Chers amis,

Coca et Kola sont dans un bateau.

Coca tombe à l’eau.

Puis, kola aussi !

Qui reste à bord ?

C’est l’objet de cette lettre.

Comment une panne de chauffage central m’a fait découvrir la coca

Il y a une douzaine d’années, j’ai vécu quelques mois à Buenos Aires. En 2010, l’immeuble dans lequel mon appartement se trouvait eut une panne de chauffage central.

C’est à cette occasion que je découvris un trait spécifique de la culture argentine – c’est-à-dire le trou noir dans lequel toute intervention ou démarche administrative est susceptible de tomber – mais aussi, de fil en aiguille… la coca.

Les jours passaient, les semaines passaient, et le chauffage n’était toujours pas réparé. Ayant quelques semaines de libres devant moi, je décidai de faire mon sac et de partir en vadrouille dans le nord de l’Argentine, où il faisait plus chaud.

C’est là-bas, au pied de la Cordillère des Andes, qu’un jour un indien me proposa quelques feuilles de coca pour lutter contre les maux de tête que l’altitude commençait à me donner.

Je fus d’abord interloqué. A l’époque, pour moi, coca = cocaïne (donc, drogue).

C’est ainsi que j’appris que non seulement la consommation de coca était permise là-bas, mais qu’elle était aussi banale que celle du café en Italie.

L’indien me donna quelques feuilles séchées comme celles sur l’image ci-dessous, et en fit un petit paquet qu’il m’invita à placer à l’intérieur de ma bouche, contre ma gencive.

C’est la salivation et une légère mastication qui permettent aux principes actifs des feuilles de coca d’être libérés.

Rapidement mes maux de tête disparurent.

La coca, plante médicinale des populations andines

Cette année-là, je poursuivis mon voyage en Bolivie puis au Pérou, toujours à des altitudes de plus en plus élevées.

Je pris l’habitude d’avoir toujours sur moi une petite réserve de feuilles de coca que j’utilisai dès que je craignais de souffrir du mal des montagnes.

C’est ainsi que je crapahutai dans Potosi, située à plus de 4000 mètres d’altitude, sans autre gêne que le souffle court provoqué par la raréfaction de l’oxygène… mais sans les malaises connus par plusieurs autres étrangers que j’y croisai. Grâce à mes petites feuilles de coca.

Je remarquai également que, malgré l’altitude, j’étais dans une forme éclatante !

À La Paz, capitale de la Bolivie, je visitai un petit musée consacré à cette plante extraordinaire.

La coca est employée depuis des milliers d’années par les peuples des Andes pour aider à faire face à toutes les privations : elle combat en effet la faim, la soif, la fatigue et la douleur.

Il n’est donc pas étonnant que les Andins la considèrent comme sacrée, ni surtout qu’ils s’en servent comme plante médicinale d’usage quasi-quotidien.

Ses feuilles regorgent de calcium, de phosphore, de magnésium, de fer, de vitamines E et B2, de bêta-carotène, de différents flavonoïdes et, évidemment, d’alcaloïdes au premier desquels on compte la cocaïne (à ne pas confondre avec le produit raffiné sous forme de poudre qui porte le même nom – je vais y revenir dans un instant)[1].

En Bolivie et au Pérou, où la coca continue à être cultivée, la consommation de cette plante remarquable varie entre celle que j’ai connue, pratique et médicinale, et la simple infusion.

Cet usage traditionnel est pourtant menacé à cause du trafic de drogue, qui a bien failli la faire disparaître.

Mais la coca est également à l’origine de l’un des plus terrifiants dévoiements de santé de notre histoire moderne.

La coca, la Corse et l’Amérique

Au XIXème siècle, les bienfaits médicinaux de la coca étaient connus bien au-delà des Andes.

À tel point qu’un pharmacien corse du nom d’Angelo Mariani eut un jour l’idée de faire macérer des feuilles de coca dans du vin de Bordeaux afin de créer une boisson tonique – le vin Mariani – qui connut un grand succès.

Cette boisson, lancée en 1863, promettait de « fortifier le corps et le cerveau » et de « restaurer la santé et la vitalité », s’appuyant sur les vertus des feuilles de coca. Des médecins la prescrivaient contre la grippe ou l’anémie[2].

Hélas pour lui, Mariani ne breveta pas sa recette… qui ne tarda pas à être copiée par un autre pharmacien, américain celui-là, du nom de John Styth Pemberton.

La contrefaçon de Pemberton fut d’abord commercialisée en 1885 sous le nom de « French Wine Coca » avant de devenir… Coca-Cola.

Très rapidement en effet, Pemberton retira toute trace d’alcool de la recette, qu’il remplaça par des graines de kolatier, un arbre des forêts équatoriales d’Afrique de l’Ouest.

Comme la coca dans les Andes, les graines de kola étaient traditionnellement mastiquées pour combattre la fatigue : elles contiennent 1,5% à 3,5% de caféine[3].

Aujourd’hui, inutile de chercher des traces de ce qui faisait les « bienfaits » de la recette originale d’une bouteille de Coca-Cola.

Du Coca-Cola sans coca, ni kola !

La recette originale de Pemberton contenait du vin, de la coca, et de la kola.

Très vite, du vivant de Pemberton, l’alcool fut retiré de la recette sous la pression des ligues antialcooliques du pays (qui menèrent plus tard à la prohibition), et remplacée par… du soda.

Puis, au tournant des XIXe et XXème siècles, la coca elle-même fut retirée de la recette : le principal alcaloïde de la feuille de coca, la cocaïne, a en effet entretemps fait l’objet d’un raffinage aboutissant à la création d’une des pires drogues qui soient.

Cette confusion entre coca et cocaïne aboutira à l’inscription en 1961 de la feuille de coca sur la liste des Nations Unies des substances interdites[4], plaçant de facto les populations andines dans l’illégalité.

En France, l’importation de feuilles de coca est interdite depuis 1990.

C’est ainsi qu’une plante médicinale ancestrale s’est retrouvée sur la liste noire des stupéfiants.

Quant aux noix de kola, elles furent elles-mêmes supprimées de la recette au début du XXème siècle afin de faire radicalement baisser la teneur en caféine de la boisson[5].

Autrement dit, le Coca-Cola est, depuis un siècle, non seulement « décocaïnisé », mais également « décaféiné ». C’est d’ailleurs depuis cette époque que ses vertus « stimulantes » et « santé » sont abandonnées par la réclame.

Mais alors… qu’y a-t-il dans le Coca-Cola ?

De l’eau gazéifiée, du sucre, et des arômes artificiels.

Comment une boisson santé s’est transformée en cauchemar nutritionnel

Le mythe selon lequel la recette du Coca-Cola serait un secret gardé dans un coffre-fort d’Atlanta est une opération marketing, au même titre que le père Noël rouge popularisé par… Coca-Cola justement.

Pour savoir ce que contient une bouteille ou une canette de Coca-Cola, il suffit de lire l’étiquette :

Vous le voyez, l’étiquette officielle annonce simplement :

  • de l’eau gazéifiée,
  • du sucre,
  • le colorant caramel E150d,
  • de l’acide phosphorique (E338) comme acidifiant,
  • des extraits végétaux
  • et un arôme de caféine.

William Reymond, auteur du livre Coca-Cola, L’enquête interdite[6], mentionne cependant une liste plus précise d’acidifiants (acide phosphorique E338, acide citrique E330, dioxyde de carbone E290, acide benzoïque E210 ou du benzoate de sodium E211 actifs contre les champignons, dioxyde de soufre E220 actif contre les bactéries) …

… Ces mêmes acidifiants qui font du Coca-Cola un décapant efficace pour, par exemple, déboucher les canalisations. Vous trouverez sur certains sites des conseils très sérieux d’emploi du Coca-Cola pour détartrer votre bouilloire ou enlever le calcaire de vos toilettes[7].

La recette comprendrait également des arômes de vanille, de cannelle, de muscade ou d’orange, et des huiles essentielles stabilisées par un émulsifiant (glycérine E442) ou par la gomme arabique E414.

Je ne m’attarderai pas sur les risques réels ou supposés de ces composés chimiques, pour vous parler de l’ingrédient principal.

Vous l’avez compris, le principal ingrédient du Coca-Cola n’est aujourd’hui ni de la coca, ni de la kola, mais du sucre : c’est-à-dire du sirop de maïs à haute teneur en glucose-fructose ou bien du saccharose selon les pays.

On estime qu’un Coca-Cola concentrerait l’équivalent de 15 à 16 cuillères de sucre, soit 36,3 g [8] ; sa concentration en sucre est équivalente à celle d’un jus d’orange pressé.

Or l’OMS recommande depuis 2015 de ne pas dépasser les 25 g de sucre par jour.

De pire en pire

Le rôle des sodas industriels dans la pandémie d’obésité et de diabète que connaît la population mondiale ne fait de mystère pour personne.

Le lien entre la consommation de ces boissons démesurément sucrées et caloriques d’une part, et le développement de surpoids et d’un diabète de type 2 d’autre part, a été formellement confirmé par une méta-analyse du British Medical Journal en 2015[9].

On pourrait se dire (et c’est ce que la majorité de la population, sensible aux discours publicitaires, se dit) qu’on s’en tire à bon compte en consommant, à la place, des boissons « allégées » (en anglais « light ») voire affichant zéro sucre.

Eh bien c’est le contraire.

Ces boissons, qui remplacent le sucre notamment par de l’aspartame, sont tout aussi dangereuses pour la santé que les classiques… et même davantage.

Ainsi, en 2012, une étude américaine constatait qu’une consommation de sodas affichés comme moins caloriques (« diet » et « soft drinks ») augmentait le risque d’accident vasculaire (AVC, infarctus…)[10] !

L’année suivante, une étude française établissait que les boissons « light » provoquaient encore plus de diabète de type 2 que les sodas classiques[11] !!

Comment expliquer ce paradoxe, alors que ces boissons contiennent effectivement peu de sucre ?

La menace sournoise de faux nutriments qui dérèglent le métabolisme

C’est au fond assez simple.

Mais diablement pervers.

Les boissons très sucrées (comme le Coca-Cola) provoquent, vous le savez, un pic d’insuline pour gérer l’afflux glycémique. C’est la répétition de ces pics qui non seulement engendre du surpoids (car tous ces sucres ne sont pas brûlés), mais épuise le pancréas.

… Et c’est cela qui, à terme, augmente le risque de développer un diabète de type 2.

Les boissons « light » ou « zéro » ne sont pas aussi sucrées. Mais elles débordent de « faux sucres » qui, comme leur nom l’indique, se font passer pour du sucre.

Autrement dit, ces faux sucres, qui donnent cette saveur sucrée, ne trompent pas que vos récepteurs sensoriels : ils trompent aussi votre organisme.

Recevant un signal sucré, votre pancréas vous envoie de l’insuline pour gérer l’irruption du glucose. Mais là… surprise ! Pas de sucre !!

Vous pouvez répéter ce phénomène quelques fois, mais à la longue, votre corps s’habitue.

Et c’est là que le phénomène devient dangereux.

Habitué à recevoir un faux signal sucré et à vous envoyer de l’insuline pour rien, votre corps va vous en envoyer de moins en moins… y compris quand vous ingérerez du vrai sucre

… qui ne sera alors plus géré correctement !

C’est l’histoire du petit garçon qui hurle au loup à plusieurs reprises : il provoque le branle-bas de combat au village la première fois, mais la plaisanterie marche à chaque nouvelle reprise moins bien.

Jusqu’à ce que le loup arrive réellement, et que les alertes du petit garçon restent inutiles, le reste du village à qui « on ne la fait plus » ne le prenant plus au sérieux.

Comment une boisson prescrite par le médecin est devenue une boisson menant chez le médecin

Quand le pharmacien Angelo Mariani a inventé son « vin Mariani » il y a plus de 150 ans, il entendait utiliser les vertus médicinales d’une plante médicinale des Andes, la coca.

Copiée par un pharmacien américain, qui y adjoint une autre substance naturelle, la kola, la boisson devint « Coca-Cola », la mère et la plus célèbre de tous les sodas.

Mais, en 150 ans, il ne reste plus rien de la recette originale :

  • le vin a été remplacé par de l’eau gazeuse ;
  • puis la coca a été troquée par de la caféine ;
  • puis la caféine, effacée au profit du sucre ;
  • enfin le sucre, dans les versions « light » ou « zéro » de ces boissons, par des faux sucres.

Autrement dit, les ingrédients naturels de ces boissons ont peu à peu été remplacés par des ingrédients artificiels, à tel point qu’on a substitué, au dernier ingrédient plus ou moins naturel – le sucre, présent certes en trop grandes quantités – une imitation engendrant des problèmes de santé pire encore !

Ainsi donc, on a « désalcoolisé », puis « décocaïnisé », puis « décaféiné », puis « désucré » cette boisson au nom de la santé… pour aboutir à cette étrange formule, celle de boissons intégralement artificielles, non seulement dépourvues de vertus santé qui les faisait prescrire originellement par des médecins, mais susceptibles d’envoyer chez le médecin ceux qui les boivent régulièrement.

Et la coca, dans tout ça ?

Cette fabuleuse plante médicinale est interdite dans la plupart des pays du monde pour l’amalgame persistant avec la cocaïne, mais en outre son nom est désormais associé à une autre forme de drogue… dans la composition de laquelle elle ne rentre plus depuis plus d’un siècle.

Drôle d’époque, qui criminalise un remède ancestral, et inonde le monde d’un liquide usurpant son nom.

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet


Sources :

[1] Duke JA, Aulik D, & Plowman T (1975). NUTRITIONAL VALUE OF COCA. Botanical Museum Leaflets, Harvard University 24(6), 113-119. https://www.jstor.org/stable/41762296

[2] Maison Coca Mariani, 1863. L’histoire de la première boisson à la coca. https://cocamariani.fr/lhistoire-de-la-premiere-boisson-a-la-coca/

[3] Dabonneville C (2021). Les plantes tonifiantes à la caféine, Espèces n°42, p.67

[4] Blickman T (2014). Coca leaf : Myths and Reality. The Transnational Institute (TNI). https://www.tni.org/en/primer/coca-leaf-myths-and-reality#cocawithdrawal

[5] Wikipédia. Formule du Coca-Cola. https://fr.wikipedia.org/wiki/Formule_du_Coca-Cola

[6] Reymond W (2010). Coca-cola, l’enquête interdite. Flammarion. EAN13: 9782081252134

[7] Cuisine AZ (2016). 20 choses insolites à faire avec du Coca-Cola. https://www.cuisineaz.com/articles/20-choses-insolites-a-faire-avec-du-coca-cola-554.aspx#:~:text=On%20l’ignore%20souvent%2C%20mais,tirez%20la%20chasse%20d’eau.

[8] Gaube E (2016). Combien de morceaux de sucre contient votre canette de soda ? BFM TV. https://www.bfmtv.com/sante/combien-de-morceaux-de-sucre-contient-votre-canette-de-soda_AN-201610180077.html

[9] Imamura F, O’Connor L, Ye Z, et al.(2015). Consumption of sugar sweetened beverages, artificially sweetened beverages, and fruit juice and incidence of type 2 diabetes: systematic review, meta-analysis, and estimation of population attributable fraction. BMJ 351 :h3576 https://www.bmj.com/content/351/bmj.h3576

[10] Gardener H, Rundek T, Markert M, et al. (2012). Diet Soft Drink Consumption is Associated with an Increased Risk of Vascular Events in the Northern Manhattan Study. Journal of General Internal Medicine 27(9):1120-6. https://www.researchgate.net/publication/221782057_Diet_Soft_Drink_Consumption_is_Associated_with_an_Increased_Risk_of_Vascular_Events_in_the_Northern_Manhattan_Study

[11] Ibid