Chers amis,

Chaque dimanche dans le « New York Herald », au début du XXème siècle, paraissaient les aventures de Little Nemo.

C’était un petit garçon qui vivait des rêves extravagants et colorés. Les pieds de son lit se mettent à pousser et à gambader dans la ville, sa maison se fait avaler par un dindon géant, ses amis l’emmènent sur Mars en dirigeable…

Sur une immense page colorée s’exprimait l’art d’un précurseur de la bande dessinée : Winsor McCay.

Chaque dessin se terminait de la même manière : le réveil du petit garçon dans son lit !

Winsor McCay s’intéressait en particulier aux cauchemars… qu’adultes et enfants feraient…  après avoir mangé du fromage

Le fromage est-il une drogue hallucinogène ?

Chez les Anglo-Saxons en effet, le fromage a la réputation de donner de sérieux cauchemars si on en mange le soir.

Charles Dickens l’évoque dans son Conte de Noël[1].

Dans les Cauchemars de l’amateur de fondue au Chester, l’un des dormeurs de Winsor McCay se fait piquer le visage par un moustique qui gonfle, gonfle, gonfle… Un bûcheron se rend compte que les arbres qu’il est en train de couper sont en fait les poils de barbe d’un géant… Une âme fraîchement trépassée est précipitée en enfer et se retrouve engluée dans du fromage fondu…

Tous se réveillent en sueur… après avoir regretté d’avoir mangé du fromage !

Cette réputation du « fromage/cauchemar » est si solidement ancrée que les Britanniques, il y a quelques années, ont décidé d’y consacrer une étude scientifique.

Crocodile végétarien, chatons en guerre et Johnny Depp

En 2005, 200 volontaires anglais ont donc mangé une petite quantité de fromage avant de dormir, pendant une semaine.

Le type de fromage changeait chaque soir.

Les volontaires devaient noter leurs rêves le lendemain matin.

Résultat des courses : si la consommation de fromage n’altérait pas la qualité de leur sommeil, 60 % des volontaires avaient fait des rêves effectivement plutôt étranges[2] ! Mais aucun n’avait fait réellement de cauchemar.

De façon assez amusante, chaque type de fromage engendrait des rêves de natures très différentes.

Après avoir mangé du bleu (c’était du stilton, qui ressemble au roquefort), plus des trois quarts des personnes déclaraient avoir rêvé. Les personnes rapportèrent des rêves déroutants : un crocodile végétarien contrarié de ne plus pouvoir manger d’enfants, ou encore une bataille menée avec des chatons à la place des armes !

Après avoir mangé du cheddar, les volontaires avaient eu tendance à rêver de personnalités, comme Johnny Depp ou Michael Jordan ; le cheddar Red Leicester provoquait des rêves nostalgiques (amis d’enfance, jours d’école…).

Le Lancashire était plutôt profitable aux femmes, qui rêvaient de beaux hommes grâce à lui.

Le Cheshire, lui, … n’inspirerait aucun rêve.

Tyrosine ou lobby du fromage ?

Tout cela est-il bien sérieux ?

On peut y voir une nouvelle manifestation de l’humour britannique…

L’étude a été commanditée par le British Cheese Board, autrement dit un ensemble d’industriels du fromage britanniques, qui avaient intérêt à faire parler d’eux… et à faire mentir l’idée que la consommation de fromages serait associée à la production de cauchemars.

Ces résultats nourrissent cependant 2 théories sur l’effet du fromage sur le sommeil, lié à deux de ses composés.

Vous avez probablement remarqué la présence, dans les fromages à pâte dure comme le parmesan ou le gruyère, de petits cristaux blancs et croustillants. Plus le fromage est « vieux », plus ces cristaux sont nombreux.

Ces cristaux ne sont pas du sel. Ce sont des agrégats de tyrosine, un acide aminé transformé dans notre organisme en tyramine… c’est-à-dire en un composé libérant deux neurotransmetteurs : la norépinéphrine et la noradrénaline.

Ces substances pourraient effectivement perturber le sommeil et les rêves, à la façon d’une drogue légère.

Tryptamine ou LSD ?

Le second composé est la tryptamine, que l’on trouve plus particulièrement dans les plantes et les champignons.

La tryptamine est un précurseur chimique de la sérotonine du système nerveux central. 

On la retrouve dans beaucoup de drogues provoquant des états modifiés de conscience, comme certaines plantes employées par les chamanes, ou les champignons hallucinogènes que l’on pouvait autrefois acheter à Amsterdam…

Les champignons engendrant les fromages bleus, type roquefort ou gorgonzola, pourraient contenir de la tryptamine[3].

Bon, la comparaison s’arrête là.

Car il faudrait avaler une meule entière de roquefort ou de vieux gruyère pour que le taux de tyramine et de tryptamine atteigne un niveau capable de perturber sérieusement votre sommeil ou de vous faire vivre une expérience de champignons hallucinogènes.

Pour ceux que le sujet fromage et santé intéresse, je vous propose de regarder la vidéo que j’avais réalisée sur le sujet avec mon ami Sébastien Duparc.

Portez-vous bien, 

Rodolphe

[1] C. Dickens, Contes de Noël, Cantiques de Noël en prose, trad. Mlle de Saint-Romain, Librairie Hachette, 1857,  à consulter sur : https://books.google.ch/books?id=KPyADwAAQBAJ&pg=PT19&lpg=PT19&dq=charles+dickens+noel+fromage&source=bl&ots=vXFtHy-sRt&sig=ACfU3U2tqmUm4TaKfGMgxr5ft6lRnVcVyg&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjivuCtqaPnAhXHaVAKHR3YBRoQ6AEwA3oECAkQAQ#v=onepage&q=charles%20dickens%20noel%20fromage&f=false

[2] Interview de Nigel White par Melissa Block, « Study : eating cheese can alter your dreams » (2005), consulté le 27 janvier 2020 et disponible sur npr.org en suivant ce lien : https://www.npr.org/templates/story/story.php?storyId=4851485?storyId=4851485&t=1580115873417

[3] D. Smith, « Sweet dreams are made of cheese» (2016), consulté le 27 janvier 2020 sur nature.com rubrique /scitable by nature education/ disponible sur : https://www.nature.com/scitable/blog/mind-read/sweet_dreams_are_made_of/