Chers amis,
J’ai appris cette semaine seulement le décès, survenu en juin dernier, de Clark Olofsson, à l’âge de 78 ans[1].
Son nom ne vous dit peut-être rien. Mais vous le connaissez, en quelque sorte, par ricochet.
Clark Olofsson était un malfrat. Un authentique malfrat comme seules les années 1970 savaient en produire : beau gosse, drogué, chevelu et barbu, doté d’un puissant aplomb libertaire. Il a passé plus de la moitié de sa vie en prison, soit plus de 40 ans.
Olofsson a commencé comme voleur et cambrioleur. Puis il a sévi dans le domaine lucratif du trafic de drogue, et s’est illustré dans des évasions et cavales spectaculaires, et… la prise d’otages.
Et c’est précisément cette prise d’otage qui a marqué les esprits.
Elle a en effet donné naissance à un terme « psy » populaire chez… les non-psy : le syndrome de Stockholm.
« Que la fête commence ! »
La 23 août 1973, à Stockholm, un homme nommé Jan‑Erik Olsson entre dans une banque – la Kreditbanken, sur la place de Norrmalmstorg – sort un pistolet mitrailleur de sa veste et tire plusieurs coups de feu en l’air en criant « Que la fête commence ! ».
Et il est équipé pour la « fête » en question : il a avec lui une grande valise contenant des munitions de réserve, des explosifs plastiques, des détonateurs, des mèches de sécurité, des bouts de corde, un couteau, deux talkies-walkies et un transistor.
Il prend quatre personnes en otage et exige plusieurs choses : une rançon, un véhicule d’évasion, mais, surtout… que la police fasse venir un certain Clark Olofsson de prison.
C’est son ancien compagnon de cellule ; c’est notre malfrat.
Olofsson est amené sur les lieux ; les deux bandits et les quatre otages se retranchent dans la chambre forte de la banque, assiégée par la police.
Cette confrontation tendue se transforme alors en spectacle, ou plus exactement en feuilleton télévisé, avec ballet de journalistes, intervention de politiques, retransmission en direct et tout le tralala.
La Suède entière ne vit plus qu’au rythme de cet évènement inédit dans l’histoire du pays.
Mais au cours des six jours que dure cette prise d’otage, et sous l’œil du monde, quelque chose d’inattendu se produit : les otages commencent à manifester de la sympathie, de la confiance même, envers leurs ravisseurs.
Naissance du « syndrome de Stockholm »
Ce fait divers très médiatique a été minutieusement relaté dès l’année suivante dans un long récit publié par The New Yorker. Le texte intégral est disponible, en anglais, dans le lien en source[2].
Ce récit est fascinant à lire, non seulement parce qu’il décrit de l’intérieur, et de façon assez enlevée, la prise d’otage, mais parce qu’il permet de réaliser la stupéfaction, il y a un demi-siècle, devant ce qui paraissait impensable : le fait que les otages prennent parti pour leurs ravisseurs.
Au cours de la prise d’otage, un commissaire est autorisé par les ravisseurs à « inspecter » la situation et s’assurer de la bonne santé des prisonniers : « comme il l’a confié à ses collaborateurs immédiatement après, l’inspection s’était déroulée dans une atmosphère étrange. Les otages, a-t-il rapporté, se montraient hostiles à son égard, l’air renfrogné et renfermé. Kristin (l’une des otages), se souvient-il, lui fit presque la moue. Personne n’avait de requêtes à lui adresser ; il ne perçut aucun regard implorant. En revanche, une amitié particulière régnait entre les otages et Clark (…). Alors que les captifs se dirigeaient vers l’escalier, le commissaire constata avec étonnement que leurs relations avec Clark étaient parfaitement détendues, et même parfois conviviales ; (…) lorsque Kristin et Elisabeth se présentèrent devant le commissaire, Clark les entoura d’un bras, affichant une camaraderie naturelle. »
La Kristin évoquée par le commissaire prend même la défense des malfrats lorsqu’elle a le premier ministre suédois au téléphone, affirmant : « J’ai entièrement confiance en Clark et le voleur. Je ne suis pas désespérée. Ils ne nous ont rien fait. Au contraire, ils ont été très gentils. (…) Je veux que vous nous laissiez partir avec eux. Donnez-leur les devises et deux armes, et laissez-nous partir. »
Au cours de cet entretien téléphonique de 42 minutes, enregistré à leur insu par la police, l’otage répétera à plusieurs reprises qu’elle fait entièrement confiance aux deux bandits et que l’ensemble des otages veulent partir avec eux.
C’est à un psychologue de la police suédoise, Nils Bejerot, chargé d’expliquer l’étrange comportement des otages pendant le braquage, que l’on doit l’invention du terme « syndrome de Stockholm ».
Pourtant… le « syndrome de Stockholm » n’a jamais été validé scientifiquement comme tel : autrement dit, c’est une appellation, pas un syndrome réel, pas plus qu’un diagnostic psychiatrique reconnu.
Est-ce à dire pour autant qu’il n’existe pas ?
Le syndrome du « syndrome de Stockholm » !
Le terme « syndrome de Stockholm » a fait florès ; la presse comme la fiction y ont volontiers recours.
Ça a commencé très tôt : dès 1975, un excellent film de Sydney Lumet avec Al Pacino, Un après-midi de chien, « met en scène » un syndrome de Stockholm au cours… d’un braquage de banque.
L’une des premières fois que j’ai entendu ce terme, pour ma part, c’est dans un James Bond, Le Monde ne suffit pas, il y a plus d’un quart de siècle : le héros explique ainsi la trahison du personnage interprété par Sophie Marceau, qui prend le parti de son ex-ravisseur.
De fait, « le syndrome de Stockholm » est un terme commode, auxquels plusieurs psychologues ont recours pour observer le mécanisme d’adaptation observé chez des otages ou des victimes d’enlèvement par des terroristes du Moyen-Orient.
Il s’agirait d’une manière, pour les captifs, de se préserver en se rangeant du côté de leurs ravisseurs ou agresseurs tout-puissants.
Le « syndrome de Stockholm » se rapproche d’une notion identifiée près de quarante années plus tôt par les psychanalystes Sandor Ferenczi et Anna Freud : celle de l’identification à l’agresseur[3].
Il s’agit, d’après leurs travaux, d’un mécanisme de défense dans lequel un individu se met à imiter son agresseur pour atténuer l’angoisse liée à l’agression.
C’est un phénomène parfaitement identifié chez les enfants, qui sont par nature plus fragiles psychologiquement ; mais on peut le retrouver chez des adultes.
Le terme est plus technique, et frappe moins l’imagination que « syndrome de Stockholm », mais il décrit bien ce qui relève non pas d’un problème psychiatrique, mais d’un mécanisme de défense psychologique.
Mais j’ai une autre théorie quant au succès du terme de « syndrome de Stockholm » : c’est que ce terme décrit une réalité terriblement banale.
Sous emprise ?
Avec l’affaire des viols de Mazan et l’issue du procès Jubillar, la question des violences conjugales a déferlé dans les médias grand public.
Je ne vais pas insister sur cette mise en lumière d’un phénomène qui est hélas aussi vieux que le monde, mais qui est devenu un vrai sujet de débat public depuis peu.
En revanche, en lisant le tout dernier livre de Stéphane Allix, La Preuve[4], je me suis rendu compte que ce problème ne pouvait sans doute pas être compris sans ce qui peut s’apparenter à un syndrome de Stockholm chez la victime.
Le journaliste part d’une situation terrifiante dans sa banalité : l’assassinat d’une jeune femme, Aurélie, sous les coups de son époux au cours d’une scène de ménage qui a viré au massacre.
On parle beaucoup « d’emprise » de la part des auteurs de ces violences envers leur victime.
Ce concept d’« emprise » permet de relativiser cette autre notion, également sous le feu des projecteurs depuis les affaires « me too », de consentement.
Mais ce qui m’a frappé, dans le cas qu’évoque Stéphane Allix, c’est le récit des parents d’Aurélie, qui non seulement ne soupçonnaient pas jusqu’au week-end fatal la violence qu’exerçait déjà le mari sur leur fille, mais le fait que, de toute évidence, cette dernière se taisait pour le protéger, lui.
Cela, à mon sens, va au-delà de la simple emprise : le syndrome de Stockholm, et par extension l’identification à l’agresseur, ce n’est pas seulement la sympathie que peut éprouver un otage pour son ravisseur, le poussant même dans certains cas à épouser sa cause et le défendre : c’est la conviction que cet « accord » est la meilleure façon de s’en sortir.
C’est la motivation essentielle que l’on retrouve dans les récits des otages du braquage de 1973 : ces otages craignaient davantage de se perdre la vie au cours de l’opération de police, que de la main des malfrats.
Autrement dit : ils plaçaient davantage leur sécurité et leur confiance en leurs ravisseurs, qu’en la police. Pourtant ces ravisseurs avaient bel et bien menacé d’exécuter leurs otages s’ils n’obtenaient pas gain de cause !
Ils leur avaient même, littéralement, passé la corde au cou, menaçant de les pendre si la police diffusait un gaz (ce qui se produisit effectivement, j’y reviendrai).
La captivité invisible
Je crois que si le « syndrome de Stockholm » a connu un tel succès dans l’imaginaire collectif et fascine autant, c’est parce qu’il nous parle à tous.
Peu d’entre nous ont connu la claustration d’une chambre forte encerclée par la police.
Mais combien d’entre nous vivent, sans forcément s’en rendre compte, une forme de captivité invisible ?
Captifs d’un système économique qui nous use tout en nous promettant le confort.
Captifs d’un rythme de vie effréné que nous avons nous-mêmes adopté.
Captifs de technologies qui nous surveillent au nom de notre sécurité, ou de médicaments que nous consommons pour garantir notre santé.
Et comme ces otages de 1973, nous finissons par éprouver une forme de gratitude envers ce qui nous retient.
Cela m’a paru évident en particulier en 2020, au moment où la plupart des pays occidentaux se sont confinés.
L’État a, alors, littéralement séquestré des millions de gens pour les protéger.
C’est pour vous « protéger » qu’il a, peu à peu, réduit vos libertés, limité vos déplacements, et mieux encore conditionné votre possibilité de prendre le train ou d’aller au restaurant à un acte médical qui n’avait rien d’anodin puisqu’il consistait à se laisser injecter un produit pharmaceutique expérimental.
Toute cette séquence n’a tenu que sur un seul discours : « c’est pour votre bien, c’est pour votre sécurité ».
Et c’est exactement pour le même motif que les Autorités font passer crème des mesures de plus en plus liberticides : la surveillance algorithmique, la lecture de vos messages avant même que vous ne les envoyiez depuis votre téléphone…
Le « syndrome de Stockholm » est, à ce titre, une expérience collective.
La libération des otages
En 1973, c’est finalement en diffusant un gaz lacrymogène dans la chambre forte que les policiers sont parvenus à libérer les otages.
Les ravisseurs n’eurent pas le temps de mettre à exécution leur menace de pendre les otages.
Ces derniers pourtant ont refusé de témoigner contre leurs ravisseurs lors du procès.
La suprême ironie de l’histoire, c’est que plus d’un demi-siècle plus tard, ce « syndrome de Stockholm » initial continue lui-même d’exister.
En effet, suite à cette histoire, le beau et charmant bandit Clark Olofsson devint le premier « criminel star » de Suède. Il épousa même une fan qu’il avait rencontrée, adolescente, lors d’une cavale. Il en eut trois enfants.
La télévision suédoise fit un téléfilm de son histoire il y a vingt ans. Et il y a trois ans, le premier supermarché au monde de VOD, je veux parler de Netflix, a consacré une série à ce bandit, tout sobrement intitulée « Clark ».
La fascination pour les « mauvais garçons », pour peu qu’ils soient charmants, continue à exercer tout son pouvoir.
Le « syndrome de Stockholm » n’est donc pas un réel problème psychiatrique, mais il peut être le miroir grossissant d’une vraie tendance humaine : notre propension à nous accommoder de la domination, à la justifier même, pourvu qu’elle nous rassure.
La victime d’un agresseur, l’employé d’un supérieur toxique, le citoyen d’un pouvoir abusif – tous peuvent, à leur manière, se convaincre que « ce n’est pas si grave », que « cela pourrait être pire ».
C’est une stratégie de survie. Et elle marche… jusqu’à un certain point. Et en général, ce point est celui du non-retour.
Je ne connais pas de solution toute faite à ce mal. Mais la planche de salut repose assurément sur le fait d’en prendre conscience !
Portez-vous bien,
Rodolphe
[1] https://www.nytimes.com/2025/10/10/world/europe/clark-olofsson-dead.html
[2] https://www.newyorker.com/magazine/1974/11/25/the-bank-drama
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Identification_%C3%A0_l%27agresseur
[4] Harper Collins, 2025
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Bonjour Rodolphe, j’ai beaucoup apprécié cette lettre, ( pas du tout celle sur le nom Lecornu, que doit-on dire sur Bacquet alors ? ). Sur le sujet du jour, nous ne pouvons que nous reporter en 1576 pour lire ‘Discours sur la servitude volontaire » de La Boétie, ami de Montaigne. Je lis avec beaucoup d’attention vos lettres qui ont la vertu de nous ouvrir l’esprit.
Bonjour?
Reflexe de protection, d’accord, mais aussi l’expression de la lâcheté de chacun. On abdique devant celui qu’on considère (à tort ou à raison) comme plus fort que soi; On se soumet à lui. Selon le cas cela passe par le renoncement à sa personnalité, son honneur, sa santé, son intégrité physique, sa liberté, et dans le cas ultime , à sa vie. Et cela est valable à l’échelle d’une population; nous l’avons vu dans le cas du Covid et nous le voyons encore à propos de l’immigration illégale.
Oh, vraiment tres bien ecrit…
Superbe article (comme souvent).
Bravo, et merci !
Bonjour,
Merci pour ce texte mais nous sommes conditionnés ainsi depuis la naissance ! :même nos propres parents nous disent que c’est pour notre bien lorsqu’ils nous font qqchose qui nous déplaît!!! Donc nous sommes tous concernés par ce syndrome de Stockholm qui nous permet de vivre !
Cordialement.
Martine Echasseriaud
Demandez aux otages du Hamas ce qu’ils en pensent?
GRAND MERCI pour ce texte intéressant, utile, que je garde précieusement.
Réflexion que je vais mener avec mes élèves de 1ere en Français grâce à l’œuvre proposée par le Ministère de l’éducation nationale : Le discours de la servitude volontaire de La Boétie, première année que l’œuvre est au programme et ce pour 4 ans. Je débute dans 15 jours, il sera intéressant de voir comment la jeune génération perçoit la notion de liberté ( le thème à problématiser est : Défendre et entretenir la liberté). Ainsi une bonne partie des bacheliers de France est invitée à réfléchir à sa liberté face au système politique….
Merci pour cette lettre édifiante et qui décrit très bien ce phénomène d’adaptation pour se préserver qui est utilisé depuis très longtemps permettant toutes sortes d’abus à tous niveaux et ce que nous vivons depuis un certain nombre d’années a construit une normalisation de ce réflexe, acceptant comme vous l’expliquez avec une certaine facilité voire un soulagement pour au moins 75% de la population d’avoir fait le bon choix, que c’est mieux ainsi etc et donc oubliant sa Souveraineté. Beau dimanche à vous
Lorsque l’électricité est rétablie ,nous éprouvons un vive reconnaissance pour l’état qui nous en a privé , c’est similaire comme réaction.
« Le citoyen victime d’un pouvoir abusif »
Depuis l’avènement de la bête Macron nous le subissons encore plus intensément avec
La Hyène dé Bruxelles !…
Serait -ce la cause de cette passivité d’une grande majorité des français à ne pas réagir contre les faits de société ?…et attendent le
Pire?…aussi pour certains la
Peur les tétanisant ,leur lâcheté
Le désir de vivre leurs illusions sans être dérangés par
La réalité qui demande un certain courage pour l’affronter alors on se réfugie
Dans une parade pratiquant
L’aveuglement et la surdité
Volontaires et cette masse
Populaire est facile à manipuler par les forces
Médiatiques qui les persuadent
Que tous ceux qui ne se comportent pas comme eux
Ne sont que des »COMPLOTISTES »et ils se sentent confortés dans leur médiocrité qui entretient l’énorme manipulation de l’ingénierie sociale au détriment du « Conseil National de la Résistance »
Version Anti monfialiste globaliste wokistes francs maçons Illuminatis sionistes
Etc…
Bonjour Rodolphe,
Merci pour cet article ! J’ai toujours pensé que nous vivions depuis le Covid (voir même avant !) en plein syndrome de Stockholm COLLECTIF en occident. « Ne vous inquiétez pas, on s’occupe de tout » Seule une prise de conscience, comme vous l’écrivez justement, peut nous faire retrouver notre souveraineté…
Merci pour cet article très intéressant je ne sais pourquoi cela m’a amené au professeur Laborit et l’éloge de la fuite je vous laisse à cette observation
Alain Perruchaud
J’ai eu la même idée en analysant mon propre comportement dans une relation conjugale déséquilibrée où, finalement, je trouve toujours des excuses à mon épouse et préfère éviter le prochain conflit en faisant des concessions anormales… tous les jours !
Merci Rodolphe !
Article incroyablement lucide qui m’éclaire et, plus, me fait réaliser ma situation.