Chers amis,

L’Europe a toujours acheté à la Chine.

Durant des siècles – que dis-je ! des millénaires – des caravanes qui faisaient le lien entre l’Empire du milieu et nous, transitant par l’Asie centrale, permettaient aux marchands européens de s’achalander en épices, en métaux précieux, en porcelaine et en soie

Ce tissu rare, délicat et d’un extrême raffinement, dont la Chine a jalousement gardé le secret de fabrication durant 3000 ans, a d’ailleurs fini par désigner, par métonymie, les itinéraires empruntés par ces caravanes marchandes, connus aujourd’hui – et d’après un historien allemand du XIXème siècle – comme les routes de la soie.

L’« invasion » des produits d’origine chinoise en Europe est donc aussi vieille que l’Histoire elle-même.

Mieux encore, la critique des produits d’origine chinoise en Europe est aussi vieille que ce commerce !

Au temps de Néron, le philosophe Sénèque reprochait leur impudeur aux Romaines dont les étoffes de soie alors à la mode laissaient « tout voir », tant elles étaient légères[1]. 

A bien des égards, toutes les tensions qui se sont récemment cristallisées autour de l’ouverture d’une enseigne Shein au sein de prestigieux BHV de Paris[2] ne sont que l’énième avatar de ce « choc des cultures » commercial !

Sauf que… si l’on y regarde de plus près, c’est à un complet renversement des valeurs auquel nous assistons.

Il y a 2000, 3000 ans, les marchandises qui nous arrivaient de Chine par la route de la soie étaient le comble du raffinement.

Il s’agissait de matières premières, d’artisanat, de produits d’art introuvables en Europe, et dont le long et périlleux voyage en décuplait le prix aussi bien monétaire que symbolique.

Aujourd’hui, c’est tout l’inverse : ce ne sont plus des marchandises rares et précieuses qui nous arrivent de Chine, mais des produits manufacturés à la chaîne, de qualité médiocre, et qui sont déversés par containers entiers sur notre sol.

Pour le dire autrement, il y a 2000 à 3000 ans, les marchandises chinoises nous arrivaient comme le goutte-à-goutte d’un nectar précieux ; aujourd’hui nous sommes arrosés d’un jet puissant et permanent d’eau croupie.

Ce que Shein incarne aujourd’hui, c’est l’aboutissement extrême d’un modèle que l’on pourrait appeler la fast-fashion, ou « mode rapide » (sur le modèle du fast food : une cuisine industrielle, réalisée rapidement à partir de produits ultra-transformés).

Le modèle de Shein, ce sont des dizaines de milliers de références qui apparaissent chaque semaine (8000 par jour en 2023[3] !), directement copiées depuis les tendances repérées en ligne, produites en un temps record, à des prix dérisoires.

On ne parle même plus de fast fashion, mais d’ultra fast fashion, qui fait comparativement passer les références de la fast fashion, comme H&M, pour des petits artisans.

Comment cela est-il possible ?

Cette productivité ahurissante s’explique par un alignement de facteurs qui sont autant de dérives : automatisation des chaînes de production, main-d’œuvre sous-payée, absence de normes environnementales, surveillance algorithmique du moindre frémissement stylistique sur TikTok ou Instagram, et surtout : une logistique fluide, optimisée pour le volume et non pour la qualité.

La « philosophie » derrière cette machine de guerre consumériste, c’est que le vêtement n’est plus un objet que l’on choisit avec soin, que l’on garde, que l’on répare.

Il est devenu un bien jetable, conçu pour ne durer que le temps d’un selfie, d’un post, d’une soirée. On achète, on porte, on oublie.

La boucle tourne à toute vitesse.

Et cette vitesse a un coût déplorable, dont vous avez probablement entendu parler aux infos :

  • Un coût humain : Shein fait non seulement travailler ses ouvriers 18 à 19 heures par jour[4] mais fait travailler des enfants et des Ouïghours dans des conditions indignes[5] – vous écrire cela m’interdit probablement de séjour en Chine jusqu’à la fin de mes jours ;
  • Un coût écologique : le secteur de la mode est responsable d’une part importante des émissions de carbone, de la consommation d’eau, de la pollution ; avec Shein, cette « pression » écologique est multipliée par 10 000[6], et ce d’autant plus que Shein recourt massivement aux fibres synthétiques comme le polyester, issues de l’industrie pétrochimique ;
  • Un coût culturel : l’entreprise est régulièrement vilipendée pour ses contrefaçons et ses plagiats à répétition[7] de marques comme Levi’s ou Doc Martens… qui, elles, ont les moyens de se défendre ; les « petits » fabricants artisanaux, eux, restent démunis.

La dernière preuve en date de l’absence totale d’éthique de cette industrie a éclaté il y a quinze jours seulement avec la révélation que Shein commercialisait sur son site, tranquillou-milou, des poupées pédopornographiques[8].

C’est abject.

Ce côté immonde, pour couronner le tout, affecte directement la santé de ceux qui portent ces vêtements.

L’absence totale de morale écologique et le mépris radical envers les droits humains de cette industrie commencent à être connus.

Ce que l’on dit encore trop peu, c’est que ces vêtements peuvent aussi être dangereux pour la santé.

Pas seulement pour la planète, pas seulement pour les travailleurs exploités dans les usines, mais bel et bien pour ceux qui les portent.

Plusieurs enquêtes ont mis en lumière la présence de substances chimiques toxiques dans les articles vendus par Shein et d’autres marques d’ultra fast fashion.

Je vous en ai déjà parlé récemment à propos des sous-vêtements[9].

Dans le cas des produits de l’ultra-fast-fashion, elles s’élèvent partout à des niveaux ahurissants :

  • Phtalates : utilisés pour assouplir certains matériaux plastiques ou composants (chaussures, accessoires). Lorsqu’on y est exposé à fortes doses, cela peut perturber le système endocrinien (hormones) et affecter la fertilité[10] ;
  • Plomb : trouvé dans certaines teintures, pigments, accessoires ou chaussures produites par Shein[11]. Or le plomb est un neurotoxique : le contact prolongé avec la peau, surtout chez les enfants, peut nuire au développement cérébral ; il est également toxique pour les reins et le système reproducteur ;
  • Formaldéhyde : peut être utilisé dans le traitement des tissus afin d’éviter qu’ils se froissent ou se dégradent. Est classé comme substance potentiellement cancérigène pour l’homme[12] ;
  • Colorants azoïques : libèrent des amines cancérigènes. Certains vêtements fast-fashion utiliseraient des teintures peu régulées ;
  • Substances per- et polyfluoroalkyl (PFAS) ou autres additifs chimiques connus pour être des polluants éternels que l’on retrouve désormais dans les sols et les eaux[13].

En tout, ce sont 71 % des produits provenant de certaines plateformes d’ultra-fast-fashion en ligne qui ne respectent pas les législations chimiques de l’UE.

Oui, je vous parle bien de substances interdites ou sévèrement réglementées en Europe, mais qui se retrouvent pourtant dans des vêtements pour enfants, des chaussures, des sacs à main.

Acheter des produits ainsi fabriqués n’est donc pas seulement une aberration écologique et humaine.

C’est un scandale sanitaire à proprement parler.

C’est comme fumer 14 paquets de cigarettes par jour !…

… Sauf qu’aucun message écrit dessus ne vous met en garde.

C’est un cancer industriel à propagation rapide. A propagation ultra-rapide.

Et lorsque je vois les clients se ruer en masse à l’ouverture de l’enseigne Shein et prôner fièrement « On s’habille déjà tous chinois »[14], c’est un sentiment de nausée qui me vient.

Il est temps, plus que temps, de mettre fin à cette insanité.

Pour ce faire, je ne saurais que trop vous recommander de signer et de partager massivement la pétition lancée par Louis Volta il y a quelques jours :

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet


[1] https://www.caminteresse.fr/societe/la-merveilleuse-histoire-de-la-soie-et-ses-utilisations-inattendues-11196362/ – Pierre Morel, « La merveilleuse histoire de la soie et ses utilisations inattendues », in Ça m’intéresse, 11 août 2024

[2] https://www.rts.ch/info/economie/2025/article/shein-en-plein-bad-buzz-avec-l-ouverture-d-un-magasin-au-c-ur-de-paris-29047833.html – « Shein en plein bad buzz avec l’ouverture d’un magasin au cœur de Paris», site de la RTS, 4 novembre 2025

[3] https://www.lesechos.fr/industrie-services/mode-luxe/video-comment-shein-est-devenu-le-roi-de-lultra-fast-fashion-1952600 – « Comment Shein est devenu le roi de l’ultra fast fashion », in Les Échos, 15 juin 2023

[4] https://time.com/6247732/shein-climate-change-labor-fashion – Astha Rajvanshi, « Shein is the World’s Most Popular Fashion Brand – at a Huge Cost to Us All », in Time, 17 janvier 2023

[5] https://www.researchgate.net/publication/388553446_Ethical_Challenges_in_the_Fast_Fashion_Industry_The_Case_of_Shein – Giovana Santa Rosa Lans & Paulo Alfonso Brardo Duarte, « Ethical Challenges in the Fast Fashion Inudstry : the Case of Shein », in Revista Econonmia y Politica, janvier 2025

[6] https://www.eco-stylist.com/environmental-impact-of-shein – Debora Gamino, « The Dark Side of Fast Fashion : Exploring the Environmental Impact of Shein », in Eco-Stylist, octobre 2024

[7] https://www.leparisien.fr/economie/shein-zaful-romwe-derriere-d-influentes-marques-a-bas-prix-le-regne-de-l-opacite-et-des-contrefacons-11-10-2020-8400453.php – Paméla Rougerie, « Shein, Zaful, Ronwe : derrière d’influentes marques à bas prix, le règne de l’opacité et des contrefaçons », in Le Parisien, 11 octobre 2020

[8] https://presse.economie.gouv.fr/la-dgccrf-saisit-le-procureur-de-la-republique-apres-avoir-constate-la-commercialisation-de-poupees-sexuelles-a-caractere-pedopornographique-par-shein/ – « La DGCCRF saisit le procureur de la République après avoir constaté la commercialisation de poupées sexuelles à caractère pédopornographique par Shein » (communiqué de presse), 1er novembre 2015

[9] https://alternatif-bien-etre.com/alternatif-bien-etre/les-dessous-des-sous-vetements/ – Rodolphe Bacquet, « Les dessous des sous-vêtements », site d’Alternatif Bien-Être, 22 octobre 2025

[10] https://www.lemonde.fr/en/international/article/2024/08/14/shein-and-temu-products-found-to-contain-high-levels-of-toxic-chemicals_6715032_4.html – « Shein and Temu products found to contain high levels of toxic chemicals », in Le Monde (édition internationale), 14 août 2024

[11] https://iosh.com/news-and-opinion/ultra-fast-fashion – Eloise Byrne Cmiosh, « Ultra-fast fashion – hazardous chemicals in supply chain », in Iosh, 10 janvier 2025

[12] https://www.cimmino.com/en/toxic-fabrics-in-sheins-clothes-what-are-the-materials-to-avoid – « Toxic fabrics in Shein’s clothes : what are the materials to avoid ? », in Cimmino

[13] https://greenamerica.org/blog/shameless-shein – « Shemeless Shein », in Green America, 1er novembre 2022

[14] https://greenamerica.org/blog/shameless-shein – « Shemeless Shein », in Green America, 1er novembre 2022