Chers amis,

Quel genre d’ami(e) êtes-vous ?

Êtes-vous plutôt du genre à passer de longues heures à discuter en tête à tête ?

Ou bien du genre à cultiver les soirées arrosées, à rire en groupe ?

Du genre à prendre des nouvelles une à deux fois par semaine…

… ou une à deux fois par an ?

En réalité, il y a des chances pour que vous soyez tout cela à la fois, mais pas avec tout le monde.

L’amitié, à la vie à la mort

L’amitié est un rapport humain essentiel.

Quand on dit, enfant, « à la vie, à la mort » pour parler d’une amitié intense, ce ne sont pas que des mots.

Sans ami, on meurt.

La nature et l’intensité de vos amitiés expriment une forme d’intégration sociale : les amis, en tout cas les amis proches, sont, au même titre que la famille, un ingrédient à part entière et très concret influençant votre santé.

La qualité de vos amitiés, et la façon dont vous vous investissez dans ces amitiés, se « traduisent » par certains marqueurs très objectifs en termes de risques face à certains dérèglements métaboliques, et même de survie tout court.

Le plus évident est qu’avoir un ou plusieurs amis très proches augmente tout simplement vos chances d’être soutenu en cas de difficulté, mais aussi d’être aidé en cas de pépin de santé très grave.

Des études passionnantes et édifiantes sont menées depuis des décennies, démontrant notamment que les personnes ayant les cercles d’amis les plus solides et les mieux intégrées socialement jouissent :

• D’une pression artérielle systolique plus faible (moins de risques de problèmes cardiaques) ;
• Un indice de masse corporel plus bas (moins de risque de maladies chroniques comme le diabète de type 2) ;
• Moindres marqueurs de l’inflammation[1].

Évidemment, personne ne se fait d’ami avec pour objectif d’éviter de mourir.

On se fait des amis, et on les poursuit dans le temps, d’abord par plaisir… et parce que nous sommes des êtres sociaux.

Combien avez-vous d’amis ?

L’importance et la complexité de nos rapports sociaux est, d’après les biologistes de l’évolution, étroitement liée à la taille de notre cerveau.

Chez les primates, plus la taille du cerveau est importante, plus les groupes sont grands et les relations que chaque membre entretient à l’intérieur de ce groupe, complexes.

L’être humain, avec son gros cerveau – qui est donc un « cerveau social » – est capable d’entretenir un nombre record de relations sociales complexes.

Mais ce nombre est plafonné.

Dans les années 1990, un éthologue et anthropologue, Robin Dunbar, a réussi à chiffrer assez précisément ce nombre.

Ce qu’il y a d’intéressant, avec Dunbar, c’est son parcours scientifique : il a d’abord étudié des groupes de primates – chimpanzés, gorilles – en Afrique, avant d’étudier les sociétés humaines.

Au cours de ses recherches, Robin Dunbar en est arrivé à la conclusion que le cerveau humain ne pouvait entretenir des relations sociales simultanées qu’avec « seulement » 150 personnes[2].

Mais 150 personnes, c’est beaucoup.

Vous, qui me lisez, n’avez sans doute pas 150 amis.

C’est normal : 150 est une valeur maximale. Et si vous avez, sur des réseaux sociaux, plus de 150 amis… mettons 500 ou même 1000 pour les plus populaires d’entre vous, vous n’en connaissez personnellement que moins de 150.

Ce qu’il y a d’intéressant, avec ce chiffre, c’est qu’il correspond aux tailles maximums optimales de camps et de villages dans l’histoire humaine. Au-delà de 150, les communautés se divisent.

Mais revenons à nos amis : même si vous atteignez le nombre plafond de 150 amis, il est peu probable que vous entreteniez les mêmes rapports, en termes d’intimité et d’intensité, avec les 150.

L’amitié, un rapport en accordéon

Ces amitiés se répartissent en cercles concentriques[3].

Au centre du cercle se trouvent vos amis les plus intimes. Ils sont entre 1 et 5 maximum.

Ce sont ceux sur lesquels vous pouvez compter en toutes circonstances, qui, même loin, prendront le train ou l’avion pour venir à votre chevet si vous êtes dans le besoin.

En général, ce sont des amis de longue date : vous vous connaissez par cœur, et, surtout, nonobstant les vicissitudes de la vie, la confiance que vous avez en eux est profonde et mutuelle.

Dans le deuxième cercle se trouvent vos amis proches. Ils sont entre 5 et 15. Vous les connaissez et les côtoyez régulièrement, mais un peu moins que ceux du premier cercle.

Ensuite, les cercles s’élargissent à 50 – les relations sociales, les collègues – puis 150. Au-delà, il n’y a plus que des connaissances et des personnes que vous « situez » socialement (en gros, vous ne les avez rencontrées qu’une ou deux fois, savez qui elles sont de nom mais ne les côtoyez pas assidûment).

Au cours de l’existence, ces cercles changent. Ils changent de taille et, bien évidemment, ils changent aussi d’« élus ».

Déjà, nous n’avons pas le même nombre d’amis au cours de l’existence.

Il semble que, pour la plupart d’entre nous, la cours de nos amitiés suive cette courbe : de l’enfance jusqu’à l’âge de 25 ou 30 ans, nous développons et étoffons nos cercles d’amis.

C’est la période lors de laquelle nous nouons intensément des liens forts et nouveaux : nos amis changent à mesure que nous changeons de classe, d’école, de lieux d’étude, tout en constituant un noyau de relations les plus profondes.

Puis, à l’âge auquel nous commençons à nous investir dans une relation amoureuse, puis familiale, ainsi que dans une carrière professionnelle, ce cercle se rétracte et se solidifie à la fois : le fait d’avoir des enfants, une vie conjugale, un travail prenant, réduit comme peau de chagrin le temps que nous avons à consacrer à nos amis.

Et, en gros, c’est le moment auquel nous « trions » ces amitiés, car nous n’avons plus autant de temps à y consacrer ; les plus solides (et, en principe, les plus saines) résistent, littéralement, au temps.

Puis, ces cercles se remplissent à nouveau à l’âge de la grande maturité, en gros au moment où les enfants quittent la maison, où l’on a davantage de temps pour soi et pour d’autres personnes que les membres de sa famille…

… avant de s’étioler, petit à petit, avec le grand âge – tout simplement parce que nos amis meurent.

L’amitié, c’est la santé

Et ce sont ces cercles les plus proches – ceux des amis intimes et proches – qui ont le plus d’influence sur notre santé.

Il y a quatre ans, je vous avais parlé des conclusions passionnantes d’une très longue étude – l’étude de Framingham – sur la « contagion sociale » de l’hygiène de vie de nos relations les plus assidues[4] :

• Les fumeurs fréquentent les fumeurs.
• Les personnes en surpoids fréquentent des personnes en surpoids.
• Les alcooliques fréquentent des alcooliques.
• Les gens se déclarant heureux fréquentent d’autres personnes partageant cette satisfaction.
• À l’inverse, des personnes tristes et dépressives fréquentent des personnes tout aussi tristes et dépressives.

En somme, les habitudes de vos amis influencent directement les vôtres : si vos amis fument, vous avez plus de chances de fumer ; si vos amis préfèrent manger végétarien, il y a des chances pour que cette habitude vous gagne également, etc.

L’amitié est donc bel et bien, au-delà d’une question de vie ou de mort, une question de santé !

Et, sans surprise, ce sont vos amis les plus proches qui ont l’influence la plus déterminante.

Mais qui sont ces amis ?

Vos meilleurs amis : une question de gènes, de goût et… de temps

Qui sont vos meilleurs amis ? Comment les choisissez-vous, ou vous choisissent-ils ?

Eh bien, la réponse est en partie…. Génétique. Oui, génétique.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, en 2018 une étude menée sur plus de 5000 adolescents et jeunes adultes américains a permis d’observer que les amis sont notamment plus susceptibles de partager un même gène du récepteur de la dopamine[5].

Et ainsi, nous serions « pré-programmés », non pas pour avoir des atomes crochus avec telle ou telle personne, mais pour réagir d’une façon identique aux mêmes stimuli.

Cela ne suffit pas, évidemment. Rentrent en compte des facteurs culturels, sociaux et géographiques. Robin Dunbar liste ainsi les « 7 piliers » qui rendent une amitié durable[6].

Ils ne sont pas exclusifs, évidemment, mais plus ces cases sont cochées dans une relation amicale, plus celle-ci a de chances d’être durable et positive :

• Partager la même langue ou le même dialecte ;
• Avoir grandi au même endroit ;
• Avoir eu les mêmes expériences éducationnelles et professionnelles (cf les « cercles » de médecins et d’avocats) ;
• Avoir les mêmes goûts et activités de loisir ;
• Partager une même vision du monde (opinions politiques, religieuses, morales) ;
• Avoir le même sens de l’humour.

Le point de l’humour semble anecdotique mais il apparaît bel et bien fondamental dans « l’élection » d’une amitié.

Et puis, enfin, il y a… le temps. Là encore, l’expérience d’éthologue de Robin Dunbar lui a permis d’observer que, chez les primates, le temps passé à l’épouillage, qui est plus social qu’hygiénique, est proportionnel à la force du lien entre deux individus.

Transposé chez l’être humain, c’est très simple : plus vous consacrez de temps à un ami, plus celui-ci est susceptible de vous venir en aide et vous soutenir. Le rapport doit, évidemment, être réciproque.

C’est la raison pour laquelle on ne peut évidemment pas avoir 150 amis proches, et que compter des « amis » par centaines sur un réseau social comme Facebook n’est absolument pas prédictif du dévouement que seront prêts à vous témoigner ces hordes d’amis en cas de besoin.

Pour ma part, je compte mes amis proches sur les doigts d’une seule main. Ce sont des amitiés qui ont traversé les années, les décennies, et même certains désaccords spectaculaires – comme la crise sanitaire…

Je les vois de plus en plus rarement ; nous ne vivons plus depuis longtemps dans les mêmes villes ni dans les mêmes pays. Mais lorsque nous nous revoyons, c’est comme si nous nous étions quittés la veille.

Et vous ?

Amitiés,

Rodolphe

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[1] R. Dunbar, « Amitiés, la nature et l’impact de nos relations les plus importantes », éd. Markus Heller, Genève, 2023, p.27

[2] un rapport en accordéon

[3] R. Dunbar, op. cit., p.87

[4] Rodolphe Bacquet, « Si tu fréquentes quelqu’un 40 jours tu finis par lui ressembler » Alternatif Bien-Être. 2020

[5] Benjamin W. Domingue, et al. « The social genome of friends and schoolmates in the National Longitudinal Study of Adolescent to Adult Health » PNAS. 2018

[6] R. Dunbar, op. cit., op.232