Chers amis,

J’espère sincèrement que vous avez traversé cette semaine de canicule sans subir trop de désagréments ni de dégâts.

Je ne vous ressortirai pas le refrain habituel dans ces cas-là : hydratez-vous sans attendre d’avoir soif, etc.

Néanmoins je souhaite quand même vous parler de liquide.

D’argent liquide.

Car le réchauffement climatique semble avoir pour curieuse conséquence de le faire s’évaporer, lui aussi !

La différence, c’est que cette évaporation – cette disparition – est accélérée et voulue à la fois par les banques et les États, qui ont leurs raisons.

Mais leurs raisons ne sont pas les vôtres.

« On n’accepte pas les paiements en espèce »

Ce lundi, je me trouvais à Rouen, ville où je suis né et où j’ai habité jusqu’à mes 20 ans.

Au moment de régler le dîner que j’avais fait avec des collègues dans un café-restaurant que je connais de longue date, le serveur m’a déclaré, en me voyant lui tendre mes billets : « Ah mais on ne prend plus le cash ! »

Et de me montrer du doigt un écriteau placé à l’entrée « On n’accepte pas les paiements en espèces », remplissant un peu le même rôle que l’antique « La maison ne fait pas crédit ».

C’était nouveau. Du moins pour cet établissement que je connais depuis longtemps.

Mais c’est une tendance profonde dans notre société : de plus en plus de commerces et de restaurants refusent le paiement en espèces, et préfèrent recourir exclusivement aux cartes de crédit et applications, ce qui leur (et vous) occasionne des frais supplémentaires – mais passons.

Il est interdit d’interdire les paiements en espèces (pour l’instant)

Sachez tout d’abord – et je ne me suis pas privé de l’indiquer à mon restaurateur rouennais – qu’il est illégal, pour un restaurateur ou un commerçant, de refuser un paiement en espèces.

C’est même, en réalité, le seul mode de paiement qu’il est obligé d’accepter, en-dehors d’exceptions très précises (votre monnaie est étrangère, vos billets sont froissés ou douteux, vous souhaitez régler plus de 1000 euros d’un coup).

Ce refus l’expose, en France, à 150 euros d’amende[1].

Cependant, il est fort probable que cette disposition légale « saute », à moyenne ou même courte échéance.

La première raison, c’est, tout simplement, les changements d’usage.

Plus rien dans les poches, tout dans les banques

Si restaurants et commerces commencent à faire la fine bouche devant l’argent liquide, c’est d’abord, bien sûr, parce que les simples citoyens y recourent de moins en moins, pour lui préférer l’argent dématérialisé.

C’est-à-dire la carte bancaire, bien sûr, mais également de plus en plus, chez les jeunes, une app sur leur téléphone portable.

Car s’il est désormais courant de sortir sans portefeuille, il est indécent, inimaginable de sortir sans téléphone portable !…

Ce n’est pas qu’un simple changement de mœurs ; c’est un changement de civilisation.

L’enjeu n’est pas, ou pas seulement, la dépendance aux banques.

Prenez la Chine. Dans ce pays, le plus peuplé du monde, les pièces et billets ont quasiment disparu.

Un article du Monde de la semaine dernière dresse un tableau saisissant du mode d’interactions monétaires des Chinois aujourd’hui : du supermarché au café en passant par les transports, tout se paie désormais via WeChat ou Alipay, deux applications devenues omniprésentes et… indispensables[2].

Tout se passe comme si les Chinois avaient « organisé » leur dépendance à ces applications numériques, ce qui renforce leur dépendance absolue à leur smartphone.

L’argent liquide, un truc de vieux ?

L’auteur de l’article indique que « seuls les clients les plus âgés sont les derniers à encore utiliser des pièces et des billets, en voie de disparition dans le reste de la société chinoise. »

Ce qui se passe en Chine est ce qui vous attend d’ici moins de dix ans, peut-être plus rapidement encore : « Beaucoup de taxis refusent les paiements en liquide, tout comme beaucoup d’épiceries de quartier, qui n’auraient de toute façon pas la monnaie pour le change. »

En France, et en Europe, ce danger paraît pourtant lointain.

Certes, un nombre croissant d’établissements, comme mon restaurant de Rouen, refusent les paiements en espèces, mais enfin, il n’y a pas de « système » pour le supplanter.

Si. Ce « système » arrive : il s’agit de l’euro numérique, élaboré par la Banque centrale européenne, et dont la phase de test s’achève en… octobre prochain[3].

Soit demain.

La BCE espère généraliser dès l’année prochaine cet « outil » qui sonnera le glas de l’argent liquide, remplacé par des données traçables, soit des data.

Et c’est là qu’intervient la seconde raison de la disparition de l’argent liquide.

Ces données de consommation ont de la valeur. Elles sont revendues à des fins commerciales ; en Chine, elles servent à vous noter, vous classer, ou vous exclure. Cela s’appelle le crédit social. Et ce n’est pas une dystopie : c’est en cours.

Plus sûr… ou plus surveillé ?

Demain, vous ne pourrez plus acheter votre pain, offrir un billet de 10 euros à votre petit-fils ou payer un producteur au marché, sans passer par une application numérique.

Chacune de vos dépenses sera enregistrée, chaque achat vérifié, chaque mouvement surveillé. Cette réalité chinoise, c’est la direction que prend notre propre société.

Cela a déjà commencé en France, où les « mouvements » d’argent considérés comme inhabituels peuvent vous valoir une demande de justification de la part de votre banque : si vous êtes encore libre de disposer de votre argent, vous êtes en revanche suspect.

Et c’est d’ailleurs au motif de la « sécurité » et de la lutte contre les trafics illicites que la disparition de l’argent liquide est voulue, et annoncée.

Depuis plusieurs mois, divers hommes politiques ne manquent pas une occasion d’annoncer la fin de l’argent liquide, sous les prétextes les plus fallacieux possibles ; la palme du genre revenant à Gérald Darmanin qui estime que ce serait la mesure la plus efficace pour en finir avec le deal de rue puisque celui-ci se fait en espèces[4] !

Je m’étonne que ce champion du concours Lépine de la politique n’ait pas également proposé la suppression des roues sur les voitures pour en finir avec les excès de vitesse (reconnaissez que ce serait tout aussi, sinon plus, efficace encore !)

A qui profite la disparition de l’argent liquide ? (pas à vous)

Cette sortie idiote en apparence de Gérald Darmanin est en réalité un effet d’annonce savamment maîtrisé.

Il s’agit de présenter l’usage même de l’argent liquide comme une pratique suspecte, à laquelle seuls les gens n’ayant pas bonne conscience recourent.

Le « bon citoyen » ayant, lui, évidemment, recours aux flux d’argent dématérialisés… et facilement dépistés.

Car avec la disparation de l’argent liquide, l’État dispose, comme les grandes entreprises privées, d’un contrôle absolu sur les transactions de ses citoyens.

Plus besoin de fouiller vos poches : votre smartphone dit tout de vous.

Vos transactions financières deviennent – définitivement – des données exploitées à la fois par les GAFA, et le pouvoir… pour lequel il est infiniment plus facile de bloquer et contrôler des flux d’argent numériques qu’en « palpable »… impalpable pour la surveillance numérique globale.

Le prix de la liberté

Sortir un billet de votre portefeuille pour régler votre pain ou rembourser un ami, c’est encore aujourd’hui un acte de liberté.

Et c’est précisément cette liberté qu’on tente, peu à peu, de vous retirer.

C’est l’un des seuls gestes de la vie moderne qui échappe encore aux algorithmes.

L’argent liquide n’est pas qu’un outil de paiement.

Tant que vous détenez quelques billets ou quelques pièces, vous êtes libre. Vous avez encore une vie privée.

Libre d’acheter sans laisser de trace.

Libre d’aider un proche, sans que votre don passe pour de la corruption, ou soit immédiatement sujet à taxation.

Libre de vivre sans dépendre d’une technologie, d’un réseau, d’une approbation.

Or, lorsqu’on vous imposera un euro entièrement numérique, géré par une banque centrale ou un prestataire privé, que vous restera-t-il ? Un code, une identification à deux ou trois étapes. Une permission. Et une surveillance constante.

Une pétition citoyenne circule actuellement pour alerter sur cette dérive inquiétante.

Elle rappelle à juste titre que le FMI lui-même évoque ouvertement la fin du cash comme un objectif, et que Visa s’en réjouit déjà publiquement.

Elle souligne aussi qu’une société sans argent liquide serait non seulement vulnérable (en cas de panne ou de piratage), mais aussi profondément inégalitaire, excluant les personnes âgées, les précaires, les ruraux, et tous ceux pour qui un simple compte bancaire est un luxe ou une défiance.

Chers amis, il ne s’agit pas ici de rejeter le progrès. Mais de défendre une liberté fondamentale : celle de pouvoir disposer de son argent sans rendre de comptes à personne.

C’est pourquoi je vous encourage vivement à vous informer, à résister aux injonctions et – si cela résonne avec vous – à soutenir cette initiative citoyenne.

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet


[1] https://entreprendre.service-public.fr/vosdroits/F22929 – « Quel paiement un professionnel peut-il refuser (espèce, chèque, carte bancaire) ? », site Entreprendre Service Public, 4 août 2023

[2] https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/06/27/en-chine-pieces-et-billets-ont-quasiment-disparu_6616124_3234.html – Harold Thibault, « En Chine, pièces et billets ont quasiment disparu », in. Le Monde, 27 juin 2025

[3] https://www.reuters.com/business/finance/ecb-hopes-have-political-deal-digital-euro-by-early-2026-2025-05-15 – « ECB hopes to have political deal on digital euro by early 2026 », in. Reuters, 15 mai 2025

[4] https://www.bfmtv.com/economie/economie-social/france/la-fin-de-l-argent-liquide-pour-empecher-les-points-de-deal-la-proposition-de-gerald-darmanin-pourrait-elle-les-francais_AV-202505220641.html – Paul Louis, « La fin de l’argent liquide pour empêcher les points de deal : la proposition de Gérald Darmanin pourrait-elle convaincre les Français ? », in. BFM TV, 22 mai 2025