Chers amis,
Il y a deux sortes de gauchers : les gauchers, et les gauchers contrariés – c’est-à-dire ceux que l’on a, dans leur enfance, obligés à écrire de la main droite.
Ces derniers sont de moins en moins en nombreux. Mais jusqu’à une époque assez récente, être gaucher était quasiment considéré comme une maladie.
Qu’il fallait donc soigner, de gré ou de force.
Il était courant, jusque dans la fin des années 1970, d’entendre qu’on comptait davantage de déficients mentaux et de névrosés parmi les gauchers que parmi les droitiers[1].
C’est naturellement beaucoup plus compliqué que ça, mais les différences entre gauchers et droitiers font l’objet d’études aux conclusions surprenantes.
Une « minorité biologique et psychologique »
D’abord, pourquoi une telle stigmatisation des gauchers, qui paraît aujourd’hui complètement absurde ?
Il y a une raison simple : les gauchers, qui représenteraient 9,5 % à 10 % de la population, sont à ce titre… une minorité.
Une « minorité biologique et psychologique », a-t-on même pu entendre à la radio[2].
Et comme toute minorité… elle est mal considérée par la majorité, et invitée à rentrer dans le rang, consciemment ou inconsciemment.
D’après des études menées sur les empreintes laissées dans les grottes par nos ancêtres préhistoriques, la proportion de gauchers dans la population serait pourtant remarquablement stable depuis 30 000 ans[3].
Reste la question, qui vaut la peine d’être posée : qu’est-ce qui fait que certains sont droitiers et d’autres gauchers ?
Mais aussi : cette différence se traduit-elle en matière de santé ?
Aussi étonnant que cela puisse paraître, la réponse à cette dernière question est oui.
Et l’explication est à chercher du côté de la réponse à la première question…
Gauchers, droitiers : ça n’est pas qu’une question de main
Dans une étude publiée en avril dernier dans Nature, les chercheurs révélaient que la préférence « spontanée » pour telle ou telle main dépendrait de variants génétiques[4].
Et plus exactement de « variantes codantes rares », 2,7 fois plus présents chez les gauchers que chez les droitiers.
Il s’agit de variants impliqués dans la production d’une famille de protéines, les tubulines, qui influencent le développement du cerveau et la mise en place au moment de sa formation, de la prédominance de l’un ou l’autre, des deux hémisphères.
Autrement dit, le fait d’être gaucher n’est pas anormal : c’est une normalité rare, aussi hasardeuse que les enfants naissant avec les yeux verts.
Avoir les yeux verts n’est pas une maladie. Et les gauchers sont en bonne santé.
Et pourtant, si être gaucher n’influence pas votre santé globale, cela influence certains risques particuliers.
Il y a l’explicable… et l’inexplicable, pourtant bien documenté.
Des circuits neuronaux différents
L’explicable, pour commencer.
Droitiers et gauchers ont des circuits neuronaux différents.
Cette différence est si prégnante que, dans les études effectuées en neurosciences… les gauchers sont exclus des participants, pour ne pas « fausser » les résultats[5] !
Les cerveaux d’un droitier et d’un gaucher ne sont pas « latéralisés » de la même façon.
Vous savez peut-être que le cerveau humain est organisé de manière latérale, ce qui signifie que chaque hémisphère contrôle des fonctions différentes.
Chez les droitiers, l’hémisphère gauche du cerveau est généralement dominant et gère des fonctions comme le langage, la logique et les mathématiques.
En revanche, chez les gauchers, la répartition des tâches entre les hémisphères est souvent plus équilibrée ou même inversée.
Cela pourrait expliquer pourquoi certains gauchers sont perçus comme plus créatifs ou habiles dans des domaines artistiques ou spatiaux.
Cependant, cette configuration particulière du cerveau gaucher n’est pas sans conséquence.
Des études ont, de fait, montré, que les gauchers sont plus susceptibles de souffrir de certains troubles neurologiques, comme la dyslexie, l’autisme ou de troubles de l’humeur, tels que la dépression[6].
Cela pourrait être dû au fait que leur cerveau est souvent plus « asymétrique » que celui des droitiers, ce qui pourrait perturber certains processus cognitifs.
D’un autre côté, certains chercheurs suggèrent que cette asymétrie cérébrale pourrait aussi conférer aux gauchers un avantage en termes de pensée divergente et de créativité.
Mais il y a aussi une question d’inadaptabilité subie.
Les gauchers vivent dans un monde inadapté
Notre société actuelle se veut « inclusive », c’est-à-dire ouverte à toutes les ethnies, toutes les religions, toutes les préférences sexuelles. Elle s’efforçant de rendre lieux publics et transports accessibles le plus aux handicapés, etc.
Il est donc étonnant que dans cette société-là se targuant d’accepter et même de mettre en valeur toutes les minorités, cette « minorité invisible » que sont les gauchers, soit subtilement, mais systématiquement, discriminée !
Car notre monde est largement conçu pour les droitiers, des ciseaux aux bureaux d’écoliers, en passant par les poignées de porte : il est plus facile pour un droitier d’apprendre à lire, à écrire, à conduire et à utiliser certains outils.
Cela pose des défis quotidiens pour les gauchers, bien que, comme toujours, l’adaptabilité humaine soit impressionnante.
De nombreux gauchers apprennent à utiliser certains outils de la main droite, développant ainsi une forme d’ambidextrie.
Cette « adaptabilité » cérébrale serait, également, susceptible de rendre les gauchers plus forts… en mathématiques[7] !
Mais d’une façon plus générale, cette inadaptation des produits manufacturés aux gauchers serait la principale explication d’un fait observé depuis longtemps : les gauchers ont une espérance de vie un peu plus courte que les droitiers[8].
Les gauchers sont plus susceptibles d’avoir des accidents domestiques ou au travail, en partie parce que beaucoup d’outils et de machines sont conçus pour les droitiers.
Cette « discrimination » n’est donc pas qu’un inconfort : elle a des conséquences très concrètes sur la santé.
Plus surprenants en revanche sont les liens entre la préférence manuelle et certaines maladies.
Plus de maladies auto-immunes et de diabète chez les gauchers (ou les gauchères) !
Que davantage d’accidents surviennent aux gauchers dans un monde conçu pour les droitiers, ça se comprend.
Que les gauchers, dont le cerveau n’est littéralement pas « câblé » de la même manière que celui des droitiers, souffrent davantage de troubles neurologiques, comme je l’ai mentionné plus haut, ça peut s’expliquer.
Il y a, en revanche, une plus grande prévalence de certaines maladies chez les gauchers qui reste, à ce jour, inexplicable.
Il y a un peu plus de vingt ans, une étude britannique observait ainsi une plus grande prévalence de certaines maladies auto-immunes chez les gauchers : ces derniers présentent deux fois plus de risques de développer une maladie de Crohn ou une rectocolite hémorragique que les droitiers[9].
Ce plus grand risque de développer des maladies inflammatoires de l’intestin rejoint une cohorte d’autres troubles de santé chroniques dont souffrent plus souvent les gauchers, comme l’asthme et la migraine.
A ce jour, aucun scientifique n’est parvenu à réellement expliquer tout cela.
Mais ce qui, à titre personnel, m’a le plus surpris, c’est au cours d’une conversation que j’ai eue il y a quelques jours avec le Dr Réginald Allouche, diabétologue réputé, que je l’ai appris.
C’est la prévalence de diabète de type 2 chez les gauchers, en réalité plus précisément chez les gauchères.
Pourquoi spécialement les femmes ?
Eh bien tout simplement parce que cette découverte a été réalisée au sein d’une cohorte de 100 000 femmes, nées entre 1925 et 1950.
Il s’agit de l’étude observationnelle « e3n », entamée au début des années 1990, et qui, aujourd’hui, nous renseigne sur les facteurs de risque de la plupart des maladies de civilisation : maladies cardio-vasculaires, Alzheimer, Parkinson et, donc, diabète.
L’observation surprenante révélée par les chercheurs, c’est que les gauchères présentent 25 % de risque en plus de développer un diabète de type 2[10].
Pourquoi ? Les chercheurs en sont réduits aux supputations : les gènes et hormones qui influencent la latéralisation du cerveau pourraient jouer un rôle.
Mais rassurez-vous : ce n’est pas parce que vous êtes gaucher ou gauchère que vous allez nécessairement développer une maladie auto-immune ou un diabète de type 2.
Mais j’espère que ces informations vous inciteront à surveiller de plus près votre santé sur ces plans, et en particulier celui de la prévention du diabète.
En attendant, si vous êtes gaucher ou gauchère, je suis curieux de lire votre expérience personnelle de tous les aspects que j’ai évoqués dans cette lettre.
Portez-vous bien,
Rodolphe
[1] https://www.radiofrance.fr/franceculture/les-gauchers-contraries-par-les-neurosciences-2856059 – Pierre Robert, « Les gauchers, contrariés par les neurosciences », in. France Culture, 21 juillet 2020
[2] Ibid.
[3] http://news.bbc.co.uk/2/hi/science/nature/3485967.stm#:~:text=BBC%20NEWS%20%7C%20Science%2FNature%20%7C,handedness%20common%20in%20Ice%20Age&text=The%20fraction%20of%20left%2Dhanded,30%2C000%20and%2010%2C000%20years%20ago. – Dr David Whitehouse, « Left-handedness common in Ice Age », in. BBC News, 13 février 2004
[4] https://www.nature.com/articles/s41467-024-46277-w – Dick Schijven, Sourena Soheili-Nezhad, Simon E. Fisher & Clyde Francks, « Exome-wide analysis implicates rare protein-altering variants in human handedness », in. Nature Communications, 2 avril 2024
[5] https://www.vice.com/en/article/brain-science-is-ignoring-left-handed-people/ – Shayla Love, « Brain Science Is Ignoring Left-Handed People », in. Vice, 9 juillet 2020
[6] https://www.mpi.nl/news/large-study-compares-brains-left-handers-and-right-handers – « Large study compares the brains of left-handers and right-handers », in. Max Planck Institute for Psycholinguistics, 17 novembre 2021
[7] https://www.frontiersin.org/journals/psychology/articles/10.3389/fpsyg.2017.00948/full – Giovanni Sala, Michela Signorelli, Giulia Barsuola, Martina Bolognese & Fernand Gobet, « The Relationship between Handedness and Mathematics Is Non-linear and Is Moderated by Gender, Age and Type to Task », in. Cognitive Science, vol.8, 2017
[8] https://www.courrierinternational.com/article/2001/03/08/les-gauchers-meurent-plus-jeunes#:~:text=Reste%20que%20l’aspect%20le,dur%C3%A9e%20quasi%20identique%20%C3%A0%20celle – « Les gauchers meurent plus jeunes », in. The Observer, septembre 2003 (trad : Le Courrier international, 1er octobre 2003)
[9] https://www.apmnews.com/freestory/10/109160/les-gauchers-sont-deux-fois-plus-exposes-aux-maladies-inflammatoires-de-l-intestin – « Les gauchers sont deux fois plus exposés aux maladies inflammatoires de l’intestin », in. APM News, 12 juillet 2001
[10] https://www.e3n.fr/diabete-et-preference-manuelle – « Diabète et préférence manuelle », in. e3n.fr
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Bonsoir,
Effectivement votre article est très exact, je suis née le 12 Mai 1970 et malheureusement je suis gauchère contrariée, obligée par des parents à utiliser la main droite, alors que je suis gauchère.
Cela génère de très nombreux soucis, retards scolaires, lenteur et manque de confiance en soi.
Isabelle
Je suis ambidextres comme beaucoup de sport je suis gaucher mais avec une raquette je suis droitier et pour travailler avec des outils je suis en majorité droitier. je peux jouer au baseball au bâton aussi bien gaucher que comme droitier J’ai même arrêté ce sport à cause de cela on ce moquait de moi. J’ai été aussi souvent blessé. J’étais aussi conscient si je pensais de la gauche ou la droite. On m’a dirigé ou demandé de travaillé du côté droit et ce que sans trop de difficulté.
Vous dites que les gauchers sont bons en mathématique..Moi,j’ai mon secondaire IV, et j’ai eu 100 en géométrie et 100 en algebre.. Camil
Je suis gauchère et à 16 ans en 10e année, je suis l’une des deux personnes au Canada qui a eu 100% dans les tests de fin d’année en géométrie. Ils avaient oublié de mettre un nombre nécessaire sur une des lignes pour pouvoir répondre à la question. J’ai utilisé l’algèbre pour m’en sortir.
Je suis devenue CMA. J’ai étudié la numérologie à 22 nombres pendant 12 ans. Je suis en train de développer un site web pour faire profiter tout le monde de mes connaissances. Lorsque j’étais Conseillère régionale Finances et Administration pour la région du Québec à Revenu Canada, le Sous-ministre fédéral de Revenu Canada a dit à mon Sous-ministre adjoint que la région du Québec était la mieux gérée de tout le Canada. À la retraite je me suis mise à la peinture acrylique et j’ai gagné plusieurs prix. J’ai eu le diabète pendant 30 ans, et je m’en suis guérie par moi-même. J’ai 78 ans et je ne prends plus aucun médicament chimique. Je prends des suppléments. Merci pour cet article, c’est vrai que les gens ne pensent pas à nous les gauchers. Mais on a appris à s’adapter. Jusqu’en 7e année je devais devenir une religieuse, mais la soeur qui voulait nous forcer à changer de main pendant un examen final de la province, a été si débile, qu’elle a finie à St-Jean de Dieu l’année d’après. Elle voulait que je lui demande pardon d’avoir changé de main, et je n’ai PAS demandé pardon. D’être gauchères nous a appris à être plus combattantes.
Bravo » Ginette » ! Je suis très fière de vous !
Ce professeure n’était qu’une personne non renseignée …
Bonjour Rodolphe ,je suis une femme de 65 ans gauchère. J’ai dans la jeunesse était dislexique mais plus tard je n’ai jamais eu d’accident de travail avec mon métier manuel. Et jusqu’ à aujourd’hui je n’ai pas développé de diabète de type 2 et je fais très attention à la santé. Voilà pour mon cas. Cordialement
Bonjour, je suis née gauchère et comme j’ai plus de 80 ans on m’a toujours forcée à me servir de la majn droite même si j’ai souvent tendance pour tout et n’importe quoi à me servir de la main gauche, résultats j’ai quand même fait des études et occupé des postes délicats ! par contre je me suis trouvée compètement déstabilisée pour l’orientation spatiale et j’ai toujours eu des problèmes à dire si c’est l’Ouest ou si c’est l’Est et pour passer le permis de conduire (il y a longtemps) tourner à gauche ou tourner à droite pfff! la galère ! j’avais dessiné 2 petit points sur mon pouce droit (pour la droite) et 1 seul petit point sur le pouce gauche et tout c’est bin passé, mais je confirme que c’est une vie de galère cette histoire de gauche et de droite ! Par contre mon petit frère (20 ans de moins que moi on était 7 enfants !) lui aussi gaucher a pu se servir de sa main gauche sans problèmes et n’a pas connu les mêmes difficultés que moi même si la vie est « pensée » pour les droitiers ! il faut reconnaître qu’il y a quand même quelques efforts pour les outils, j’en avais pas mal bricolés pour ma main gauche et je pense que seuls les gauchers y pensent pour les droitiers tout est normal. Merci d’avoir lu, un petit plus dans ma journée ! merci !
En effet je suis un gaucher contrarié, devenu aussi habile des deux mais sauf pour l’écriture. Dès les classes élémentaires communales il était interdit d’écrire de la main gauche, la désobéissance enraînait un coup de règle sur le bout des doigts de la main gauche par l’instituteur( 1953/1954) et les parents en ce temps ne trouvaient rien dire…J’ai gardé le nom en mémoire de cet l’instituteur qui aujourd’hui aurait de gros soucis , ça marque à vie. J’ai donc préféré les mats (le calcul on disait à l’époque) que l’écriture. Cher Rodolphe nous nous sommes rencontré pour un interview à Lyon sur mon Parkinson, dont je me suis sorti. Effectivement depuis 40 ans chaque jour je dois faire attention à mon alimentation pour sauvegarder mon entérite et mon taux de cholestérol. Ce « petit » témoignage conforte la théorie de santé du gaucher que je suis suivant la lecture de votre article.
Bien à vous, JC Prévost.