

C’est pourquoi les auteurs de l’étude sur l’effet protecteur du tabac contre le Covid-19 ont tout de suite pris les devants : « ce n’est pas une raison pour se mettre à fumer, fumer tue ! »

Et ils ont raison.

Les chercheurs de l’étude de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière proposent, à la fin de leur étude (c’est moi qui traduis et souligne) :

« Cela légitime l’emploi de la nicotine comme agent protecteur contre l’infection du SRAS-CoV-2 (…). Ainsi, afin de prévenir l’infection et la rétro-propagation du virus (…), nous prévoyons un essai thérapeutique contre Covid-19 avec des patchs de nicotine (et d’autres agents nicotiniques) ou d’autres méthodes de consommation (comme en renifler ou en mâcher) en milieu hospitalier pour les patients et dans la population générale »

En fait, ces solutions sont les mêmes que celles testées en ce moment-même pour Parkinson et Alzheimer.

Mangez de la nicotine (je suis sérieux)

J’ai une bonne nouvelle, c’est que la nicotine est aussi présente naturellement dans l’alimentation.

En quantité plus faible que dans le tabac, mais quand même.

A cette bonne nouvelle s’en ajoute une seconde, les produits en question sont les produits de saison qui nous arrivent : les tomates, les poivrons, les aubergines !

En effet, le tabac est une plante de la famille des solanacées, qui comprend notamment poivron, tomate, aubergine, pomme de terre, piment.

Tous ces légumes et épices contiennent un peu de nicotine, à des doses variables.

Les tomates et les poivrons en sont particulièrement riches : il peut donc être intéressant d’en manger un peu plus, purs ou sous forme de jus (de tomate par exemple).

La teneur en nicotine des solanacées est variable, de l’ordre de 2 à 7 microgrammes par kilo de produit frais.

Plus les fruits sont mûrs (tomates), moins ils contiennent de la nicotine.

Prudence avec les piments quand même, car ils augmentent la perméabilité de l’intestin grêle.

Sachez qu’on trouve aussi de la nicotine dans les feuilles de thé, vert comme noir, et parfois à des doses supérieures à celles rencontrées dans les solanacées[11].

L’avenir nous dira si les consommateurs de tomates mûres et de thé sont mieux protégés contre le Covid-19, grâce à la nicotine… mais sans fumer !

Portez-vous bien,

Rodolphe


[1] SANTI Pascal, « Coronavirus : la proportion de fumeurs parmi les personnes atteintes du Covid-19 est faible », le 22 avril 2020 sur lemonde.fr, consulté le 24 avril 2020 et disponible ici : https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/04/22/coronavirus-une-proportion-reduite-de-fumeurs-parmi-les-malades_6037365_3244.html

[2] WEI-JI Guan, Ph.D., Zheng-yi Ni, et al., Clinical Characteristics of Coronavirus Disease 2019 in China, le 28 février 2020 dans The New England Journal Of Medicine, disponible ici : https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2002032

[3] CHANGEUX J.P, AMOURA Z., et al., A nicotinic hypothesis for Covid-19 with preventive and therapeutic implications, (2020) Qeios, doi:10.32388/FXGQSB., disponible sur ce lien :

https://www.qeios.com/read/article/571

[4] VINCENT Charles, « L’usage profane du tabac chez les amérindiens », le 4 janvier 2012 sur agora.qc.ca, consulté le 24 avril 2020 et disponible ici :  http://agora.qc.ca/documents/tabac–lusage_profane_du_tabac_chez_les_amerindiens_par_charles_vincent

[5] RUSTEDJ, GRAUPNER L, O’Connell N, Nicholls C., Does nicotine improve cognitive function?Psychopharmacology (Berl. ), 1994, 115(4):547–9. DOI:10.1007/BF02245580 PMID 7871101 

[6] RUSTEDJ, GRAUPNER L, O’Connell N, Nicholls C., Does nicotine improve cognitive function?Psychopharmacology (Berl. ), 1994, 115(4):547–9. DOI:10.1007/BF02245580 PMID 7871101 

[7] JACK E. HENNINGFIELD, Neal L. Benowitz et al., Establishing a Nicotine Threshold for Addiction — The Implications for Tobacco Regulation, 14 juillet 1994, The New England Journal of Medecine, Volume 331:123-125.

[8] “Révélations, bande annonce VO” sur allocine.fr, film paru le 15 mars 2000, réalisé par Michael Mann, disponible sur ce lien : http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19587779&cfilm=22767.html

[9] MA C., LIU Y, NEUMANN S, GAO X. et al., Nicotine from cigarette smoking and diet and Parkinson disease: a review, 2017, Transl Neurodegener.

[10] SENDERS Helena, La nicotine pourrait protéger contre la maladie d’Alzheimer”, le 21 septembre 2016 sur sciencesetavenir.fr, consulté le 24 avril 2020 et disponible ici : https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/la-nicotine-pourrait-proteger-contre-la-maladie-d-alzheimer_105086

[11] SIEGMUND B, Leitner E, Pfannhauser et al., W. Determination of the nicotine content of various edible nightshades (Solanaceae) and their products and estimation of the associated dietary nicotine intake, 1999 Aug, J Agric Food Chem.; 47(8):3113-20.