La régularité de votre sommeil est probablement plus importante que sa durée

Chers amis,

Dormir est l’une des activités les plus nécessaires et naturelles à tout être vivant, et pourtant la « science du sommeil » est encore, somme toute, balbutiante.

Vous avez probablement déjà entendu parler des différentes phases de sommeil : par exemple le sommeil profond, le plus réparateur, ou le sommeil paradoxal, propice aux rêves.

Vous connaissez sans doute aussi la durée de sommeil idéale, et celle à éviter, qui diffère selon l’âge[1] (plus vous avancez en âge, moins vous avez besoin de sommeil) :

Cette durée est importante car « sortir des clous » est nettement associé à un risque supérieur de démence : ainsi les jeunes adultes qui ont un sommeil trop court (moins de six heures) et les séniors qui ont un sommeil trop long (plus de 8 heures) ont tous deux un risque respectivement majoré de 33 %[2] et 64 %[3] de développer une démence.

(une précision : le lien de cause à effet entre ces dérèglements du sommeil et la démence n’est pas démontré ; autrement dit on ignore toujours, à ce stade, si cette anomalie de sommeil est une cause, ou une conséquence, de la démence)

Cependant, ces derniers mois, des études d’observation sur le sommeil s’accumulent, et ce qu’elles laissent entendre est sans ambiguïté : la régularité de votre sommeil est encore plus importante que la durée totale de votre sommeil.

Couchez-vous tard, couchez-vous tôt, mais couchez-vous à la même heure !

Face au sommeil, comme face au gras ou au sucre, nous ne sommes pas tous égaux.

Il y a ceux qui dorment à peine 6 heures et qui se réveillent frais comme un gardon, il y a ceux qui, sans leurs 8 heures, sont d’une humeur massacrante et/ou au radar ;

Il y a les lève-tard, les lève-tôt…

Ces différences constitutives, résultats de cette grande loterie de la vie qu’est la génétique, constituent ce qu’on appelle votre chronotype.

Certains s’endorment rien qu’en fermant les yeux dès 21h30 ; d’autres auront beau prendre des tisanes sommeil, se faire offrir un massage relaxant ou lire un livre soporifique, rien à faire : ils n’arriveront pas à s’endormir avant minuit.

Ces « variables » sont définies en fonction de votre chronotype, c’est-à-dire de votre rythme biologique naturel, la tendance de votre organisme à être plus éveillé, actif et performant à certains moments de la journée plutôt qu’à d’autres.

C’est votre profil « sommeil-veille », déterminé par votre horloge interne.

Il existe certes des aménagements possibles pour « optimiser » votre sommeil et en particulier la phase d’endormissement – j’y reviendrai – mais ce que nous enseignent plusieurs études concordantes publiées ces derniers mois, c’est qu’il est capital de ne pas dérégler cette horloge interne.

Autrement dit : que vous vous couchiez tôt ou tard, il est important que vous vous couchiez à des horaires réguliers, et ce tout au long de la semaine, et de l’année.

Les bienfaits apportés par cette régularité vont au-delà de ce à quoi je m’attendais.

Réglé comme une horloge, vous vivrez mieux, et plus longtemps

Que montrent ces études de population à grande échelle ?

La plus récente[4] d’entre elles, menée sur 458 adultes âgés, montre qu’une meilleure régularité du sommeil est associée à de meilleures fonctions cognitives.

L’équipe a constaté que les personnes ayant des horaires de sommeil plus réguliers présentaient de meilleures capacités de réflexion et des taux plus élevés de facteur neurotrophique dérivé du cerveau (BDNF), une protéine essentielle à la mémorisation et à la plasticité cérébrale.

En revanche, des rythmes perturbés ont été associés à l’accumulation de bêta-amyloïde, l’un des marqueurs de la maladie d’Alzheimer, comme je vous en parlais encore récemment. 

Une plus vaste étude de Harvard, effectuée sur 5 ans, montre que se coucher et se réveiller chaque jour à la même heure améliore les performances cognitives, stimule la santé mentale, est associées à une meilleure santé cardiaque, à une réduction de l’inflammation et à de meilleurs résultats dans presque tous les marqueurs de santé[5].

Cette étude confirme les résultats de précédentes études qui montraient que le fait de respecter des horaires de sommeil réguliers soutient la santé cardio-vasculaire[6] et réduit entre 20 et 48 % le risque de mortalité toutes causes confondues, et notamment de mortalité cardio-métabolique et par cancer[7].

De façon assez stupéfiante, dans cette dernière étude, menée sur plus de 60 000 adultes, la régularité prédisait la mortalité mieux que la durée du sommeil.

En somme, respecter la régularité de vos heures de coucher et de lever offre un « grand Chelem » en termes de prévention de maladies cardiaques, de cancer, de démence et de maladies métaboliques.

Le travail en horaires décalés classé comme « cancérogène probable »

Ces résultats concordent avec ceux d’autres études[8] qui, a contrario, démontraient un risque accru de développer ces mêmes maladies chez les personnes ayant des horaires de travail irréguliers et/ou de nuit.

Ainsi, un sommeil irrégulier :

  • perturbe la régulation de la pression artérielle ;
  • augmente l’inflammation systémique ;
  • et interfère avec le métabolisme du glucose, en partie parce que les rythmes circadiens aident à orchestrer ces processus.

Ces effets s’expliqueraient par le dérèglement hormonal provoqué par le déséquilibre circadien – donc de votre horloge biologique.

Lorsque les horaires de sommeil sont irréguliers, l’organisme peut libérer des hormones de stress comme le cortisol à des moments inopportuns, ce qui sollicite les vaisseaux sanguins et altère la régulation de la glycémie. À terme, cela peut contribuer à l’hypertension, à la résistance à l’insuline et même à l’inflammation chronique.

Ces dérèglements sont parfaitement documentés, et ont même conduit l’OMS à classer le travail en horaires décalés comme cancérogène probable.

Comment vous assurer d’avoir des heures de sommeil régulières ?

Que vous soyez retraité ou non, il importe donc, si ce n’est pas encore le cas, que vous ayez des horaires réguliers.

J’insiste sur « réguliers », qui ne signifie pas « rigides ».

Il ne s’agit pas de vous coucher tous les soirs à vingt-deux heures zéro zéro, pour vous lever à six heures zéro zéro, mais d’avoir la même fenêtre de tir chaque soir et chaque matin… naturellement.

Il est de plus en plus difficile, pour certains de nos contemporains, de tenir un rythme stable, car nous nous trouvons dans une époque qui cultive les outils de dérégulation : écrans jusqu’à minuit, travail décalé, stress chronique, Netflix en rafale, et j’en passe.

La première mesure consiste donc à limiter, voire supprimer ceux que vous pouvez parmi ces outils de dérégulation :

  • la caféine : abstenez-vous de consommer du café, du thé noir, ou des boissons stimulantes dans l’après-midi ou soir (au moins 6 heures avant le coucher) pour ne pas gêner l’endormissement. 
  • l’alcool : bien que l’alcool puisse provoquer somnolence initiale, il fragmente le sommeil. Évitez-le en soirée, ou limitez-le aux occasions festives ; le meilleur moment pour boire votre verre de vin rouge, c’est en fin d’après-midi, à 17h !
  • les siestes prolongées : je suis un grand défenseur de la sieste… mais de la sieste courte : 10 à 15 minutes maximum. Une sieste trop longue ou tardive risque de décaler le sommeil nocturne.

Parmi les autres moyens pour favoriser un bon réglage de votre horloge circadienne, et donc la régularité de vos heures de sommeil, il y a l’exposition à la lumière.

En journée : exposez-vous à la lumière naturelle dès que possible (allez dehors, gardez la fenêtre ouverte). Le soir : diminuez la lumière, évitez les écrans (ou utilisez des filtres de lumière « bleue ») 1 à 2 heures avant le coucher ; et, dans votre chambre, gardez l’espace sombre, avec des volets opaques ou des rideaux épais.

Cette dernière recommandation contribue également à vous aménager un sanctuaire de sommeil, qui comprend aussi une température fraîche (autour de 17–20°C selon ce qui est confortable), l’absence de bruit (ou usage de bouchons ou bruit blanc si nécessaire).

Et puis… détendez-vous avant de vous coucher ! en évitant certes films, séries et même lectures « palpitantes » (préférez-leur des lectures apaisantes !), mais aussi un bain ou une douche chaude, qui permettra à votre température corporelle de baisser.

Reste la délicate question de la grasse matinée.

Les auteurs de l’étude de Harvard que j’ai mentionnée plus haut estiment qu’elle peut évidemment être utile, le week-end, en cas de besoin de rattrapage. Il vaut toujours mieux rembourser une dette de sommeil !

Hormis ces cas exceptionnels, il ne faut pas en faire une habitude : cela dérègle précisément votre horloge biologique… avec les risques que nous avons vu.

Si vous avez des « trucs » ou des rituels pour avoir une routine et une qualité de sommeil stables, je vous invite à les partager en commentaire. 

Portez-vous bien,

Rodolphe


[1] https://www.thensf.org/wp-content/uploads/2020/10/NSF-SleepDurationTiming_Background-1200×1312-1.jpg – National Sleep Foundation, « Recommended Sleep Durations »

[2] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25438949/ – Christian Benedict, Liisa Byberg, Jonathan Cedernaes et al., « Self-reported sleep disturbance in associated with Alzheimer’s disease risk in men », in. Alzheimers Dement, 11 septembre 2019

[3] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/38301285/ – Ying Xiong, Jonas Tvedt, Dorina Cadar et al., « Impact of sleep duration and sleep disturbances on the incidence of dementia and Alzheimer’s disease : a 10-year follow-up study », in. Psychiatry Research, mars 2024

[4] https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1389945725003636 – Yue Cao, Jaehee Lee, Jaehoon Seol, et al., « Sleep Regularity is associated with cognitive function and shows an inverted U-shaped relationship with serum brain-derived neurotropic factor », in. Sleep Medicine, octobre 2025

[5] https://www.sleephealthjournal.org/article/S2352-7218%2823%2900166-3/fulltext – Tracey L. Sletten, Matthew D. Weaver, Russell G Foster, et al., « The importance of sleep regularity : a consensus statement of the Natoonal Sleep Foundation sleep timing and variability panel », in. Sleep Health, vol.9, issue 6, décembre 2023

[6] https://www.nih.gov/news-events/nih-research-matters/irregular-sleep-patterns-may-raise-risk-heart-disease – « Irregular sleep patterns may raise risk of heart disease », in. National Institute of Health, 10 mars 2020

[7] https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC10782501/ – Daniel P. Windrer, Angus C. Burns, Richa Saxena, et al., « Sleep regularity is a stronger predictor of mortality risk than sleep duration: a prospective cohort study », in. Sleep, 21 septembre 2023

[8] https://www.ahajournals.org/doi/10.1161/CIRCRESAHA.125.325613 – Tianyi Huang, « Sleep Irregularity, Circadian Disruption and Cardiometric Disease Risk », in. Circulation Research, 14 août 2025