Chers amis,

Le mois de mai qui débute demain, avec sa Fête du travail, son muguet et ses ponts à n’en plus finir, inspire un curieux mélange d’hédonisme et de combat.

La douceur et même la chaleur des températures, la nature bourgeonnante et plantureuse, déroulent de nouveau le tapis rouge à des plaisirs endormis par l’hiver, et où domine la légèreté.

Légèreté des vêtements : comme il est agréable de raccrocher le manteau à la penderie, et de ressortir vestes, chemises et robes ; légèreté des fruits regagnant les étals des marchés, des repas pris en terrasse ; légèreté des promenades et des lectures au soleil.

C’est la saison des amours, des cerises, des fraises et des asperges !

Mais le mois de mai est aussi celui des luttes et des victoires : c’est le 1er mai, la commémoration de la fin de la Seconde Guerre mondiale et, évidemment, Mai 68.

Et dans cette tradition, ce mois de mai-ci risque fort de débuter par des concerts de casseroles…

Je repense, pour ma part, à un autre mois de mai : celui de 1962.

Le Joli Mai

En mai 1962, les cinéastes Chris Marker et Pierre Lhomme arpentèrent Paris afin d’interroger ses habitants sur leur situation, leurs opinions, leurs aspirations.

Cela pourrait ressembler à un simple « micro-trottoir », mais ce qui paraît si banal aujourd’hui, visible sur n’importe quelle chaîne de télévision ou Youtube, était il y a 61 ans une prouesse technique, réalisée grâce à l’allègement des caméras, à leur synchronisation avec des appareils de prise de son direct et à l’inventivité des opérateurs.

C’était ainsi l’une des toutes premières fois, en France (après Chronique d’un été, de Jean Rouch et Edgar Morin, réalisé en 1960), que le cinéma captait « en direct », dans la rue, la vie et les paroles de la population.

Le film s’appelle Le Joli mai et il est sorti il y a 60 ans, en 1963.

Il dessine un portrait saisissant, pris sur le vif, de la société française six décennies en arrière, au moment du « premier printemps de paix », puisque les accords d’Évian avaient mis un terme à la longue séquence des guerres coloniales françaises.

On y voit et on y entend un tailleur coincé entre son patron et sa femme, une mère de 9 enfants venant enfin d’emménager dans un HLM, des boursicoteurs cravatés, une couturière célibataire déguisant ses chats, un ancien prêtre devenu syndicaliste communiste, des ressortissants des anciennes colonies – et toutes jeunes républiques – du Dahomey et d’Algérie, de jeunes amoureux, des vieux auxquels on ne la fait plus…

Cette chose qui a fondamentalement changé entre mai 1962 et mai 2023

De cet instantané animé de la société française d’il y a 61 ans, on remarque évidemment ce qui, par rapport à aujourd’hui, a changé (les accoutrements, le président) ou n’a pas changé (la circulation dans Paris, les grèves).

Mais, au-delà des progrès des gazinières et des autos, des débats de l’époque sur l’Algérie ou de la fascination pour la conquête spatiale, ce qui frappe le plus, c’est la préoccupation de TOUS les intervenants.

Ils sont nombreux à parler de la difficulté à trouver un logement ou un travail décents – mais TOUS sont préoccupés par une chose : le bonheur.

Tous veulent être heureux.

Je ne sais pas si cette quête du bonheur a disparu de l’esprit et du cœur de nos contemporains.

Mais plus personne aujourd’hui n’en parle, en tout cas aussi ouvertement, aussi spontanément, aussi simplement.

Comme si le bonheur était aujourd’hui honteux… ou inaccessible.

Les habitants du mois de mai 1962 n’avaient pas un quotidien plus facile que le nôtre, au contraire ; mais ils savaient de toute évidence voir plus loin que beaucoup d’habitants du mois de mai 2023.

Voyez le film si vous ne le connaissez pas, faites-vous une opinion, et écrivez-moi.

Vous pouvez le visionner en intégralité sur Youtube : j’ai mis le lien en source [1].

Je vous souhaite en tout cas beaucoup de bonheur en ce mois de mai qui commence demain.

Rodolphe

[1] « Le joli mai », Chris Marker, 1962, visible sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=aRPXsnSmnvc