Chers amis,

Je vous écrivais, dans ma précédente lettre, comment des êtres microscopiques sont capables de prendre le contrôle du cerveau de leur hôte et de faire agir ce dernier dans leur propre intérêt…

Ces parasites, comme Toxoplasma Gondii, poussent ainsi les rats qu’ils infectent à se précipiter tête la première vers les chats : une fois le rat dévoré par le félin, le parasite peut poursuivre son développement (dans l’estomac).

Si le chat est un porteur sain du protozoaire provoquant la toxoplasmose, il n’en va pas de même de l’être humain.

Si une mère attrape la toxoplasmose durant sa grossesse, la maladie peut avoir des conséquences vraiment dramatiques sur le cerveau de l’enfant : troubles mentaux et psychomoteurs, épilepsie, encéphalite…

Si, à l’âge adulte, les symptômes les plus répandus d’une infection à la toxoplasmose peuvent ressembler à ceux de la grippe, d’autres symptômes peuvent cependant être beaucoup plus surprenants.

Un homme et une femme peuvent, eux aussi, agir sous l’emprise de ce parasite.

Un homme dévoré par un chat ??

A priori on pourrait se dire que, pour le toxoplasme, il est peine perdue de nous infecter : il y a en effet peu de risques qu’un homme se fasse dévorer par un chat !

Mais sous d’autres latitudes, il arrive couramment qu’un primate soit la proie d’un félin, et comme pour le rat le toxoplasme est en mesure de manipuler le comportement des singes pour qu’ils se jettent dans les pattes de léopards.

Le goût du toxoplasme pour l’homme pourrait ainsi être un vestige de l’évolution, une stratégie devenue assez mauvaise pour le parasite, mais qui garde des conséquences très concrètes sur notre santé.

Car l’être humain est en effet bel et bien une cible du parasite.

À l’échelle mondiale, une personne sur trois est infectée par le toxoplasme, avec de fortes variations d’une zone géographique à l’autre : le taux d’infection est faible en Asie et en Amérique, et élevé en Afrique et en Europe.

Ces variations s’expliquent par une plus ou moins grande proximité avec les chats et par les habitudes alimentaires, la contamination pouvant se produire lors de l’ingestion de viande mal cuite ou de crudités souillées.

C’est chez le fœtus que les risques associés à la toxoplasmose sont les plus forts – je vous en ai déjà parlé.

Mais chez les personnes dont le système immunitaire est affaibli, la maladie peut également avoir de très graves conséquences, entraînant la défaillance de multiples organes et parfois le décès.

Chez les personnes à l’immunité normale, l’infection semble bénigne : le parasite reste dans l’organisme sous une forme dormante, formant des kystes dans les tissus musculaires et nerveux.

Mais il adore aussi se loger dans le cerveau, confortablement installé à l’intérieur des neurones ou des cellules gliales. Et contrairement à ce qu’on a longtemps cru, sa présence pourrait avoir un retentissement sur notre comportement et même notre santé mentale.

Le toxoplasme rend les hommes plus entreprenants et les femmes, plus moralistes !

Voici Jaroslav Flegr, chercheur au département de parasitologie de l’université Charles de Prague, en République Tchèque 

Ce biologiste et parasitologue mène depuis plusieurs années des recherches sur les effets de la toxoplasmose sur la personnalité des hommes et des femmes.

Ses découvertes sont surprenantes.

Elles ont mis en évidence que les personnes infectées par la toxoplasmose développent de façon nette certains traits de caractère spécifiques par rapport à celles qui ne le sont pas[1].

Non seulement les différences sont notables, mais elles ne s’expriment pas de la même façon selon que vous êtes un homme ou une femme.

Ainsi, les hommes porteurs du toxoplasme ont tendance à enfreindre les règles, à être plus suspicieux et jaloux que les hommes non infectés.

Quant aux femmes contaminées, elles sont plus chaleureuses, consciencieuses et moralistes que les femmes non infectées.

Notre personnalité pourrait ainsi être « sous emprise » de ce parasite.

Vos choix de vie sont-ils influencés par un toxoplasme ?

En modifiant notre caractère et en effaçant certaines craintes, le toxoplasme semble même en mesure d’orienter certains projets de vie.

Une étude menée il y a quatre ans par des chercheurs de l’université du Colorado a montré que le parasite ne serait pas étranger à l’esprit d’entrepreneuriat : les personnes infectées se lancent plus facilement dans la création d’entreprise que celles qui ne le sont pas[2].

Et les pays où la contamination est la plus répandue sont également ceux où on compte le plus d’entrepreneurs[3] ! 

Si encourager à la création d’entreprise peut être interprété comme une conséquence positive du toxoplasme, d’autres le sont… beaucoup moins.

L’infection semble en effet affecter les performances psychomotrices, allonger le temps de réaction et affecter les capacités de concentration[4].

Au point d’avoir une incidence sur la mortalité routière.

Un million d’accidents de la route par an ?

Jaroslav Flegr et son équipe ont réalisé des analyses de sang chez 146 personnes admises à l’hôpital de Prague à la suite d’un accident qu’elles avaient provoqué, et comparé les taux d’infection par le parasite à 446 personnes choisies au hasard.

Les analyses ont révélé que l’infection par le toxoplasme multiplie par 2,65 le risque d’accident de la route[5].

D’après Jaroslav Flegr, le toxoplasme pourrait ainsi causer jusqu’à 1 million d’accidents de la route par dans le monde[6] !

Si le toxoplasme semble en mesure de modifier la personnalité des personnes qu’il infecte, il pourrait même aller jusqu’à favoriser le développement de maladies psychiatriques, comme la schizophrénie.

Une méta-analyse de travaux menés pendant un demi-siècle a montré que les personnes souffrant de schizophrénie sont plus fréquemment atteintes par la toxoplasmose que le reste de la population, à tel point qu’une personne porteuse du parasite aurait 2,7 fois plus de risques de développer une schizophrénie par rapport à une personne épargnée par l’infection[7] !

L’implication du toxoplasme est également soupçonnée dans la survenue d’autres troubles psychiques : troubles bipolaires, troubles obsessionnels compulsifs, troubles du spectre de l’autisme.

La présence du parasite perturberait les messagers chimiques présents au niveau du cerveau, et conduirait notamment à une augmentation de la production de l’un d’eux, la dopamine, impliquée dans les comportements agressifs et dans la survenue des maladies psychotiques.

Infecté, donc plus séduisant !

Dans le monde animal, la présence d’un parasite provoque normalement de la répulsion pour l’hôte : la femelle fuit le mâle contaminé.

Avec la toxoplasmose, c’est l’inverse : des chercheurs ont en effet montré que les rates sont irrésistiblement attirées par les mâles contaminés !

C’est « tout bénéf » pour le toxoplasme car les rats infectés ont ainsi tout loisir de s’accoupler et de transmettre le parasite aux femelles, et à une partie de la portée née de ces unions[8].

La possibilité d’une transmission sexuelle du toxoplasme avait été pressentie dès 1978, quand une équipe avait mis en évidence la présence du parasite dans la semence de béliers[9].

Ce « succès amoureux » des mâles infectés par Toxoplasma gondii pourrait être lié à un phénomène hormonal.

Une étude de 2015 a en effet montré que le parasite augmente chez l’être humain la production de testostérone (la fameuse « hormone virile »)… mais uniquement chez l’homme[10].

Ceci explique vraisemblablement les différences de caractères observées chez les hommes et les femmes en cas de contamination…

… Mais cela rend-il les hommes infectés par la toxoplasmose plus séduisants pour les femmes ? À ma connaissance, aucune étude ne porte sur ce sujet !

Que faire contre la toxoplasmose ?

À ce stade, vous vous demandez sans doute comment traiter la toxoplasmose.

Le dépistage, je vous l’ai écrit dans ma première lettre sur le sujet, est régulièrement effectué chez les femmes enceintes, mais pas dans la population courante – il est donc possible, mais il reste à convaincre votre médecin de vous le prescrire…

Cependant, à l’heure actuelle, il n’existe pas de solution thérapeutique permettant d’éradiquer totalement le parasite de l’organisme.

Les traitements médicamenteux sont administrés aux personnes les plus fragiles pour contrôler la phase aiguë de l’infection et éviter la survenue de graves complications.

Ils reposent en général sur l’administration de pyriméthamine, souvent associée à une autre molécule, la sulfadiazine.

La pyriméthamine avait été au cœur d’un scandale aux États-Unis en 2015 quand le prix du Daraprim®, un médicament élaboré à partir de celle-ci, était passé de 13,50 à 750 dollars après son rachat par la société Turing Pharmaceuticals !

Les traitements classiques ont donc une efficacité limitée, sont coûteux et ne sont pas dépourvus d’effets indésirables… d’autant qu’ils peuvent engendrer une biorésistance chez le parasite.

En réalité, à l’heure actuelle les remèdes les plus prometteurs se trouvent du côté de certaines plantes médicinales qui possèdent en effet des vertus anti-toxoplasmose, mises en évidence au cours de tests en laboratoire et chez l’animal[11].

La plante qui reçoit le plus d’attention est familière de mes lecteurs puisqu’il s’agit d’Artemisia annua :son principe actif, l’artémisinine, est déjà reconnu pour sa capacité à lutter contre un autre parasite dont je vous ai également parlé dans ma dernière lettre, à savoir le redoutable Plasmodium, responsable du paludisme.

Capable d’inhiber le développement du toxoplasme, de toxicité faible et peu coûteuse, elle pourrait contribuer à l’émergence d’un nouveau traitement.

Parmi les autres candidates potentielles issues du monde végétal, figurent la réglisse (Glycyrrhiza glabra), le Tongkat Ali (Eurycoma longifolia), Vernonia colorata, le Ginkgo biloba, l’oignon (Allium cepa), le gingembre (Zingiber officinale), la muscade (Myristica fragrans), l’astragale de Chine (Astragalus membranaceus), la scutellaire du Baïkal (Scutellaria baicalensis), la myrrhe(la résine qui provient de l’arbre Commiphora molmol), la nigelle (Nigella sativa) et le sureau noir (Sambucus nigra).

Si l’on vous a diagnostiqué une toxoplasmose et que vous souhaitez partager votre expérience, n’hésitez pas à laisser votre témoignage en commentaire de cette lettre.

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet


[1] Flegr J. Effects of toxoplasma on human behavior. Schizophr Bull. 2007 May;33(3):757-60. doi: 10.1093/schbul/sbl074. Epub 2007 Jan 11. PMID: 17218612; PMCID: PMC2526142.

[2] Johnson SK et al. Risky business: linking Toxoplasma gondii infection and entrepreneurship behaviours across individuals and countries. Proc Biol Sci. 2018 Jul 25;285(1883

[3] Lafferty KD. “Can the common brain parasite, Toxoplasma gondii, influence human culture? Proc R Soc B Biol Sci. 2006;273:2749–2755

[4] Havlicek J et al. Decrease of psychomotor performance in subjects with latent ‘asymptomatic’toxoplasmosis. Parasitology. 2001;122:515–520

[5] Flegr J et al., “Increased risk of traffic accidents in subjects with latent toxoplasmosis : a retrospective case-control study”, BMC Infectious Diseases, 2002, doi: 10.1186/1471-2334-2-11

[6] « Findings: ‘Harmless’ bug may be killer», Times Higher Education, août 2002, https://www.timeshighereducation.com/news/findings-harmless-bug-may-be-killer/170964.article

[7] Torrey EF et al., “Toxoplasma gondii and other risk factors for schizophrenia: an update”, Schizophr Bull, mai 2012;38(3):642-7.

[8] Shantala Arundathi Hari Dass et al., “Protozoan Parasite Toxoplasma gondii Manipulates Mate Choice in Rats by Enhancing Attractiveness of Males”, PLoS One. 2011; 6(11): e27229.

[9] Spence JB et al., “Toxoplasma gondii in the semen of rams”, Vet Rec,1978;102(2):38–39.

[10] Zghair KH et al., “The effect of toxoplasmosis on the level of some sex hormones in males blood donors in Baghdad”, J Parasit Dis., septembre 2015;39(3):393-400. doi: 10.1007/s12639-013-0382-6. Epub 2013 Nov 21.

[11] Sharif M et al., “The efficacy of herbal medicines against Toxoplasma gondii during the last 3 decades: a systematic review”, Can J Physiol Pharmacol, 2016 Dec;94(12):1237-1248.