Chers amis,

Il y a exactement un mois, le 1er août dernier, décédait à l’âge respectable de 96 ans Leonard Hayflick[1].

Qui était Leonard Hayflick, me demanderez-vous ?

Eh bien, Leonard Hayflick était un chercheur en microbiologie, et c’est lui qui a très précisément découvert la raison biologique pour laquelle personne ne vit éternellement.

Autrement dit, pourquoi nous sommes tous mortels.

Que nous sommes tous mortels, nous le savons tous.

Mais la raison pour laquelle on ne peut rien contre le processus implacable de la sénescence, c’est à ce scientifique que nous la devons ; une raison d’ailleurs baptisée « limite de Hayflick ».

C’était dans les années 1960.

Hayflick était alors un jeune scientifique à l’Institut Wistar, au sein de l’Université de Pennsylvanie. Il essayait de développer des lignées de cellules embryonnaires saines afin d’étudier si les virus pouvaient provoquer certains types de cancer.

Mais c’est autre chose qu’il a découvert : il a rapidement remarqué que les cellules somatiques, c’est-à-dire non reproductrices, se divisaient entre 40 et 60 fois, avant de sombrer dans ce qu’il appelait la sénescence.

À mesure que les cellules sénescentes s’accumulent, le corps lui-même commence à vieillir et à décliner. Les seules cellules qui n’entrent pas en sénescence, a-t-il également découvert, sont… les cellules cancéreuses.

Les cellules humaines ne peuvent donc se diviser qu’un nombre limité de fois avant de perdre leur capacité de régénération.

Cette découverte a fait date car, jusqu’alors, la thèse dominante était que les cellules « vieillissaient » sous l’influence de causes externes telles que la maladie. Hayflick a démontré que le vieillissement n’était pas la réaction à une cause externe mais la conséquence d’un processus interne, programmé dès le départ.

Ainsi, peu importent les avancées technologiques, le vieillissement reste un processus biologique profondément enraciné dans notre ADN (nous avons appris, depuis, que cette limite est directement liée à l’usure des télomères, les structures protectrices des chromosomes, qui raccourcissent à chaque division cellulaire).

Hayflick estimait la limite de longévité maximale atteignable par le corps humain à 125 ans.

Une limite qui n’a cependant encore jamais été atteinte, le record de longévité humaine étant à ce jour toujours détenu par Jeanne Calment, décédée à l’âge de 122 ans et 164 jours.

Pourtant, aujourd’hui encore, des « chercheurs » prétendent réussir à repousser cette limite.

Leonard Hayflick critiquait avec virulence ceux qui pensaient pouvoir découvrir la science de la vie éternelle.

Il considérait cette idée comme une illusion et sa poursuite comme une folie, voire une fraude pure et simple.

Cette illusion, cette fraude, font pourtant, aux USA, le succès de cliniques promettant de rallonger l’espérance de vie de ses clients, voire d’atteindre l’immortalité.

L’aspiration à repousser les limites de notre existence est un rêve aussi ancien que l’humanité elle-même.

Ce « rêve » est aujourd’hui porté par des entrepreneurs milliardaires de la Silicon Valley, comme Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, qui entendent amasser des années de vie supplémentaires comme ils ont amassé des dollars.

Certains, comme Bryan Johnson, vont jusqu’à se faire transfuser du plasma de jeunes donneurs dans l’espoir de rajeunir leurs cellules grâce à la start-up Ambrosia Plasma[2].

Le nom de cette clinique de longévité fait évidemment référence à l’ambroisie des dieux qui, dans la mythologie grecque, avait le pouvoir de conférer l’éternelle jeunesse à celui qui en buvait.

Bryan Johnson est l’une des figures les plus médiatiques de ce délire transhumaniste, qui s’appuie sur des avancées en biotechnologie, en intelligence artificielle et en génétique, promettant une société où la mort serait vaincue. Sur sa page Instagram, il clame d’ailleurs : « Votre seule ennemie, c’est la mort. »[3]

Malgré ses promesses hors-sol et ses investissements colossaux, les résultats tangibles du transhumanisme ressemblent plus à de la science-fiction qu’à une thérapie.

Les techniques en développement, qu’il s’agisse de thérapies géniques, d’injections de plasma sanguin ou de suppléments alimentaires sophistiqués, ont un impact marginal par rapport à des mesures de santé plus conventionnelles comme… une hygiène de vie raisonnée.

Sans compter que ces doux rêveurs, à mesure qu’ils avancent dans leur lutte contre le vieillissement, ressemblent de plus en plus à des statues de cire où l’étincelle de vie et d’humanité semble s’éteindre. En tout cas, telle est mon impression.

Hasard du calendrier, quelques jours après le décès de Leonard Hayflick, une étude publiée dans Nature Aging posait des « bornes d’étape » dans cette course implacable du vieillissement humain.

En suivant 108 participants âgés de 25 à 75 ans durant plusieurs années, les chercheurs ont observé que la dégradation cellulaire provoquée par la sénescence ne se produit pas de façon linéaire.

Pour le formuler autrement, on ne vieillit pas petit à petit, mais par à-coup.

Au cours du suivi des participants, qui consistait notamment à analyser des marqueurs biométriques comme la capacité régénérante des cellules musculaires et cutanées, les chercheurs ont identifié ce qui constitue, d’après eux, deux grands « caps » du vieillissement.

Les âges de 44 et 60 ans seraient, ainsi, deux des grandes « bornes » du processus du vieillissement[4]. 

Autour de 44 ans, la capacité des cellules à se régénérer diminue et on récupère moins vite d’un effort ; votre métabolisme « gère » également moins bien l’afflux de lipides (des graisses) et d’alcool, ce qui explique également l’apparition plus fréquente de maladies cardiovasculaires à la quarantaine.

Autour de 60 ans, ce sont principalement deux autres fonctions métaboliques qui perdent en efficacité : la régulation des glucides (des sucres), ce qui explique l’explosion statistique des diabètes de type 2, et la régulation immunitaire, qui est moins efficace.

Inutile, donc, d’essayer de suivre le rêve transhumaniste des milliardaires de la Silicon Valley (si toutefois vous en aviez les moyens) et de faire vôtre le fameux adage « passé les bornes, y’a plus de limites ».

La mort est têtue, et le vieillissement de plus en plus précisément borné.

En revanche, dans la limite de ces bornes inévitables du déclin biologique, il est possible de « bien vieillir », c’est-à-dire tout simplement de vieillir en bonne santé.

En effet, le vieillissement est également influencé par notre environnement et notre mode de vie.

Le stress, l’exposition à la pollution, et même des changements dans notre microbiome affectent la vitesse à laquelle nous vieillissons.

Bien que nous soyons programmés pour vieillir, les facteurs externes jouent un rôle tout aussi crucial dans ce processus.

Ce sont des conseils pour espérer faire de votre vie la plus heureuse et longue possible que je m’efforce de vous donner par l’intermédiaire de mes lettres, mais également des revues et des programmes vidéo que j’édite.

La vie humaine est précieuse précisément parce qu’elle est limitée.

Le défi n’est peut-être pas tant de prolonger la vie à tout prix, mais de la vivre pleinement, en acceptant avec philosophie les limites imposées par la nature et la biologie.

Le vieillissement fait partie intégrante de l’expérience humaine. En faire un naufrage ou une expérience édifiante tient à chacun de vos choix.

En décédant à l’âge de 96 ans, Leonard Hayflick l’a bien compris, tout en nous rappelant qu’il existe encore une jolie marge de progression.

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet


[1] https://www.nytimes.com/2024/08/17/science/leonard-hayflick-dead.html – « Leonard Hayflick, who discovered why no one lives forever, dies at 96 », in. The New York Times, 17 août 2024

[2] https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/l-etre-humain-est-programme-pour-vivre-jusqu-a-120-ans-quand-la-silicon-valley-lance-un-defi-a-la-mort-20240819 – Claudia Cohen, « L’être humain est programmé pour vivre jusqu’à 120 ans : quand la Silicon Valley lance un défi à la mort », in. Le Figaro, 19 août 2024

[3] https://www.instagram.com/bryanjohnson_/?hl=fr

[4] https://www.nature.com/articles/s43587-024-00692-2 – Xiaotao Shen, Chuchu Wang, Xin Zhou, et al., « Nonlinear dynamics of multi-omics profiles during human aging », in. Nature Aging, 14 août 2024