Chers amis,

Voici ce qu’un auteur que j’affectionne particulièrement, Alexandre Vialatte, écrivait au sujet du mois de novembre dans sa chronique hebdomadaire pour La Montagne (fameux journal auvergnat) :

« Novembre commence mal et continue en pire. Il s’ouvre sur la fête des Morts, journée austère et désolée, et continue par des pluies noires, la brume, le froid, la nuit, à peine coupés, les années indulgentes, par le soleil jaune de la Saint-Martin[1]. »

Nous verrons, dans un mois, si nous avons eu droit en 2024 à une année indulgente…

Mais pour l’ensemble, le tableau décrit par Vialatte est fidèle à ce qui nous attend ces prochaines semaines. Et encore ! Lorsqu’il écrivait ces lignes, le Black Friday, qui conclut le mois sur une désespérante fuite en avant consumériste, n’existait pas.

Bref, rien d’étonnant à ce que le mois de novembre soit celui durant lequel la dépression augmente de 10 % et soit donc, forcément… le mois du pic de consommation d’antidépresseurs[2].

L’augmentation de la dépression en novembre est un phénomène physiologique, relativement facile à contrer, sans s’en remettre aux psychotropes.

Voyons comment.

Journées grises, nuits noires

L’approche de l’hiver provoque, chez 2 à 5 % des adultes, une dépression sévère qui demande un suivi clinique, appelé trouble affectif saisonnier (TAS)[3].

Mais la preuve que ce que nous appelons « dépression » n’est qu’une forme aiguë de la façon dont les variations saisonnières agissent sur nous, c’est que plus de 9 personnes sur 10 ressentent des modifications de leur humeur ou de leur comportement en automne et en hiver[4].

Si les scientifiques ne connaissent pas encore la cause exacte de cette dépression saisonnière, ils estiment que c’est avant tout une carence en lumière[5].

L’obscurité et l’isolement peuvent conduire à des pensées négatives. Le corps, lui, a plus de mal à réguler son horloge interne (calée sur un rythme jour-nuit régulier), et donc ses hormones[6].

Ce qui pourrait mener à un déficit en dopamine et en sérotonine, et donc à une perte d’énergie, de moral et de motivation.

Si vous ressentez actuellement ces symptômes, ça n’est donc pas surprenant, avec le changement d’heure d’il y a une semaine, qui nous plonge désormais en pleine nuit dès 17h30-18h00 (et ça va continuer en pire, comme le dit Vialatte !).

Mesure n°1 : s’exposer à la lumière

Il n’est dès lors pas surprenant que le premier remède à ce mal de novembre soit la luminothérapie, c’est-à-dire l’exposition à une lumière artificielle proche de celle du soleil et qui agit de la même manière. Une étude de 2017 a montré d’excellents résultats[7].

Ces séances peuvent être menées à la maison, à l’aide d’une lampe adaptée émettant de la lumière blanche de 10000 lux (le lux est une unité de mesure de la quantité de lumière : 1 lux correspond à la lumière émise par une bougie à 1 mètre de distance) ; pour comparaison, une belle journée ensoleillée d’hiver n’offre que 2000 Lux.

10000 Lux correspondent donc plutôt à la quantité de lumière perçue par les yeux lors d’une belle journée d’été.

Il suffit d’allumer la lampe 30 minutes tous les matins à son bureau ou en prenant son petit-déjeuner pour obtenir un effet optimal et compenser le retard de phase[8].

On commence dès l’apparition des premiers signes et on poursuit jusqu’à l’arrivée du printemps. Cette approche permet de combattre la fatigue, la somnolence en journée et l’humeur dépressive, quelle que soit la sévérité du trouble[9].

Les résultats positifs apparaissent parfois très rapidement, après seulement une séance[10] ! Cette thérapie par la lumière s’avère aussi efficace qu’un traitement antidépresseur comme l’a montré une étude menée au Canada en 2006[11].

En 2020, une étude révolutionnaire révélait par ailleurs que la lumière combattrait également les virus[12].

Cela vous apprend pourquoi vous tombez plus facilement malade l’hiver que l’été : pas à cause du froid, ni parce que les virus et les microbes sont plus présents l’hiver. 

Mais parce qu’il y a moins de lumière en hiver.

En 1903 le prix Nobel de médecine Niels Fynsen avait déjà montré que certains rayons UV du soleil détruisaient les bactéries[13]. Et la découverte récente, c’est que cette solution s’appliquerait également aux virus.

La lumière serait, par nature, antipathogène. On sait aussi que la lumière joue un rôle crucial pour le bon fonctionnement de votre système immunitaire.

Vous exposer au soleil accélère la vitesse de vos lymphocytes[14] (les cellules qui tuent les pathogènes). Ce qui leur permet de combattre l’infection plus rapidement.

Mais revenons à la dépression saisonnière.

Quelques ajustements simples dans votre alimentation permettent également d’éloigner cette menace.

Mesure n°2 : combler cette carence alimentaire

La lumière est, pour le corps humain, indissociable d’une hormone : la vitamine D (car, oui, la vitamine D est une hormone).

S’exposer à la lumière du soleil est le seul moyen d’en sécréter naturellement.

Je vous en parle souvent, je sais bien.

Mais il est toujours bon de le rappeler : d’une part, avec l’âge, vous produisez de moins en moins naturellement de vitamine D ; et d’autre part, passé le mois d’octobre, les rayons du soleil sont trop obliques pour que cette sécrétion puisse se produire.

C’est donc le moment de vous supplémenter.

D’ordinaire je vous parle surtout de la vitamine D pour son rôle de protectrice face aux infections – notamment hivernales (vous vous rappelez peut-être que la Grande-Bretagne avait distribué deux millions de doses de vitamine D pour faire face au Covid en 2020[15]).

Mais une carence en vitamine D est également corrélée, c’est moins connu, à un risque accru de dépression[16].

Les personnes diagnostiquées avec une carence en vitamine D peuvent nécessiter un traitement initial de choc pour rétablir un bon niveau. Les doses peuvent aller jusqu’à 50 000 UI (unités internationales) par semaine pendant 6 à 8 semaines, sous supervision médicale.

Une fois le niveau corrigé, une dose de maintien de 2000 à 4000 UI par jour est souvent recommandée.

Mesure n°3 : manger davantage de poisson

On sait depuis la fin du siècle dernier que plus la consommation de poisson est importante, plus l’incidence de la dépression est faible[17].

Cela tiendrait à leur teneur en acides gras oméga-3.

À l’inverse, une carence en oméga-3 serait étroitement associée à un risque accru de ressentir des symptômes dépressifs, allant de la déprime passagère à la dépression proprement dite.

Aussi, les oméga-3 sont-ils connus depuis la fin des années 1980 comme un recours de première intention, simple et sans danger, pour traiter la dépression[18].

Cependant tous les acides gras oméga-3 ne montrent pas la même efficacité.

Les principaux acides gras du groupe oméga-3 sont :

  • l’acide alpha-linolénique (ALA),
  • l’acide eicosapentaénoïque (EPA)
  • et l’acide docosahexaénoïque (DHA).

L’EPA et le DHA peuvent être synthétisés par notre organisme à partir de l’ALA, qu’on retrouve dans certains végétaux comme le lin, le colza ou les noix, mais cela peut être plus compliqué que ça en a l’air.

Aussi l’alimentation demeure-t-elle la source majeure d’EPA et de DHA, via les poissons gras.


Plusieurs études montrent que l’EPA, lorsqu’il est utilisé à un dosage particulier, peut être plus efficace contre la dépression que les antidépresseurs chimiques[19]. Et ce sans effets secondaires[20].

En revanche, le DHA ou l’ALA ne semblent pas efficaces pour traiter les symptômes dépressifs, alors qu’ils sont efficaces en prévention.

Les poissons contiennent de l’EPA et du DHA mais dans des proportions équilibrées, or les recherches les plus récentes montrent que, pour être efficaces face à la dépression, les acides gras oméga-3 EPA et DHA doivent être absorbés dans un rapport particulier : au minimum de 6 pour 1.

Autrement dit : en prévention, les aliments comme le poisson suffisent. Mais en cas de dépression avérée, il faut s’en remettre à des compléments alimentaires spécifiques.

Vous pouvez commencer par un apport de 2000 à 2200 mg d’EPA par jour (pour 250 à 300 mg de DHA) puis augmenter progressivement la dose si l’effet ressenti n’est pas suffisant au bout d’une dizaine de jours.

Même les experts de l’Agence européenne de sécurité́ sanitaire (EFSA), excessivement prudents face à tout ce qui touche les compléments alimentaires, considèrent que la supplémentation en EPA et DHA ne présente aucun danger, même chez les personnes qui prennent déjà̀ un médicament anticoagulant[21] (les oméga-3 sont en effet entre autres également connus pour faire baisser la pression artérielle et maintenir une bonne santé cardiovasculaire).

Mais, une fois encore, mieux vaut un bon poisson – la sardine présentant le meilleur rapport sous tous points de vue, à la fois en ce qui concerne la (forte) concentration en oméga-3 et la (plus faible) concentration en métaux lourds.

Si, malgré tous ces conseils, vous sentez que le coup de blues de novembre s’alourdit, sachez qu’il existe un recours avant de s’en remettre aux antidépresseurs chimiques : je vous en parlerai dans ma lettre de mercredi prochain.

D’ici-là, portez-vous bien,

Rodolphe


[1] Alexandre Vialatte, Almanach des quatre saisons, Julliard, 1981, p.177

[2] https://www.santemagazine.fr/actualites/depression-elle-augmente-de-pres-de-10-en-novembre-187118 – « Dépression, elle augmente de près de 10 % en novembre », in. Santé Magazine, 2 novembre 2016

[3] https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01325041/document – Lucie Gasbaoui, « Le trouble affectif saisonnier : la dépression hivernale », in. Médecine humaine et pathologie, 2016

[4] Kasper S et al. Epidemiological findings of seasonal changes in mood and behavior. A telephone survey of Montgomery County, Maryland. Arch Gen Psychiatry. 1989 Sep;46(9):823-33

[5] Ibid.

[6] Kim TW, Jeong JH, Hong SC. The impact of sleep and circadian disturbance on hormones and metabolism., in. Int J Endocrinol. 2015;2015:591729. Epub 2015 Mar 11. PMID: 25861266; PMCID: PMC4377487.

[7] Campbell PD, Miller AM, Woesner ME. Bright Light Therapy: Seasonal Affective Disorder and Beyond. Einstein, in. J Biol Med. 2017;32:E13-E25. PMID: 31528147; PMCID: PMC6746555.

[8] Lewy AJ et al. Morning vs evening light treatment of patients with winter depression, in. Arch Gen Psychiatry. 1998 Oct;55(10):890-6

[9] Rastad C et al. Improvement in Fatigue, Sleepiness, and Health-Related Quality of Life with Bright Light Treatment, in. Persons with Seasonal Affective Disorder and Subsyndromal SAD. Depress Res Treat. 2011;2011:543906

[10] Gagan Virk, MD et al. Short exposure to light treatment improves depression scores in patients with seasonal affective disorder: A brief report, in. Int J Disabil Hum Dev. 2009 Jul; 8(3): 283–286

[11] Lam RW et al. The Can-SAD study: a randomized controlled trial of the effectiveness of light therapy and fluoxetine in patients with winter seasonal affective disorder, in. Am J Psychiatry. 2006 May;163(5):805-12

[12] Mackenzie D. Ultraviolet Light Fights New Virus, in. Engineering (Beijing). 2020 Aug;6(8):851-853. Epub 2020 Jun 27. PMID: 32837746; PMCID: PMC7319933

[13] https://www.nobelprize.org/prizes/medicine/1903/summary/ –

[14] https://gumc.georgetown.edu/news-release/sunlight-offers-surprise-benefit-it-energizes-infection-fighting-t-cells/ – « Sunlight Offers Surprise Benefit – It Energizes Infection Fighting T Cells », in. Georgetown University Medical Center, 20 décembre 2016

[15] https://www.liberation.fr/sciences/2020/11/16/covid-19-le-royaume-uni-envisage-de-distribuer-massivement-de-la-vitamine-d-aux-personnes-fragiles_1805729/ – Olivier Monod, « Covid 19 : le Royaume-Uni envisage de distribuer massivement de la vitamin D aux personnes fragiles », in. Libération,16 novembre 2020

[16] https://www.etat-depressif.com/depression-et-carence-en-vitamine-d/ – Estelle B., « La dépression : un risque majoré en cas de carence en vitamine D », in. site etat-depressif, 22 janvier 2019

[17] Hibbeln JR, Fish consumption and major depression, in. Lancet. 1998 Apr 18;351(9110):1213.

[18] Kantha SS, Dietary effects of fish oils on human health: a review of recent studies.Yale J Biol Med. 1987 Jan-Feb;60(1):37-44.

[19] Martins JG. EPA but not DHA appears to be responsible for the efficacy of omega-3 long chain polyunsaturated fatty acid supplementation in depression: evidence from a meta-analysis of randomized controlled trials, in. J Am Coll Nutr. 2009 Oct;28(5):525-42

[20] Sublette ME, Ellis SP, Geant AL, Mann JJ. Meta-analysis of the effects of eicosapentaenoic acid (EPA) in clinical trials in depression, in. J Clin Psychiatry. 2011 Dec;72(12):1577-84.

[21] https://www.efsa.europa.eu/fr/press/news/120727 – « L’EFSA évalue la sécurité des acides gras oméga-3 », site de l’EFSA, 27 juillet 2012