Chers amis,

Le Danemark a beau avoir des sueurs froides (forcément) depuis que Donald Trump a fait son OPA agressive sur le Groenland, la santé économique du royaume nordique est excellente.

Son PIB (produit intérieur brut) est en nette hausse. Grâce, avant tout, à une entreprise : le laboratoire pharmaceutique Novo Nordisk, lequel enregistre des bénéfices record grâce, avant tout… à deux médicaments, l’Ozempic et le Wegovy.

L’Ozempic[1] et le Wegovy[2] sont les noms sous lesquels le laboratoire danois produit et commercialise le sémaglutide, un analogue artificiel de l’hormone GLP-1, qui joue un rôle dans le contrôle de la glycémie et le sentiment de satiété.

L’Ozempic est donc, au départ, un médicament adressé aux clients – pardon, aux patients… – souffrant de diabète de type 2, mais qui fait un « carton » en tant que coupe-faim (ce carton ayant conduit au développement du Wegovy, encore plus dosé).

L’ironie veut que le médicament soit particulièrement plébiscité par les clients (décidément !) patients états-uniens, autrement dit les citoyens du pays dont le président s’est mis en tête d’annexer le Groenland.

Ainsi va la géopolitique en 2025 : pas touche à mon île glacée, mais tiens, voilà des comprimés pour tes légions d’obèses. Ça fera 969 dollars (authentique[3]).

Miracle économique indexé sur un désastre sanitaire

Avec un prix pareil – ça fait 1000 euros le traitement – Novo Nordisk a annoncé le mois dernier que ses bénéfices bruts ont bondi de 22 %, s’élevant à 17,8 milliards de dollars[4].

On comprend effectivement qu’avec des résultats pareils, le PIB du Danemark et la croissance de Novo Nordisk suivent une courbe inversement proportionnelle à celle, au hasard, de la cote de popularité d’Emmanuel Macron (c’est gratuit, je sais, mais il me fallait un contraste éloquent).

En France, les médias, charmés, crient au miracle économique.

Et ce au mépris des notions les plus élémentaires de santé.

Par exemple, au cours de la matinale la plus écoutée de France, l’animateur Nicolas Demorand – bien connu pour ses prises de position frondeuses et courageuses – s’est, jeudi dernier, réjoui de la « révolution » en forme de « planche à billets pour le laboratoire » que constitue ce traitement contre le diabète et l’obésité[5].

Mais je lui reconnais un sursaut de lucidité lorsqu’il a conclu sa chronique en admettant qu’il était pour le moins contradictoire qu’un médicament censé « guérir de la junkfood » (rien que ça !) engendre une ruée vers… les hot-dogs (17 500 vendus en un mois dans la ville de Kalundborg, qui héberge l’un des sites de Novo Nordisk) !

Monsieur Demorand, vous avez terminé votre chronique précisément là où vous auriez dû la débuter : en pointant la contradiction, c’est-à-dire, en réalité, l’hypocrisie et le cynisme de ce « miracle économique » indexé sur un désastre sanitaire.

Car derrière ce succès fulgurant se cachent des réalités moins reluisantes, marquées par des promesses trompeuses et des conséquences préoccupantes pour les patients.

L’histoire et le destin de cette molécule, et des deux médicaments « star » qu’elle engendre pour Novo Nordisk, mérite que vous vous y attardiez quelques minutes.

Ça marche, on augmente la dose

Le sémaglutide, je le mentionnais plus haut, augmente la sécrétion d’insuline, diminue la production de glucose par le foie et ralentit la vidange gastrique, aidant ainsi à réduire la glycémie et à diminuer l’appétit.

L’Ozempic, premier médicament produit avec cette molécule, est prescrit aux diabétiques de type 2 pour les aider à réguler leur glycémie depuis 2017 aux Etats-Unis, et depuis 2018 en Europe.

Cependant, son effet secondaire (il supprime l’appétit) a conduit à ce qu’il soit utilisé de manière non autorisée pour perdre du poids.

Cette pratique, popularisée par des plateformes comme TikTok, où l’on voit sur des vidéos des influenceurs s’injecter le produit, a engendré une demande accrue, provoquant des ruptures de stock dans plusieurs pays[6].

Cette pénurie a affecté directement les patients diabétiques qui dépendaient de ce médicament pour gérer leur condition.

Alors… qu’a fait Novo Nordisk ?

On aurait pu s’attendre à ce que le laboratoire se contente d’augmenter la production d’Ozempic pour remédier à la pénurie.

Elle a eu, à la place, un coup de génie commercial – et je dis bien commercial, et non médical – en créant… un nouveau médicament avec la même molécule mais encore plus dosé et s’adressant aux personnes en surpoids.

Ce médicament, c’est le Wegovy, commercialisé en France depuis le 8 octobre 2024.

Et ça marche !

Dans tous les sens du terme.

C’est-à-dire, on l’a vu, que ça marche commercialement : c’est un vrai jackpot, et pour le laboratoire pharmaceutique, et pour le Danemark.

Mais ça marche aussi, en effet, pour la perte de poids : Nicolas Demorand l’évoque dans son édito :

« En substance, ces molécules suscitent un sentiment de satiété rapide et durable, elles régulent l’appétit. Chez certains, elles modifient même en profondeur les habitudes alimentaires : adieu la junk food, vous ne pouvez même plus l’avaler.[7] »

Ce que Monsieur Demorand ne mentionne pas, c’est le prix à payer pour obtenir cet effet.

Et je ne parle pas – pas seulement – des espèces sonnantes et trébuchantes.

Je parle du prix pour la santé des personnes auxquelles on prescrit ces produits.

Le miroir aux alouettes des pilules miracle

Il y a, d’abord et comme toujours, des effets secondaires. Ils sont sensiblement les mêmes pour les deux médicaments avec, sans surprise, une intensité accrue pour le Wogovy, puisqu’il s’injecte à des doses plus élevées.

Il y a les effets secondaires très fréquents, qui touchent plus d’1 patient sur 10 : nausées, vomissements, constipation, diarrhées, douleurs abdominales, maux de tête[8].

Et il y a les fréquents (entre 1 à 10 % des patients) : digestion difficile, reflux gastro-œsophagien, brûlures d’estomac, ballonnements, rots, vertiges, altération du goût, augmentation ou diminution de la sensibilité sur une partie du corps, calcul biliaire, perte de cheveux, réaction au point d’injection, hypoglycémie ou atteinte de la rétine chez les patients ayant un diabète de type 2[9].

On ne parle donc pas là d’effets secondaires rares ou « peu fréquents » (dans cette dernière catégorie on relève : hypotension, augmentation de la fréquence cardiaque, vidange de l’estomac retardée, pancréatite, augmentation des enzymes pancréatiques (lipase, amylase)[10]).

Ces effets secondaires sont tellement préoccupants que le Vidal lui-même mentionne le fait que le médicament fait l’objet d’une surveillance accrue.

Mais s’il n’y avait que ça !

Car le principal prix à payer de ce traitement, c’est… qu’il ne faut jamais arrêter de le prendre. Du moins si on souhaite continuer à « réguler » sa faim et à perdre du poids.

Les patients qui arrêtent le traitement non seulement reprennent du poids… mais voient souvent croître leur surpoids, comparativement à celui dont ils souffraient avant le traitement.

En d’autres termes : ils sont condamnés à prendre, à vie, un traitement de cheval, aux effets secondaires lourds.

Le cauchemar de Darwin

Vous avez peut-être vu ce film documentaire, Le Cauchemar de Darwin, qui raconte comment l’introduction par l’homme de la perche du Nil dans le lac Victoria a totalement anéanti l’écosystème initial du plus grand lac d’Afrique.

Le tout sur le fond de trafic d’armes.

C’est exactement ce qui me vient à l’esprit avec le « miracle économique » de l’Ozempic et du Wegovy. Ce « miracle économique » est, lui aussi, un « cauchemar de Darwin ».

Ses concepteurs ont, effectivement, créé une « pilule miracle » aux effets coupe-faim et anti-obésité, mais qui piège le patient qui la prend.

Celui-ci, pour maintenir ses effets coupe-faim et amincissant, met le doigt dans un engrenage aussi bien sanitaire qu’économique : il est « abonné » à un traitement qui coûte un prix exorbitant.

Mais il n’y a pas que le patient qui est piégé : il y a vous, aussi.

Car ce prix délirant, il pèse sur l’Assurance Maladie, donc sur vous.

Et il pèse si fort sur le trou de la sécu que, fait rarissime, l’Assurance Maladie a durci les conditions de son remboursement.

En France en effet, l’Ozempic est remboursé par l’Assurance Maladie pour le traitement du diabète de type 2.

Cependant, depuis le 1ᵉʳ février 2025, ce remboursement est censé être soumis à des conditions strictes, obligeant le prescripteur à fournir des informations précises sur les circonstances et les indications de la prescription[11].

Et ce pour éviter son « détournement » pour un simple usage coupe-faim.

Mais le « cauchemar » est enclenché, et il apparaît de façon translucide dans l’édito de Nicolas Demorand : un médicament coupe-faim et minceur vous « guérit » de la junk food

… mais son succès engendre, paradoxalement – chez ceux qui ne le prennent pas – une ruée vers cette même junk food

… qui deviendront, à leur tour, des clients de ces médicaments pour se « guérir » de leur obésité…

… et qui continueront à prendre, encore et encore, ces médicaments, pour réguler leur glycémie déréglée, et perdre le poids qu’ils auront pris…

… en payant, eux, le prix fort, ou en le faisant payer à l’Assurance maladie.

Réveillez-vous de ce cauchemar

Il est crucial de rappeler que la perte de poids durable repose avant tout sur des habitudes de vie saines, incluant une alimentation équilibrée et une activité physique régulière.

Les solutions pharmacologiques, bien que pouvant être utiles dans certains cas spécifiques, ne doivent pas être considérées comme des remèdes miracles.

Cette quête de résultats faciles peut vous conduire à négliger les fondements d’une santé durable et à sous-estimer les risques associés à des traitements médicaux inappropriés, qui vous enferment dans un cercle vicieux, cauchemardesque.

Il faut vous réveiller de ce cauchemar, et même, si possible, éviter de rentrer dedans.

Portez-vous bien,

Rodolphe


[1] https://www.vidal.fr/medicaments/gammes/ozempic-86313.html – « Gamme de médicaments Ozempic », site de Vidal

[2] https://www.vidal.fr/medicaments/gammes/wegovy-107521.html – « Gamme de médicaments Wegovy », site de Vidal

[3] https://www.lesechos.fr/industrie-services/pharmacie-sante/aux-etats-unis-la-longue-route-pour-faire-baisser-les-prix-eleves-des-medicaments-2089540 – Véronique Le Billon, « Aux Etats-Unis, la longue route pour faire baisser les prix élevés des médicaments », in. Les Échos, 17 avril 2024

[4] https://www.bbc.com/worklife/article/20250220-hotdogs-and-motorways-the-ripples-created-by-denmarks-ozempic-and-wegovy-boom – Adrienne Murray, « Hotdogs and motorways: the ripples created by Dennmark’s Ozempic and Wegovy boom », BBC, 20 février 2025

[5] https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/les-80/les-80-de-nicolas-demorand-du-jeudi-27-fevrier-2025-4674335 – « Novo Nordisk, la poule aux œufs d’or du Danemark », France Inter, 27 février 2025

[6] https://www.rts.ch/info/sciences-tech/14338284-les-derives-de-lozempic-medicament-antidiabetique-detourne-pour-son-effet-coupefaim.html – « Les dérives de l’Ozempic, médicament anti-diabétique détourné pour son effet coupe-faim », RTS, 25 septembre 2023

[7] Cf. n.5

[8] Cf n.2

[9] Ibid

[10] Ibid

[11] https://www.ameli.fr/assure/actualites/ozempic-et-autres-antidiabetiques-l-assurance-maladie-renforce-le-controle-des-prescriptions – « Ozempic et autres antidiabétiques : l’Assurance Maladie renforce le contrôle des prescriptions », site de l’Assurance Maladie, 11 février 2025