Chers lecteurs,

«Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre », Blaise Pascal, Pensées.

Cette phrase du philosophe Pascal sonne étrangement vrai en ces temps de confinement. Derrière elle se cache l’idée que l’homme recherche des divertissements pour fuir la réalité de sa condition. Ainsi, le travail, la vie sociale et les loisirs sont des diversions. Privés de ces choses, nous serions angoissés par le néant…

Alors, que faire pour dépasser cette condition ?

Partons en quête d’idées et de réflexions chez les écrivains et les philosophes pour bien vivre le confinement.

Se parler à soi-même

Chacun de nous s’est déjà parlé à lui-même ! C’est un phénomène que les dramaturges n’ont pas hésité à reproduire voire à amplifier dans les monologues au théâtre.

Le personnage se parle à lui-même, seul sur scène, souvent pour :

  • exprimer ses émotions ;
  • délibérer et faire un choix lors d’une prise de décision ;
  • s’adresser à un autre personnage en son absence (critique, déclaration d’amour, etc.).

Si ce phénomène est amplifié au théâtre, la conversation personnelle est bel et bien un besoin naturel chez les humains.

Le pauvre Edmond Dantès, dans Le Comte de Montecristo, confond ce besoin avec de la démence : « Dantès parlait pour entendre le son de sa propre voix : il avait essayé de parler lorsqu’il était seul, mais alors il se faisait peur ».

Pourtant, l’auto-conversation (on se parle souvent à la troisième personne) est une façon de nous rassurer et de nous motiver. Des études montrent qu’elle stimule les fonctions liées à la motivation et aux performances dans notre cerveau [1].

Alors, n’ayez pas honte de vous parler à vous-même, surtout si vous êtes seul chez vous !

Prier pour apaiser l’esprit

Dans sa cellule, Edmond Dantès est privé de toute diversion et de tout contact humain (le silence du geôlier le fait tant souffrir). Il se tourne alors vers la prière :

« Il voyait Dieu éclatant à chaque mot qu’il prononçait ; toutes les actions de sa vie humble et perdue, il les rapportait à la volonté de ce Dieu puissant, s’en faisait des leçons, se proposait des tâches à accomplir. » [2]

Ultime secours, la prière, au-delà de sa dimension religieuse, fonctionne comme une sorte d’état des lieux, de retour sur soi et de temps de réflexion.

En 2017, une étude a montré que le fait de prier procure une augmentation de la dopamine (l’hormone de la bonne humeur) [3].

Une autre étude s’est concentrée sur les zones du cerveau activées pendant les activités spirituelles d’une communauté de Mormons. Michael Ferguson, co-auteur de l’étude, explique :

« Quand nos sujets étaient amenés à penser à un sauveur, à être avec leur famille pour l’éternité ou à une récompense céleste, cela se voyait dans leur cerveau comme dans leur corps »[4].

Prier procure donc du plaisir ! Est-ce le fait de s’adresser à une entité supérieure ou d’exprimer ses besoins ? Il existe trop peu d’études sur le sujet pour tirer des conclusions. Toujours est-il que ce moment avec soi apaise l’esprit.

Si vous n’êtes pas croyant, vous pouvez pratiquer la prière sous une autre forme : la méditation. Aujourd’hui, il en existe une grande diversité, dont :

  • la pleine présence ou mindfullness, héritée de la tradition bouddhiste ;
  • la pensée positive pour cultiver la joie de vivre.

Apprendre à vivre avec ce que l’on a

On sait que Robinson Crusoé n’a pas été inventé de toutes pièces. Daniel Defoe s’est penché sur l’histoire vraie d’un naufragé écossais qui a vécu quatre ans sur une île déserte.

Michel Tournier, auteur de Vendredi ou la vie sauvage, qui s’inspire du récit de Daniel Defoe, explique : « Nous sommes tous Robinson Crusoé. Parce que c’est l’homme de la solitude sur une île déserte. Et je crois que chacun se sent plus ou moins sur une île déserte, même dans un HLM. Je crois que chacun doit écrire son Robinson Crusoé. »[5]

Alors, pourquoi ne pas nous inspirer de l’expérience de ce naufragé pour mettre en place des techniques d’adaptation et pratiquer la pensée positive ?

En voici quelques-unes à retenir :

  •     Faire le bilan des avantages et inconvénients de notre situation : à son arrivée sur l’île, Robinson trace dans le sable le « bilan des maux et des biens ».
  •     Tenir un journal de bord : très pragmatique, le journal de Robinson est un ensemble de notes brèves sur les tâches réalisées dans la journée. Cela rappelle un phénomène très moderne : « l’effet Zeigarnik »[6]. A trop s’éparpiller dans des tâches diverses, l’impression de ne pas avancer qui s’en dégage nous plombe. Entretenir une to-do-list a un effet rassurant sur le cerveau (même si la tâche n’a pas été terminée).
  •     Reproduire le rythme de vie en société « Je commençai à régler mon temps de travail et de sortie, mon temps de repos et de récréation ». Rythmer sa journée est essentiel pour garder de la motivation, se fixer des objectifs et se ménager des périodes de détente et de repos.
  •     Sentir de la gratitude pour ce que l’on a : « Tous nos mécontentements à propos de ce que nous voulons m’ont semblé provenir du manque de reconnaissance pour ce que nous avons ».
  • Profiter de la possibilité de prendre son temps : « Mais quel besoin aurais-je eu de m’inquiéter de la lenteur de n’importe quel travail ; je sentais tout le temps que j’avais devant moi ».

ll faut toutefois rappeler que Robinson avait tout à reconstruire ! Mais la lecture de son aventure peut nous inspirer une certaine philosophie de vie pendant cette période de confinement.

Prendre conscience de son habitat

Notre habitat est un microcosme à explorer. Quel que soit sa taille, c’est un monde en soi dans lequel on peut évoluer et que l’on peut se réapproprier pour s’y sentir bien. Cela peut être changer les rideaux, changer les meubles de place, diffuser des huiles essentielles, ranger le contenu d’une armoire…

Georges Perec a ainsi fait de la maison et du rangement un objet poétique. Dans un essai teinté d’ironie Penser/Classer (1985), il redécouvre sa bibliothèque et propose diverses façons de la ranger. C’est une occasion pour lui de dresser un état des lieux :

  1. Réfléchir aux multiples possibilités de classification des livres.
  2. Repenser l’usage des pièces de sa maison : quelles pièces peuvent accueillir des livres ?
  3. Lister les objets de décoration de la bibliothèque : pourquoi sont-ils ici ? Quels souvenirs évoquent-ils ?

Entre « bonhomie anarchisante et tabula rasa », le rangement de son intérieur est une réflexion sur notre manière de penser et d’organiser notre monde. Pérec suggère ainsi que penser son habitat est un acte à la fois créatif et amusant.

À vous de tester !

Portez-vous bien,

Catherine 

[1] BOROUJENI, S. T., & Shahbazi, M. (2011). The Effect of Instructional and Motivational Self-Talk on Performance of Basketball’s Motor Skill. Procedia – Social and Behavioral Sciences, 15, 3113–3117. doi:10.1016/j.sbspro.2011.04.255 https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1877042811008019

[2] DUMAS Alexandre, Le Comte de Monte-Cristo, Chapitre 15, C. Lévy (1889), disponible ici : https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Comte_de_Monte-Cristo/Chapitre_15

[3] FERGUSON, M. A., Nielsen, J. A., King, J. B., Dai, L., Giangrasso, D. M., Holman, R., … Anderson, J. S. (2016). Reward, salience, and attentional networks are activated by religious experience in devout Mormons. Social Neuroscience, 13(1), 104–116. doi:10.1080/17470919.2016.1257437

[4] JALINIERE Hugo, “Prier implique les mêmes zones du cerveau que la drogue ou le sexe”, le 6 décembre 2016 sur sciencesetavenir.fr, consulté le 30 mars 2020 et disponible ici https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/religion-prier-implique-les-memes-zones-du-cerveau-que-la-drogue-ou-le-sexe_108501

[5] GARBIT Philippe, Michel Tournier : “Nous sommes tous Robinson Crusoé”, le 10 octobre 2017 sur franceculture.fr, consulté le 30 mars 2020 et disponible ici : https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/vendredi-ou-les-limbes-du-pacifique-116-1ere-diffusion-14-et-16081967

[6] GOMBERG Guirec, “La charge mentale des salariés c’est l’effet Zeigarnik”, le 30 octobre 2017 sur cadreo.com, consulté le 30 mars 2020 et disponible sur ce lien : https://www.cadreo.com/actualites/dt-effet-zeigarnik-stress-taches-inachevees