Chers amis,

Je vous ai déjà parlé de la petite famille de renards que j’ai pour voisins.

En fin de journée, mes enfants et moi faisons nos délices des cabrioles et autres roulés-boulés que les renardeaux effectuent sous nos fenêtres.

Ils ont beaucoup grandi mais continuent à jouer comme des petits. Certains commencent à pousser leurs explorations plus loin.

Dimanche soir, j’ai capturé cette photo en me promenant dans le voisinage :

Je suis toujours touché et ému quand je croise un renard ; je sais que de nombreuses municipalités, mais aussi de nombreux particuliers, lui font une guerre sans merci.

A la campagne, le renard est redouté pour ses raids dans les poulaillers, qui obligent les propriétaires à transformer malgré eux leur enclos en prison de haute-sécurité.

Mais en ville, la chasse que lui donnent les citadins n’a d’autre raison que la « gêne » que causerait le goupil dans le voisinage.

Quelle gêne exactement ? Celle d’élire leur terrier dans un jardin, ou de se nourrir de restes glanés dans les poubelles.

Car, ces dernières années, cet animal s’est remarquablement adapté à nos espaces verts, même étriqués, et a appris à composer avec les bouts de gras que nous lui laissons.

Mais, à part un sac poubelle éventré, ou une poule laissée imprudemment en liberté dans votre jardin dont il ne reste plus que quelques plumes, la chasse menée contre les renards est non seulement absurde, car il n’est pas dangereux pour l’homme – le goupil, sans être craintif, détale sans demander son reste si  vous vous approchez de lui – et surtout car il est utile.

La population de renards baisse… la maladie de Lyme augmente

Le renard est en effet l’un de nos rares alliés naturels contre la maladie de Lyme.

Pour une raison d’une simplicité enfantine, et qui pourrait faire l’objet d’une fable de La Fontaine : la tique, principale vectrice de la maladie de Lyme, a pour refuge privilégié les petits rongeurs.

Or ces mêmes petits rongeurs… sont le mets favori de nos renards. Tout petits, les renardeaux apprennent à chasser mulots, musaraignes, et autres souris des champs et des villes.

Moins de renards, c’est donc davantage de rongeurs… et plus de risques de croiser une tique porteuse de Lyme.

Le lien de cause à effet a été établi en 2017 par la Royal Society britannique, qui a observé dans une étude que les infections véhiculées par des tiques (dont Lyme, mais également une autre borréliose, différentes fièvres et virus) étaient bien plus importantes dans les zones à faible population de renards[1].

Les chercheurs parlent même « d’effet cascade » : sur les 20 zones étudiées, celles qui étaient les plus pauvres en prédateurs (renards et fouines) étaient celles dont les rongeurs étaient les plus nombreux évidemment, et surtout les plus « riches » en tiques pathogènes.

Car la présence des renards a un autre effet bénéfique que la simple prédation, ont observé les chercheurs : en présence de renards… les rongeurs sont plus casaniers, et circulent moins, abaissant ainsi leur risque d’être mordus par des tiques.

Oui, mais, et la rage ?

Si un beau matin vous trouvez votre sac poubelle éventré par un renard, dites-vous que c’est un prix modeste à payer pour le rôle de « gardien de la paix » vis-à-vis de la maladie de Lyme que remplit l’animal.

Néanmoins, même si les renards sont de plus en plus à l’aise dans nos habitats urbains, ils ne sont pas voués à être domestiqués et doivent rester sauvages : la rage, qui ne fait plus de ravage chez nous, peut encore être transmise par le renard.

Mais une fois encore, il n’y a aucune raison qu’un renard vous morde si vous ne le menacez pas.

Un autre risque un peu plus répandu, mais moins dangereux, est représenté par l’échinococcose, une infection parasitaire dont l’agent pathogène (le ténia) peut se trouver dans les déjections et l’urine du renard.

Mais contre cela, une mesure de prévention simple consiste à laver soigneusement les fruits des bois, les légumes de pleine terre et les fruits tombés que vous ramassez et récoltez[2].

En cette époque d’explosion des cas de Lyme (favorisés par le réchauffement), qui représente un péril sanitaire bien plus sérieux, nous avons donc tout à gagner de la cohabitation avec le renard, d’autant que sa présence demande, de notre part, une adaptation moins importante que de la sienne.

Le cas (inattendu, vous en conviendrez) de la fable du renard et de Lyme illustre à merveille les liens étroits qui unissent le monde animal et la santé humaine.

Et il y a quelques jours, c’est un cousin du renard, domestiqué, lui – je parle bien entendu du chien – qui a révélé son rôle bienfaiteur contre une autre maladie elle aussi de plus en plus répandue : la maladie de Crohn. 

Surprise chez les chercheurs canadiens

Des chercheurs canadiens travaillant sur la maladie de Crohn, ont demandé à quelque 4’300 volontaires de remplir un questionnaire afin de dégager les facteurs pouvant influencer, ou au contraire prévenir, l’apparition de cette maladie inflammatoire chronique de l’intestin.

Les questions étaient du type : quelle est la taille de votre famille ? Avez-vous grandi en ville ou à la campagne ? Buviez-vous l’eau d’un puits ?…

Et là, en examinant les résultats, surprise ! Un élément auxquels les chercheurs ne s’attendaient pas du tout est apparu : le fait d’avoir un chien à la maison durant son enfance !

Selon les résultats de cette étude canadienne, le fait de grandir avec un chien réduit de 40% le risque de développer une maladie de Crohn[3].

Pour tenter de comprendre cet étonnant paramètre de protection contre Crohn, il faut peut-être s’attarder sur une autre donnée révélée par cette étude : passer sa petite enfance dans une famille relativement nombreuse (au moins 4 autres personnes) serait tout aussi protecteur.

Autrement dit : c’est la variété et l’intensité de l’exposition à d’autres microbes durant l’enfance qui permettrait à l’immunité de se construire correctement.

C’est ce qu’on appelle l’hypothèse hygiéniste : le fait de grandir dans un environnement aseptisé, « trop propre » en quelque sorte, favorise l’apparition de troubles de santé en lien avec l’immunité.

Ce phénomène est bien connu de par la spectaculaire moindre incidence d’allergies chez les personnes ayant grandi dans une ferme.

A défaut de vivre à la campagne, donc, le fait de grandir avec d’autres enfants et avec un chien constituerait donc un bon « entraînement » pour le système immunitaire, lui permettant de distinguer les bactéries vraiment dangereuses de celles qui ne le sont pas.

En revanche, le fait de grandir avec un chat n’aurait pas le même effet protecteur (même si grandir avec un chat a par ailleurs plusieurs autres bienfaits … !) : la différence tiendrait à ce que le chien est plus prompt et disposé que le chat à distribuer des léchouilles, exposant de facto généreusement la famille à son microbiote !

Qu’ils soient à l’extérieur et sauvages, ou à l’intérieur et domestiqués, les animaux peuvent nous aider à rester en bonne santé, en réduisant notre risque de développer ce qui devient de vrais fléaux : Lyme et Crohn.

En revanche, je vous déconseille définitivement non seulement la tentative de domestication d’un renard… et pire encore la cohabitation entre un renard et un chien !

Je vous recommande, pour vous en convaincre, le très joli récit de Jules Roy intitulé L’Amour fauve[4] : l’auteur y raconte comment il a recueilli une renarde de trois mois… ce qui a conduit à la mise à sac de sa bibliothèque et à la guerre rangée avec son chien !

Et vous, quels rapports entretenez-vous, là où vous habitez, avec la vie sauvage ? Bêtes aquatiques ou volatiles, nuisibles ou animaux de passage… Je serais heureux de vous lire en commentaire.

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet

[1] Hofmeester TR, Jansen PA, Wijnen HJ, et al. (2017). Cascading effets of predator activity on tick-borne disease risk. The royal society 284 (1859). https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rspb.2017.0453

[2] OFSP (Office fédéral de la santé publique), confédération suisse. Ténia du renard (Echinococcose). https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/krankheiten/krankheiten-im-ueberblick/echinokokkose.html

[3] DDW2022 (Digestive Disease Week). Living with Dogs (But Not Cats) as a Toddler Might Protect Against Crohn’s Disease. https://ddw.org/2022/05/23/living-with-dogs-but-not-cats-as-a-toddler-might-protect-against-crohns-disease/

[4] Roy J (1971). L’amour fauve. Grasset : Paris, France. EAN : 9782246850212