Chers amis,

La vitamine C est probablement la vitamine la plus connue du grand public, avec la vitamine D.

Pourtant, elle nous réserve encore bien des surprises, je vous assure.

Une carence en vitamine C est associée à des symptômes bien connus… et d’autres conséquences bien plus étonnantes, que l’on découvre à peine encore de nos jours.

Pour vous parler de la plus méconnue des vitamines célèbres, je vous emmène quelques siècles en arrière, en mer.

Au tournant des XVIe et XVIIe siècles, les grandes nations maritimes d’Europe commencèrent à se livrer une guerre qui nous semble exotique aujourd’hui : celle du contrôle des épices.

Cette guerre fit de nombreux morts : les marins mouraient lors d’échauffourées avec des concurrents ou des indigènes, ou bien périssaient en mer, lors de tempêtes.

Néanmoins l’écrasante majorité de ces hardis marins moururent de carences sévères en vitamine C, c’est-à-dire du scorbut.

Et ils allaient en mourir longtemps… Alors qu’’il y a plus de 400 ans on connaissait déjà le remède !

L’hécatombe de la course aux épices

Durant des siècles, les épices provenant d’Asie étaient arrivées en Europe par la terre – en empruntant la route de la soie – ou par la mer, débarquées dans de grands ports qui se livraient une lutte acharnée pour leur contrôle commercial.

Ces épices se négociaient à des prix difficilement imaginables de nos jours ; Venise a bâti sa prospérité en dominant impitoyablement ce marché.

Portugais et Espagnols entreprirent à la fin du XVe siècle d’aller acheter directement ces épices là où elles poussaient, en Asie, afin d’une part de les acheter moins cher, et d’autre part de les revendre eux-mêmes, sans passer par les tout-puissants intermédiaires vénitiens.

Vous le savez, c’est en voulant trouver une nouvelle route jusqu’à ces épices que Christophe Colomb aborda aux Antilles en octobre 1492.

Toutefois c’est en prenant la route du sud et de l’est, autrement dit en doublant le cap de Bonne-Espérance, que les Portugais furent les premiers Européens à installer des comptoirs dans les « épiceries », c’est-à-dire ces ports asiatiques où l’on pouvait acheter les épices à un meilleur prix, et parfois directement là où elles étaient produites.

Hollandais et Anglais se lancèrent à leur tour dans la course à la fin du XVIe siècle, afin de briser le monopole des Portugais et des Espagnols.

Quelle que fût la nationalité européenne des marins occupant ces navires, seul 1 homme sur 3 en moyenne revenait vivant de ces voyages longs de plusieurs mois : sitôt qu’ils passaient dans l’hémisphère sud, le scorbut se déclarait parmi les marins, et provoquait des hécatombes.

Chaque navire lancé dans la course aux épices laissait ainsi dans son sillage les cadavres d’hommes par dizaines.

Pourtant, avant même que le terme « scorbut » n’apparaisse, il y avait eu une exception notable.

170 ans d’oubli et des milliers de morts pour rien

En 1601, la toute jeune Compagnie des Indes orientales, fondée par un conglomérat de marchands britanniques, envoya 5 navires en direction de Madagascar, Sumatra puis Java.

Comme lors des voyages précédents, une fois passé l’équateur la plupart des hommes se mirent à perdre leurs dents, à souffrir de gencives gonflées, d’affaiblissement général et au final d’hémorragies mortelles… sur quatre des cinq navires.

En effet, l’équipage du navire amiral de la flotte, le Red Dragon, semblait mystérieusement immunisé contre ce mal : chaque marin s’y portait comme un charme, tandis que les occupants des quatre autres navires souffraient le martyre.

Cette « immunité » des marins du Red Dragon était due à cet homme :

Il s’agit de James Lancaster, qui commandait l’expédition, et se trouvait sur le Red Dragon.

L’écrivain de bord du navire note que Lancaster « avait pris avec lui quelques bouteilles de jus de citron qu’il distribua à chacun, aussi longtemps qu’il y en eut, trois cuillères chaque matin, à jeun. [1] »

Nul ne sait comment Lancaster avait découvert ce remède contre le scorbut. À l’époque, le terme même de vitamine C n’existait pas, et l’on savait encore moins que c’est une grave carence en cette vitamine qui provoque le scorbut : seule l’expérience et des observations empiriques avaient pu inspirer à Lancaster ce remède simple mais efficace.

Avait-il observé lors de voyages précédents que les marins se rétablissaient dès que des fruits et légumes frais étaient ajoutés aux salaisons qui faisaient l’ordinaire de leurs repas ?

L’on connaissait alors au moins le cas d’un marin, lors du premier voyage de Lancaster, qui avait guéri du scorbut après avoir mangé des oranges et des citrons cueillis à Sainte-Hélène [2].

Trois ans plus tard le voyageur et apothicaire français François Martin consigne également dans sa Description du premier voyage fait aux Indes orientales : « Il n’y a rien de meilleur pour se préserver de cette maladie que de prendre souvent du jus de citron ou d’orange, ou manger souvent du fruit, ou bien il faudra faire provision des sirops de limon, d’oseille, d’épine-vinette, d’une herbe appelée cochlearia, qui semble porter en soi le vrai antidote, et en user souvent. [3] »

Mais plus mystérieux encore est l’oubli complet de ce remède durant plus d’un siècle et demi.

Durant tout le XVIIsiècle et plus de la moitié du XVIIIe siècle, le scorbut continua à faire des ravages parmi les équipages embarqués sur des navigations au long cours.

Il faudra attendre les voyages du capitaines James Cook dans les années 1770 pour que, de nouveau, les armateurs et capitaines incluent dans le régime alimentaire des marins une alimentation comblant les carences en vitamine C, en l’occurrence sous forme de choucroute.

À la fin du même siècle, la distribution de jus de citron devint obligatoire à bord des navires français.

Mais le nombre de morts du scorbut provoquées par cette « éclipse » médicale de 170 ans est impossible à calculer.

Vitamine C : nous ne voyons toujours pas le bout de ses implications !

La médecine est loin d’avoir percé tous les mystères de la vitamine C.

Songez que la découverte de l’acide ascorbique – le nom chimique de la vitamine C – date d’il y a moins d’un siècle : 1928 !

Aujourd’hui, en 2023, le scorbut ne sévit certes plus dans les pays développés.

Le remède a été trouvé il y a longtemps, et de toute façon plus personne ne s’embarque pour des navigations de plusieurs mois sans toucher terre.

Les méfaits d’une carence en vitamine C ne se limitent cependant pas à cette maladie reléguée aux manuels d’histoire maritime. Et, plus grave encore, une carence en vitamine C n’a pas besoin d’être avancée pour devenir néfaste.

Une étude scientifique publiée en 2017 dans Nature tend à démontrer le rôle capital que joue la carence en vitamine C dans le développement d’un certain type de cancers du sang, les hémopathies malignes.

Des chercheurs de l’université du Texas ont en effet établi le lien entre la carence en vitamine C et la rapidité du développement de leucémies chez des souris [4].

Ce phénomène serait lié à une enzyme protectrice qui, pour fonctionner, a précisément besoin de vitamine C. Sans ce carburant, l’enzyme est moins efficace et laisse donc les cellules tumorales se développer.

Cette découverte a un corollaire assez optimiste, c’est-à-dire qu’à l’inverse, la supplémentation en vitamine C contribuerait à lutter contre ce même cancer.

L’ajout de vitamine C dans l’eau consommée par les souris a en effet permis d’améliorer le taux de survie des souris leucémiques et de réduire le nombre de cellules tumorales dans le sang.

La vitamine C est donc en passe de devenir un ingrédient incontournable des thérapies contre le cancer du sang [5]. Depuis, l’intérêt de la vitamine C dans la lutte contre le cancer du sein a également été évoqué : en intraveineuse, elle serait une piste pour accélérer l’autodestruction des cellules tumorales [6].

Évidemment, je ne saurais que trop vous conseiller de ne pas attendre de vous retrouver dans cette situation pour profiter des bienfaits protecteurs de la vitamine C !

Comment savoir si vous devriez prendre de la vitamine C ?

Achetée la plupart du temps en pharmacie pour simplement lutter contre la fatigue, la vitamine C joue un rôle bien plus large que cela. Voici quelques exemples méconnus de son action sur notre organisme :

  • Elle est nécessaire à la synthèse du collagène, un composant de base de la peau, des os, des dents et des gencives, des vaisseaux sanguins et de tous les tissus conjonctifs du corps.
  • Elle joue un rôle antioxydant majeur en neutralisant les radicaux libres, seule et en association avec la vitamine E, dont elle régénère la forme oxydée en forme active.
  • Elle participe aussi à la transmission de l’influx nerveux et à la synthèse de la dopamine, la noradrénaline et l’adrénaline, neurotransmetteurs de l’attention, de la concentration et de la motivation.
  • Elle est nécessaire à la synthèse du cortisol, l’hormone qui permet l’adaptation au stress physique comme psychologique.
  • Avec les protéines, elle permet la production des globules blancs qui nous aident à lutter contre les infections.
  • Elle intervient dans le métabolisme en permettant la synthèse de la bile, indispensable à la digestion des graisses.

Contrairement à la majorité des autres mammifères qui la fabriquent dans le foie, l’être humain est dépendant des apports alimentaires en vitamine C pour survivre.

En principe, un apport de 60 mg par jour suffit : c’est l’équivalent d’une grosse orange. Avec cet apport quotidien, toutes les fonctions de la vitamine C énoncées plus haut sont remplies.

En revanche, de plus en plus d’études indiquent qu’à ces doses, ces fonctions ne sont pas exploitées de manière optimale. Pour que ce soit le cas, notre apport devrait atteindre 400 à 500 mg par jour, soit environ 8 fois plus que la dose minimale utilisée pour prévenir le scorbut !

Voici la liste des problématiques de santé qui se manifestent lorsque l’apport en vitamine C n’est pas suffisant :

  • Apparition précoce des rides par défaut de la synthèse du collagène [7][8][9];
  • Hypertension artérielle par défaut de la synthèse du collagène (qui donne souplesse et élasticité à nos vaisseaux sanguins)[10];
  • Ostéoporose par défaut de la synthèse du collagène (le collagène est le constituant majeur de l’os, bien avant le calcium) [11];
  • Difficultés à se calmer ou à dormir suite à des événements stressants. Via son rôle sur le cortisol, la vitamine C permet l’adaptation au stress lorsqu’il se manifeste mais aussi le retour au calme lorsqu’il cesse ;
  • Fragilité immunitaire chez les sportifs (en cas d’activité intense, la vitamine C est utilisée de manière plus importante pour contrôler le stress physique, ce qui fragilise l’organisme)[12].

Complément alimentaire ou pas ?

Bien que 400 à 500 mg de vitamine C soit une dose largement plus élevée que les 60 mg recommandés actuellement, il n’est pas forcément indispensable d’avoir recours à des compléments alimentaires pour y parvenir.

Mais pour cela, une alimentation très riche en légumes frais est nécessaire car la majorité des fruits sont en réalité plutôt pauvres en vitamine C : une pomme, ou une banane, n’apporte qu’environ 10 mg alors que 100 g de brocoli apportent environ 130 mg de vitamine C et 100 g de poivrons apportent environ 100 mg.

Si consommer beaucoup de végétaux est difficile, il est alors très intéressant d’augmenter son apport via la préparation de jus de légumes, ce qui assurera des apports plus élevés en vitamine C.

Enfin, la solution de la supplémentation reste une bonne option, notamment pour assurer une régularité dans les apports.

Dans ce cas, privilégiez les compléments alimentaires apportant 500 mg de vitamine C tout en prêtant attention aux autres ingrédients discutables ou nocifs que les fabricants semblent ajouter avec enthousiasme dans ce type de produits : aspartame, dioxyde de titane, etc.

Mieux encore, préférez une formule combinant plusieurs vitamines, comme par exemple vitamines C et D.

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet

[1] Giles Milton, La Guerre de la noix muscade, éd. Noir sur blanc, Montricher, 2000, p.80

[2] Ibid.

[3] https://www.radiofrance.fr/franceculture/scorbut-la-terrible-peste-des-mers-fait-son-retour-7025357

[4] http://www.nature.com/nature/journal/vaap/ncurrent/full/nature23876.html?foxtrotcallback=true

[5] https://www.letemps.ch/sciences/sante/vitamine-c-arme-contre-leucemies

[6] https://www.frm.org/nos-publications/actualites/cancer-sein-vitamine-c

[7] Fitzpatrick RE, Rostan EF. Double-blind, half-face study comparing topical vitamin C and vehicle for rejuvenation of photodamage. Dermatol Surg. 2002 Mar;28(3):231-6.

[8] Cho HS, Lee MH, Lee JW, No KO, Park SK, Lee HS, Kang S, Cho WG, Park HJ, Oh KW, Hong JT. Anti-wrinkling effects of the mixture of vitamin C, vitamin E, pycnogenol and evening primrose oil, and molecular mechanisms on hairless mouse skin caused by chronic ultraviolet B irradiation. Photodermatol Photoimmunol Photomed. 2007 Oct;23(5):155-62.

[9] Jenkins G, Wainwright LJ, Holland R1, Barrett KE, Casey J. Wrinkle reduction in post-menopausal women consuming a novel oral supplement: a double-blind placebo-controlled randomized study. Int J Cosmet Sci. 2014 Feb;36(1):22-31.

[10] Stephen P Juraschek, Eliseo Guallar, Lawrence J Appel, Edgar R Miller III. Effects of vitamin C supplementation on blood pressure: a meta-analysis of randomized controlled trials Am J Clin Nutr 2012 ajcn.027995.

[11] Kim YA, Kim KM, Lim S, Choi SH, Moon JH, Kim JH, Kim SW, Jang HC, Shin CS. Favorable effect of dietary vitamin C on bone mineral density in postmenopausal women (KNHANES IV, 2009): discrepancies regarding skeletal sites, age, and vitamin D status. Osteoporos Int. 2015 Sep;26(9):2329-37.

[12] Hemilä H, Chalker E. Vitamin C for preventing and treating the common cold. Cochrane Database of Systematic Reviews 2013, Issue 1. Art. No.: CD000980