Chers amis,

Aujourd’hui, dimanche 28 juillet, nous fêtons les Samson.

Il y a peu de chances que vous connaissiez Saint Samson, évangélisateur du VIème siècle.

Sauf si vous vivez à proximité de l’un des 15 villages nommés en son honneur.

Il est plus probable que Samson vous évoque le personnage biblique indissociable de Dalila.

Je ne vous parlerai pas non plus de lui aujourd’hui, mais d’un autre Samson, orthographié originellement Sanson, mais devenu Samson pour les Parisiens, en référence au Samson biblique.

Dans la Bible, Samson fut juge du peuple d’Israël. Les Sanson devenus Samson furent, eux, bourreaux.

Pendant six générations.

Restez bien avec moi, car vous allez voir comment cette histoire familiale est susceptible de résonner avec la vôtre.

Bourreaux de père en fils

En France, sous l’Ancien Régime, la charge de bourreau – officiellement « exécuteur des hautes œuvres » – se transmettait de père en fils.

Le premier Sanson à assumer cette charge était rouennais. Devenu aide du bourreau de Rouen en 1675, Charles Sanson tomba dans les pommes au moment de porter le coup fatal au supplicié, ce qui lui valut d’être hué par la foule[1].

Sa carrière commençait mal.

Mais ça ne l’empêcha pas d’évoluer dans cette carrière peu commune et de devenir, une douzaine d’années plus tard, le bourreau en titre de Paris.

Dès lors, Charles Sanson fonde ce qui deviendra la plus fameuse dynastie des bourreaux de Paris : son fils, né de son union avec la fille du bourreau en titre de Rouen, deviendra l’aide-bourreau de son père, avant de prendre sa suite.

Et ainsi de suite, littéralement, pendant deux siècles.

La charge de bourreau est alors d’une diversité macabre : selon que le client est noble ou roturier, on le décapite au sabre ou à la hache. Quand le condamné est un régicide, on procède à l’écartèlement.

C’est un Sanson qui procèdera d’ailleurs au dernier écartèlement pour régicide en France, celui de Robert-François Damiens, auteur d’un attentat contre Louis XV en 1757.

Il s’appelle Charles-Henri Sanson et il aura l’honneur mortifère d’être le bourreau le plus sollicité de l’histoire de France puisqu’il officiera durant la Révolution française, et donc durant la Terreur.

2498 têtes

Au moment où éclate la Révolution française, Charles-Henri Sanson a 50 ans.

Il a donc du métier.

Le comité révolutionnaire ayant décrété que désormais les condamnations à mort se feraient uniquement par décapitation, devant la charge de travail à accomplir, Charles-Henri Sanson rédige un mémoire destiné à l’Assemblée dans lequel il alerte sur la fatigue de l’exécuteur qui aura à couper plusieurs têtes d’affilée, l’usure rapide des glaives de justice, ainsi que leur coût d’entretien ou d’achat.

En d’autres termes : non aux cadences infernales !

La solution à la pénibilité de la tâche à venir lui est apportée par le Docteur Guillotin, qui met au point une machine « humaniste », apte à trancher les têtes sans douleur et rapidement : la guillotine.

Dès lors, on estime qu’entre 1789 et 1794, Charles-Henri Sanson fait ainsi tomber 2498 têtes, parmi lesquelles celles de Louis XVI, Marie-Antoinette, Danton, Robespierre et Saint-Just[2].

« Ces bourreaux sont des hommes très doux »

La charge de bourreau, considérée comme nécessaire dès le Moyen-Âge, n’avait rien d’honorifique, bien au contraire.

Les bourreaux et leur famille vivaient hors de l’enceinte de la ville, la porte de leur maison était de couleur rouge, ils devaient en permanence porter un signe distinctif de cette même couleur pour rappeler le sang qu’ils versaient, et leurs enfants n’avaient pas le droit d’être scolarisés[3] !

Ils étaient des proscrits.

Ils occupaient un poste jugé nécessaire, mais qui les excluait de facto de la société.

Le terme de « bourreau » était lui-même déshonorant : Charles-Henri Samson assigna en justice le révolutionnaire Camille Desmoulins qui le qualifia ainsi dans un article !

(Ironie suprême, Camille Desmoulins fut par la suite guillotiné par M. Sanson…)

Tout, dans l’histoire de la famille des Sanson, démontre en effet qu’ils ne faisaient pas ce métier par goût… mais parce qu’ils n’avaient pas d’autre possibilité de carrière.

Victor Hugo, dans son roman Le Dernier jour d’un condamné, véritable réquisitoire contre la peine de mort, fait ainsi écrire à son héros anonyme, auprès duquel le bourreau vient de s’excuser après avoir un peu trop serré ses liens : « Ces bourreaux sont des hommes très doux. »

Aussi étonnant que cela puisse paraître, il semblerait que Charles-Henri Sanson ait été un « partisan discret de l’abolition de la peine de mort », sauvant durant la Révolution les têtes de plusieurs femmes auxquelles il avait conseillé de se déclarer enceintes.

Mais alors, si ça n’est ni par goût, ni par conviction, pourquoi devient-on bourreau ?

Comment finit-on par passer sa vie à donner la mort, à faire couler le sang ?

Par le sang, justement.

Du péché de chair à la chaire de mort

Le tout premier Sanson à devenir bourreau, Charles Sanson, dont je vous ai parlé plus haut, était au départ officier.

Il avait pris pour maîtresse une jeune femme dont il ignorait les origines.

Or, cette jeune femme était la fille du bourreau titulaire de Rouen.

Surpris par le père, il n’eut d’autre choix que d’épouser la jeune femme, et de devenir par la force des choses l’assistant de celui qui devenait son beau-père.

Je vous le disais, durant tout le Moyen-Âge et jusqu’au XIXème siècle, la charge de bourreau vous mettait automatiquement, vous et vos proches, au ban de la société.

Toute la généalogie de la famille Sanson est donc un entrelacs de mariages faits avec d’autres familles de bourreaux.

Lorsque vous étiez fils de bourreau, vous n’aviez d’autre choix que de devenir vous-même bourreau.

Lorsque vous étiez fille de bourreau, vous n’aviez d’autre choix que d’épouser un bourreau, ou un fils de bourreau.

Lorsque vous étiez femme de bourreau, vous n’aviez d’autre choix que de mettre au monde un futur bourreau.

On ne devenait pas bourreau par vocation, ni même par opportunisme : on le devenait par le sang.

La charge de bourreau était une malédiction familiale.

Le dernier des Sanson

Le dernier des Sanson à avoir été bourreau, Henri-Clément Sanson, termina sa vie criblé de dettes, à une époque où le « rythme » des exécutions capitales s’était considérablement ralenti.

De façon incroyablement symbolique, pour sortir de la prison où l’avaient mis ses créanciers, il mit en gage… la guillotine.

Homosexuel, il n’eut pas d’enfant.

La dynastie des Sanson s’éteignit avec lui.

A bien des égards, le triste et pitoyable destin du « dernier des Sanson » fut la conséquence directe de l’imprudence de son arrière-arrière-arrière-arrière-grand-père Charles Sanson, qui avait choisi pour maîtresse la fille d’un bourreau.

Ce « péché de chair » originel de Charles Sanson détermina le destin de tous ses descendants, les condamnant à assumer la même charge macabre auquel son manque de discernement l’avait lui-même contraint.

De Charles Sanson qui s’évanouit lors de sa première exécution à Henri-Clément Sanson qui mit en gage la guillotine pour sortir de prison, en passant par Charles-Henri Sanson qui s’efforça de sauver des femmes de la décapitation, tout laisse penser que, sur six générations, chacun d’entre eux se fit bourreau à contre-cœur, subissant cette charge.

Malédictions et mémoires familiales

La « malédiction » des Sanson est spectaculaire car elle est évidente, et déterminée par tout un arsenal de codes et de traditions sociales d’une époque.

Elle se lit de façon très nette sur l’arbre généalogique des Sanson, du mariage de Charles Sanson avec la fille du bourreau de Rouen, jusqu’à son arrière-arrière-arrière-arrière-petit-fils, qui met fin à cette malédiction en mourant sans descendance.

Or combien de malédictions familiales pèsent tout autant sur le destin et le quotidien d’individus, mais sont moins évidentes, nécessitant de savoir lire entre les lignes de leur arbre généalogique, et appelant parfois un travail d’enquête et d’exhumation ?

C’est le travail d’une discipline à part entière, qui a eu ses pionniers et ses grands découvreurs : la psychogénéalogie.

L’une d’elle était Anne Ancelin Schützenberger, psychothérapeute et professeure émérite à l’Université de Nice. Elle a consacré une grande partie de sa carrière à l’étude des mémoires familiales.

Elle a développé une méthode qui explore les liens entre les événements vécus par les ancêtres et les symptômes ou comportements des générations suivantes.

Selon elle, des événements traumatisants, secrets ou non résolus peuvent se transmettre d’une génération à l’autre sous forme de mémoires inconscientes, influençant ainsi notre santé mentale et physique.

Il s’agit d’un plan plus « subtil » que la « charge » de bourreau de la famille Sanson.

Moins visible, elle n’en est pas moins cruelle puisqu’elle s’exprime, et s’exerce, de manière cachée, inconsciente.

Son ouvrage le plus connu, Aïe, mes aïeux ![4], explique comment des drames non résolus peuvent être à l’origine de troubles psychologiques ou de maladies.

Elle y introduit des concepts tels que les loyautés familiales invisibles et les répétitions transgénérationnelles, où les descendants reproduisent inconsciemment des schémas ou des destins familiaux pour rester fidèles aux membres de leur famille.

Elle lève le voile sur une réalité dérangeante : chaque individu est un maillon de la chaîne des générations et doit parfois « payer les dettes » du passé de ses aïeux.

Dans le cas de Henri-Clément – qui finit sa vie criblé de dettes et mit en gage l’instrument de travail du bourreau, la guillotine, pour s’en libérer – l’exemple est criant !

Le Syndrome du Gisant

Un autre concept, développé par le Dr Salomon Sellam au tout début de notre siècle, explore une idée également liée aux mémoires familiales.

Le « syndrome du gisant » se manifeste chez des individus portant le poids inconscient d’un ancêtre décédé prématurément, souvent dans des circonstances tragiques.

Ces personnes vivent parfois comme si elles étaient destinées à remplacer ou à représenter cet ancêtre disparu, ce qui peut se traduire par des comportements autodestructeurs, une dépression profonde, ou une sensation constante de ne pas être pleinement vivants[5].

Si vous souhaitez explorer la façon dont vos mémoires familiales influencent votre vie présente, je vous invite à lire ces deux ouvrages – ceux d’Anne Ancelin Schützenberger et du Dr Salomon Sellam – qui sont des références en matière de psychogénéalogie, jalonnés de très nombreux cas pratiques, aussi troublants qu’évidents.

Si vous souhaitez commencer un travail chez vous, voici mes conseils.

Premiers pas en mémoires familiales

Les travaux d’Anne Ancelin Schützenberger et du Dr Sallem vous invitent à une exploration introspective et collective. Voici quelques pistes à suivre pour intégrer ces concepts dans votre vie quotidienne et explorer vos propres mémoires familiales :

Établissez un génogramme :

Créez une carte familiale détaillée en notant les événements marquants (naissances, décès, mariages, divorces, migrations, etc.). Cela peut vous aider à visualiser les répétitions et les schémas dans votre lignée.

Explorez les histoires de votre famille :

Parlez avec les membres de votre famille pour recueillir des anecdotes et des faits historiques. Comprendre les expériences de vos ancêtres peut éclairer certains aspects de votre propre vie.

J’ai fait ce travail après une opération que j’ai subie au genou droit il y a cinq ans. C’était mon second genou touché par un accident, cinq ans après le gauche, opéré deux fois cinq ans plus tôt, à la suite d’un accident à Londres.

Je me suis demandé pourquoi mes genoux m’emmenaient si régulièrement sur le billard. Mes recherches m’ont permis de découvrir l’histoire d’un ancêtre ayant aussi subi plusieurs opérations au même endroit, durant la Première guerre mondiale.

Autosuggestion ou lien réel : depuis que je connais son histoire, j’ai jusqu’ici cessé de me casser et me blesser les genoux.  

Tenez un journal

Tenez un journal pour noter vos pensées et ressentis concernant votre famille, et consigner vos découvertes au sujet de vos ancêtres.

La prise de conscience est souvent le premier pas vers la guérison. C’est ce qui s’est passé pour mes genoux : j’ai consigné dans un carnet l’histoire de ma famille.

De cette façon, j’en ai à la fois reconnu la réalité, et m’en suis libéré.

Consultez un spécialiste en psychogénéalogie :

Un professionnel peut vous aider à décoder les loyautés invisibles et les répétitions transgénérationnelles, vous permettant ainsi de vous libérer de poids inconscients et de vivre plus pleinement.

L’hypnose peut également vous aider ; j’ai assisté et participé aux séances d’hypnose en TCH du Dr Jean-Jacques Charbonier et je peux témoigner de la dimension édifiante et thérapeutique de sa démarche auprès de plusieurs personnes.

Ce sera d’ailleurs l’objet de mon prochain envoi.

En comprenant et en travaillant sur vos mémoires familiales, vous pouvez non seulement améliorer votre propre bien-être et celui de vos proches, mais aussi transformer les schémas dont hériteront les générations suivantes.

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Famille_Sanson – « famille Sanson » (fiche Wikipedia)

[2] https://www.pariszigzag.fr/insolite/histoire-insolite-paris/sanson-bourreaux-famille – Cyrielle Didier, « Les Sanson, bourreaux de père en fils », in. Paris Zig Zag,

[3] Ibid.

[4] Anne Ancelin Schützenberger, Aïe mes aïeux !, Desclée de Brouwer, 1998

[5] Dr Salomon Sellam, Le Syndrome du Gisant, Bérangel, 2004