Chers amis,
On parle beaucoup de « l’après » Covid-19. Une préoccupation majeure et silencieuse touche de plus en plus les infectiologues : l’usage à large spectre des antibiotiques.
Tandis que les scientifiques s’évertuent à trouver le médicament antiviral ou le vaccin qui éradiquera le Covid-19, les médecins eux, utilisent l’une des seules armes dont ils disposent : les antibiotiques.
Pourquoi ces médicaments tueurs de bactéries sont-ils utilisés contre… un virus ? Et surtout, qu’est-ce qu’un usage massif implique pour la santé de demain ?
Pourquoi cet usage accru d’antibiotiques contre le Covid-19 ?
1. Les antibiotiques combattent les surinfections
Selon l’OMS, « les médecins auront parfois recours à des antibiotiques pour prévenir ou traiter une surinfection bactérienne, qui peut être une complication du Covid-19 chez les patients gravement atteints. »[1]
Effectivement, aux symptômes respiratoires du virus peut se surajouter une pneumonie bactérienne, probablement due au fait que les défenses immunitaires chutent drastiquement (lymphopénie) lors d’une infection au Covid-19. Les patients sont alors plus vulnérables face aux bactéries infectieuses.
Plus étonnant : d’après un article de la revue Sciences [2], de plus en plus de preuves suggèrent que de nombreux patients Covid-19 meurent d’infections secondaires plutôt que du virus lui-même…
Ainsi, une étude chinoise publiée le 28 mars[3] et menée à Wuhan sur 247 patients hospitalisés, a révélé que 15 % d’entre eux – et la moitié de ceux qui sont décédés – ont contracté des infections bactériennes.
2. Le milieu hospitalier expose les patients aux infections secondaires
Dans ces circonstances, le Haut Conseil de sécurité Publique, dans un avis du 5 mars[4], invite les médecins à systématiquement rechercher les agents pathogènes (bactéries, champignons…) chez les patients hospitalisés en réanimation.
Si les infections nosocomiales (contractées à l’hôpital) sont monnaie courante, le contexte actuel augmente dangereusement l’exposition des malades aux infections :
- Les services hospitaliers sont surchargés (il en va ainsi à New-York où les hôpitaux sont fréquentés 50 % de plus qu’en temps normal[5]).
- Les soins pratiqués sont invasifs, comme la respiration assistée par le biais d’un tube endotrachéal ou d’une trachéotomie.
- Le matériel manque et les équipements à disposition sont parfois réutilisés, favorisant la transmission des bactéries entre malades.
Benoît Grandjean, anesthésiste réanimateur à Épinal, précise que les surinfections bactériennes concernent la quasi-totalité « des plus longs séjours »[6].
Face à ce constat inquiétant, recourir aux antibiotiques avant une hospitalisation et en prévention peut sembler légitime.
3. Des antibiotiques en prévention ?
Les directives de l’OMS sont claires et visent à mettre en garde contre cette pratique : les antibiotiques « ne doivent pas être utilisés comme moyen de prévention ou de traitement du Covid-19. […] Les antibiotiques doivent être utilisés seulement sur prescription médicale pour traiter une infection bactérienne. »
Pourtant, certains professionnels de santé y voient plus un traitement contre le virus lui-même.
Preuve en est par exemple du compte-rendu du Dr Sabine Paliard-Franco en Isère[7] sur Mediapart, qui s’est répandu sur les réseaux sociaux. Elle constate la disparition des symptômes du Covid-19 après 24 heures grâce à un antibiotique, l’azithromycine, connu pour traiter certaines infections respiratoires bactériennes [8], et dont l’action antivirale a fait ses preuves sur le virus de la grippe H1N1[9]. L’article fait état de résultats très étonnants qui font suspecter une action antivirale de cet antibiotique.
Par ailleurs, l’azithromycine est associée à l’hydroxycloroquine dans la formule proposée par le Pr Raoult, mais aussi au zinc pour démultiplier ses effets, dans un traitement découvert par trois médecins français le 13 avril dernier[10].
Finalement, dans l’attente d’un potentiel vaccin, les médecins envisagent sérieusement la piste des antibiotiques comme un traitement de premier plan, à tous les stades d’infection au Covid-19.
Une enquête de la plateforme médicale Sermo[11] a interrogé 6 200 médecins (hors hôpitaux) de 30 pays différents, dont la France, sur le traitement qu’ils utilisent contre les symptômes du Covid-19 : 60 % traitent leurs patients aux antibiotiques !
Pourtant (et étrangement), l’antibiotique ne figure pas parmi le top 5 des traitements considérés par les médecins comme efficaces dans ce même sondage…
L’antibiorésistance : bombe à retardement du Covid-19 ?
L’ancien secrétaire général des Nations unies Ban-Ki-Moon, lors d’une Assemblée de l’ONU en 2016 [12], prévenait déjà de l’usage inapproprié d’antibiotiques surtout lors d’infections virales, sur lesquels ils n’ont pas d’effets prouvés.
Le risque : l’antibiorésistance. Il s’agit d’un processus de sélection naturelle de certaines bactéries qui développent un gène leur permettant de résister à l’action des antibiotiques. Ainsi, l’usage massif d’antibiotiques encourage ce phénomène d’adaptation des bactéries dites « résistantes ».
Un rapport dirigé en 2016 par l’économiste britannique Lord Jim O’Neill prédit que les infections tueront jusqu’à 10 millions de personnes par an en 2050, plus que le cancer[13].
Actuellement en France, 124 806 infections par an sont contractées par une bactérie résistante, provoquant 5 543 décès, d’après une étude du Centre Européen de Prévention et Contrôle des maladies[14].
En plus d’encourager l’antibiorésistance, les antibiotiques nous rendraient plus vulnérables aux prochains virus. Une étude de juillet 2019[15] montre que le traitement aux antibiotiques contre la grippe réduit le signal protéique des bactéries intestinales, un signal nécessaire pour empêcher la réplication du virus dans les voies respiratoires… Les antibiotiques altéreraient donc les « bonnes » bactéries liées au système immunitaire.
Face à un virus qu’on ne parvient pour le moment pas à maîtriser, le recours aux antibiotiques peut apparaître comme une solution si ce n’est durable, du moins temporaire. Mais n’oublions pas la menace que représente l’usage excessif de ce traitement.
Prenez soin de vous,
Catherine
[1] Coronavirus : questions/réponses, « Les antibiotiques sont-ils efficaces pour prévenir ou traiter le COVID-19 ? », sur le site de l’OMS, consulté le 29 avril 2020 et disponible ici :https://www.who.int/fr/emergencies/diseases/novel-coronavirus-2019/advice-for-public/q-a-coronaviruses
[2] REARDON Sara, “Antibiotic treatment for COVID-19 complications could fuel resistant bacteria”, 16 avril 2020 sur sciencemag.org,consulté le 29 avril 2020 et disponible ici : https://www.sciencemag.org/news/2020/04/antibiotic-treatment-covid-19-complications-could-fuel-resistant-bacteria#
[3] FEI ZHOU et al., Clinical course and risk factors for mortality of adult inpatients with COVID-19 in Wuhan, China: a retrospective cohort study, le 11 mars 2020 sur thelancet.com, disponible ici : https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)30566-3/fulltext
[4] Haut Conseil de Santé Publique, “Avis relatif à la prise en charge des cas confirmés d’infection au virus SARS-CoV2”, 5 mars 2020
[5] Réf. note 2
[6] HERNANDEZ Julien, “Le coronavirus pourrait exacerber l’antibiorésistance”, le 25 avril 2020, futura-sciences.com, consulté le 19 avril 2020 et disponible ici : https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/coronavirus-coronavirus-pourrait-exacerber-antibioresistance-80656/
[7] CATHY LG, “COVID-19 : L’espoir par des traitements antibiotiques ?”, le 14 avril 2020 sur blogs.mediapart.fr, consulté le 29 avril et disponible ici :
[8] COQUAZ Vincent, “L’antibiotique azithromycine est-il vraiment efficace contre le Covid, comme l’affirme cette publication virale ?”, le 15 avril 2020, rubrique Cheknews de liberation.fr, consulté le 29 avril et disponible ici : https://www.liberation.fr/checknews/2020/04/15/l-antibiotique-azithromycine-est-il-vraiment-efficace-contre-le-covid-comme-l-affirme-cette-publicat_1785212
[9] Tran DH et al., Azithromycin, a 15-membered macrolide antibiotic, inhibits influenza A(H1N1)pdm09 virus infection by interfering with virus internalization process. J Antibiot (Tokyo). 2019;72(10):759–768,disponible ici : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31300721/
[10] Source en note 8
[11] Plateforme médicale SERMO, rubrique “treatments”sur app.sermo.com, disponible ici : https://app.sermo.com/covid19-barometer?utm_campaign=wwwsermo_covid19
[12] BENKIMOUN Paul, “La résistance aux antibiotiques est une « menace fondamentale », avertit l’ONU”, le 21septembre 2016 sur lemonde.fr, consulté le 29 avril 2020 et disponible ici https://www.lemonde.fr/planete/article/2016/09/21/l-onu-mobilise-sur-la-menace-fondamentale-que-represente-la-resistance-aux-antibiotiques_5001511_3244.html
[13] O’NEILL et al., “TACKLING DRUG-RESISTANT INFECTIONS GLOBALLY: FINAL REPORT AND RECOMMENDATIONS”, The review on antimicrobial resistance chaired by Jim O’Neill, mai 2016, disponible ici : https://amr-review.org/sites/default/files/160525_Final%20paper_with%20cover.pdf
[14] CASSINI A. et al., Attributable deaths and disability-adjusted life-years caused by infections with antibiotic-resistant bacteria in the EU and the European Economic Area in 2015: a population-level modelling analysis, The Lancet,19,issue 1, P56-66, JANUARY 01, 201, disponible ici : https://www.thelancet.com/journals/laninf/article/PIIS1473-3099(18)30605-4/fulltext#tbl1
[15] BRADLEY Konrad et al., Microbiota-Driven Tonic Interferon Signals in Lung Stromal Cells Protect from Influenza Virus Infection, Cell Reports, VOLUME 28, ISSUE 1, P245-256.E4, JULY 02, 2019, disponible ici : https://www.cell.com/cell-reports/fulltext/S2211-1247(19)30744-2
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