Chers amis,

Des médecins du IXe siècle peuvent-ils en remontrer à ceux d’aujourd’hui ?

La réponse est oui.

La preuve vient d’être faite que les médecins médiévaux, grâce à des remèdes naturels, ont pu rivaliser avec les remèdes chimiques contemporains et même les surpasser. 

Des chercheurs de l’université de Warwick viennent de révéler, dans un rapport intégralement consultable en ligne (lisez-le[1], c’est en anglais mais c’est formidable), comment ils ont reconstitué une préparation antibactérienne capable de tuer des bactéries résistant aux antibiotiques en appliquant une recette consignée dans un grimoire médical du IXe siècle :


On pourrait croire à une blague.

Mais non, la lecture des 14 pages de ce rapport scientifique est l’une des plus passionnantes leçons sur les bienfaits d’une médecine oubliée que j’aie jamais lue.

Cette recette a été tirée du Leechbook de Bald, un manuscrit millénaire conservé à la British Library.

Oublié, méprisé, puis réhabilité 

Le Leechbook de Bald date du milieu du Xe siècle mais sa compilation de remèdes tirés de médecins antiques tels que Galien et de sources « populaires » remonte vraisemblablement au IXe siècle[2].

Mille ans plus tard, soit au XIXe siècle, il a été réédité, à une époque où l’on redécouvrait certaines approches de santé médiévales au firmament desquelles brillait Hildegarde de Bingen.

La médecine « officielle » n’a pas pris au sérieux ce qu’elle considérait alors au mieux comme du folklore.

Il a fallu attendre le milieu des années 2010 pour que des chercheurs se penchent enfin sérieusement sur le contenu du manuscrit… 

…et fassent des découvertes stupéfiantes.

En 2015, ces chercheurs de l’université de Nottingham en Grande-Bretagne et du Texas aux États-Unis annoncèrent avoir reconstitué un onguent dont la recette figure dans le Leechbook, et destinée originellement à traiter des infections oculaires.

Ses ingrédients : vin, ail, oignon et bile d’estomac de vache. 

… rien de bien sérieux aux yeux de la plupart des spécialistes travaillant pour l’industrie pharmaceutique !

Eh bien figurez-vous que cet onguent, testé d’abord in vitro, puis in vivo contre un staphylocoque doré antibiorésistant, a permis de « détruire 999 bactéries sur 1000[3] ».

Cette bactérie qui tient en échec tous les antibiotiques modernes a été vaincue par un onguent du IXe siècle à base d’ail, de vin, d’oignon et de bile d’estomac de vache !

Tout est dans la préparation 

L’étude publiée dans la revue Nature révèle que cette préparation est également efficace contre d’autres bactéries antibiorésistantes : Acinetobacter baumannii, Stenotrophomonas maltophilia, Staphylococcus aureus, Staphylococcus epidermidis et Streptococcus pyogenes.[4]

Je vous ai cité plusieurs de ces bactéries dans ma précédente lettre consacrée à l’antibiorésistance.

Elles font trembler le monde de la médecine… et sont donc vaincues par une recette figurant dans un grimoire médiéval !

Au-delà du formidable espoir contre l’antibiorésistance que cette découverte constitue, elle confirme les incroyables connaissances et la stupéfiante maîtrise du potentiel thérapeutique des produits naturels

Attention : aucun des ingrédients de ce remède pris séparément ne suffit à vaincre ces bactéries.

Tous ont été mélangés à des doses précises et mis à reposer neuf jours dans un récipient en cuivre.

Les propriétés antiseptiques de l’ail et du cuivre sont connues depuis très longtemps ; mais c’est cette recette-là qui leur donne, jointes aux autres ingrédients, ce profil « tueur total de bactéries » !

On est dans le même cas que face à des remèdes traditionnels issus de tribus du cœur de la forêt amazonienne aux propriétés stupéfiantes. 

Composés à partir substances naturelles, ils doivent leur impressionnante efficacité à une observation extrêmement fine, et à des protocoles rigoureux de fabrication, probablement héritée de siècles d’expériences.

Plus proche de nous dans l’espace, mais tout aussi éloignée dans le temps, se trouve Hildegarde de Bingen

Une encyclopédie de santé naturelle de 800 ans

Musicienne, prédicatrice, biologiste, herboriste, nutritionniste et médecin : Hildegarde, abbesse de l’abbaye bénédictine d’Eibingen en Allemagne au XIIe siècle, a embrassé tous les domaines de la connaissance de son époque. 

Elle a laissé derrière elle 2 ouvrages de science et de médecine.

Tombée dans l’oubli pendant près de 800 ans, son encyclopédie de sciences naturelles médiévales, la seule composée en Occident au XIIe siècle, a été redécouverte avant la Seconde Guerre mondiale par un médecin allemand, le Dr Gottfried Hertzka.

Interné dans un camp de travail pour cause d’opposition au régime nazi, ce médecin prit connaissance des puissantes vertus cicatrisantes de l’achillée millefeuille grâce aux écrits d’Hildegarde et soigna de nombreux blessés avec ses remèdes. 

Après-guerre, il poursuivit ses recherches et consacra le reste de son existence à lire, traduire, mettre en pratique et diffuser ses conseils médicinaux :

  • Le premier volume d’Hidegarde de Bingen recense 513 plantes, animaux et éléments minéraux, et propose 2000 traitements différents.
  • Le second décrit 50 maladies et les remèdes naturels pour les soigner.

Le plus effarant est là : les études pharmacologiques et cliniques ont confirmé l’efficacité d’une majorité des indications d’Hildegarde !

Parmi la centaine de plantes par exemple, une cinquantaine sont utilisées de nos jours par les naturopathes comme l’hysope, le serpolet, la sarriette, le fenouil des Alpes, la menthe, la lavande et l’ortie… ou encore les plantes exotiques ramenées par les Croisés comme le curcuma, le cumin, le gingembre et le galanga rouge… 

Canonisée par Benoît XVI en 2012, Hildegarde de Bingen fut dans la foulée reconnue Docteur de l’Église, la plus haute distinction théologique de l’Église catholique.

Benoît XVI suivrait depuis longtemps les conseils de soin, d’hygiène et de comportement d’Hildegarde de Bingen…

…ce qui semble lui réussir puisqu’il est en parfaite santé à l’âge de 93 ans !

Quand cessera-t-on de mépriser les « remèdes de grand’ mère » ?

Pommades du Leechbook de Bald, remèdes tribaux des forêts amazoniennes, plantes d’Hildegarde de Bingen… toutes ces solutions ont été prises de haut par des autorités de santé… ricanantes.

Mais grâce au travail conjoint de courageux chercheurs, et de naturopathes résistant aux diktat d’une médecine devenue massivement chimique, l’efficacité de ces remèdes a été, peu à peu, confirmée par la science moderne. 

Pour moi, il ne s’agit pas d’une médecine alternative. 

C’est, au contraire, la médecine de demain.

Portez-vous bien,

Rodolphe


[1] Harrison et al., A 1,000-Year-Old Antimicrobial Remedy with Antistaphylococcal Activity, American society for microbiology, 2015, DOI: 10.1128/mBio.01129-15

[2]  » Ein Augenheilmittel aus dem Mittelalter gegen Multiresistenz « , consulté en septembre 2020, disponible sur : http://welterbe-klostermedizin.de/index.php/aktuelles-und-termine/meldungen/160-ein-augenheilmittel-aus-dem-mittelalter-gegen-multiresistenz

[3] Harrison et al., A 1,000-Year-Old Antimicrobial Remedy with Antistaphylococcal Activity, American society for microbiology, 2015, DOI: 10.1128/mBio.01129-15

[4] Furner-Pardoe, J., Anonye, B.O., Cain, R. et al. Anti-biofilm efficacy of a medieval treatment for bacterial infection requires the combination of multiple ingredients. Sci Rep 10, 12687 (2020). https://doi.org/10.1038/s41598-020-69273-8