Chers amis,
Vous avez sans doute du mal à comprendre les nombreuses volte-faces et contradictions dans les discours et les recommandations sur le Covid-19.
Nous aimerions tous avoir plus de visibilité, un horizon, des dates claires et des consignes précises.
Les autorités politiques et sanitaires ont pour responsabilité de construire un plan cohérent, réaliste et transparent pour la sortie de crise. Mais il nous faut bien admettre que l’incertitude sanitaire et scientifique est encore considérable.
Le Covid-19 fait l’objet d’un foisonnement inouï de recherches dans le monde entier : environ 52 000 articles scientifiques ont été publiés à ce jour [1], alors que le mot n’existait même pas il y a cinq mois !
Et pourtant, les questions les plus fondamentales sur le coronavirus et la maladie sont en grande partie irrésolues.
Je vous livre 5 de ces incertitudes aujourd’hui.
1. On ne sait pas exactement comment se transmet le coronavirus
Il est certain que les gouttelettes crachées lors de la toux, des éternuements ou des postillons sont vectrices du virus. Mais des zones d’ombre demeurent sur la transmission éventuelle :
- par les excréments.
- par les surfaces contaminées : deux études publiées mi-mars puis mi-avril dans la revue américaine NEJM, ont montré que le nouveau coronavirus est détectable jusqu’à deux à trois jours sur des surfaces en plastique ou en acier inoxydable, et jusqu’à 24 heures sur du carton. Toutefois, ces durées maximales ne sont que théoriques. « Ces études ont évalué la présence de matériel génétique, et non pas de virus vivant », soulignent les autorités sanitaires françaises [2]. Or, « ce n’est pas parce que du virus persiste que cela est suffisant pour contaminer une personne qui toucherait cette surface. De l’avis des experts, la charge virale du virus (qui correspond à sa capacité de contaminer) diminue très rapidement dans le milieu extérieur, et en quelques minutes, celui-ci n’est plus contaminant. »
- et surtout, par les aérosols, ces nuages de micro-gouttelettes parfaitement invisibles. Dans une étude, des chercheurs de l’université du Nebraska ont notamment retrouvé des portions du code génétique du virus dans l’air expulsé par des malades du Covid-19. Ils ont trouvé de l’ARN du virus au bout de deux heures. On ne sait pas, en revanche, s’il était encore infectieux.
Pourquoi c’est important :
La présence du virus dans les aérosols voudrait dire qu’il flotterait dans l’air et sortirait même par le nez. On pourrait alors se contaminer rien qu’en passant dans une pièce où un malade a toussé quelques heures auparavant, voire simplement en respirant le même air.
En France, par précaution, de nombreux médecins ainsi que l’Académie de médecine, recommandent le port généralisé du masque couvrant la bouche ET le nez. « Il faut partir de l’hypothèse la plus défavorable, plaide le Dr Rochoy, co-initiateur du collectif « Stop postillons ». Car même confinés, les gens sortent faire leurs courses, ils se parlent et il ne leur est pas toujours possible de respecter les distances. Les écrans anti-postillons (masques et visières) permettent de retenir les gouttelettes ; le virus va rester à l’intérieur et protéger les autres. »
2. On comprend encore mal les symptômes
« Les symptômes les plus courants sont la fièvre, la fatigue et une toux sèche. Pour certains patients, cela peut également être des douleurs, une congestion nasale, un nez qui coule, un mal de gorge ou la diarrhée », résume l’Organisation mondiale de la santé.
Pourtant, au-delà de ce type de symptômes, assez courants, il apparaît de plus en plus clairement que le coronavirus affecte aussi d’autres organes :
- Les observations de terrain et plusieurs études ont décrit des symptômes neurologiques : perte d’odorat et de goût, douleurs nerveuses, confusion mentale, voire crises convulsives et accidents vasculaire cérébraux (AVC).
- Des symptômes cutanés (engelures, rougeurs, urticaires) ont aussi été observés chez certains patients.
- Une étude publiée ce 20 avril dans la revue médicale The Lancet [3], suggère aussi que le virus pourrait s’attaquer à la paroi des vaisseaux sanguins (l’endothélium), sur la base de l’étude clinique de trois patients, présentant des pathologies associées, et malheureusement décédés. Objet de nombreuses spéculations, les interactions du virus avec le sang et les globules rouges sont à ce stade mal comprises.
- Plus globalement, le virus ne semble pas s’attaquer qu’aux poumons, comme on a pu le penser au départ. Tous les organes qui disposent de récepteurs ACE2, dont se sert le virus comme porte d’entrée, peuvent être concernés, comme le cœur, les reins et les intestins. Le manque d’oxygène et l’inflammation généralisée qu’il entraîne peuvent aussi causer une défaillance de plusieurs organes.
3. On ne sait pas quel traitement donner
À ce jour, il n’existe aucun traitement contre les infections dues aux coronavirus. Les possibilités thérapeutiques se limitent à traiter les symptômes. Dans l’attente de molécules efficaces, les médecins ont à leur disposition quelques médicaments qu’ils administrent au cas par cas, en fonction du profil des malades et des stocks à disposition : des antiviraux comme le Kaletra et le Remdésivir ; un antimalarique comme l’hydroxychloroquine, ainsi que des antibiotiques parfois utilisés pour combattre les infections associées. Leurs effets sont loin d’être les mêmes pour tous les patients. C’est pourquoi l’OMS vient de lancer un vaste essai clinique nommé « Solidarity », afin d’évaluer l’efficacité de ces médicaments dits « compassionnels ».
Plus de 30 études et essais visant à développer des traitements contre le Covid-19 ont été lancés en France, sur un total de 860 dans le monde [4].
4. On ne sait pas pourquoi certains cas sont si graves
Depuis le début de l’épidémie, on sait que l’âge avancé et l’existence de pathologies chroniques (diabète, hypertension, malformation cardiaque, etc.) peuvent être des éléments aggravants.
Mais comment expliquer la sévérité de certains cas, y compris chez les personnes jeunes et en apparente bonne santé ? Ces cas sont exceptionnels (en France, 84 % des patients décédés avaient des comorbidités et 92 % étaient âgés de 65 ans et plus), mais déstabilisent les scientifiques, qui en sont au stade des hypothèses.
Parmi celles-ci, l’« orage de cytokines », un phénomène d’hyper-inflammation du système immunitaire engendrée par le virus chez certains patients. Cette libération massive de molécules impliquées dans le contrôle de l’immunité pourrait entraîner des effets délétères, comme une forte baisse de la pression artérielle, des œdèmes pulmonaires ou des détresses respiratoires aiguës, pouvant conduire au décès.
L’hypothèse de facteurs génétiques est aussi à l’étude pour expliquer cette variabilité des cas, notamment par l’immunologiste Jean-Laurent Casanova en France. Selon lui, ces malades ont une prédisposition génétique qui reste silencieuse jusqu’à la première rencontre avec le virus, puis se manifeste alors sous la forme d’une maladie grave, qui conduit le patient dans un service de réanimation [5].
5. On ne sait pas combien de temps dure l’immunité
Une fois remis de la maladie, sommes-nous bien immunisés, et, si oui, pour combien de temps ?
Face à des données encore lacunaires, les scientifiques s’appuient principalement sur des études ayant été conduites durant les premières épidémies de SRAS et de MERS, mais aussi sur des travaux plus récents. Une étude chinoise menée sur des macaques infectés par le SARS-CoV-2[6] a démontré que les singes produisaient des anticorps neutralisants leur permettant de résister à une nouvelle infection. Ces résultats accréditent la thèse d’une immunité acquise.
En Corée du Sud, des cas de patients testés négatifs puis à nouveau positifs soulèvent pourtant de nombreuses interrogations. L’hypothèse la plus communément admise est que ces patients n’avaient en réalité jamais vraiment guéri. Leur résultat négatif pourrait s’expliquer soit par une très faible présence du virus dans l’organisme, soit par le fait que le test n’était pas fiable ou qu’il avait été mal réalisé.
Il est par ailleurs difficile de trouver des liens avec les précédentes épidémies, la réponse immunitaire pouvant non seulement être très variable d’un virus à l’autre de la famille des coronavirus, mais aussi entre les individus.
Pourquoi c’est important :
Il sera beaucoup plus difficile de maîtriser l’épidémie et d’éviter une « seconde vague » si une personne déjà infectée peut l’être à nouveau. Alors que le gouvernement semble miser au moins en partie sur l’immunité collective (voir le mail que nous vous avons envoyé hier à ce sujet), cette stratégie pourrait s’avérer caduque.
Il y a encore beaucoup de choses dont nous ne sommes pas certains.
Je continue mes recherches et vous envoie demain la suite de ce message.
Portez-vous bien,
Malik
[1] D’après la base de données CORD-19, qui recense tous les articles publiés sur le Covid-19 : https://pages.semanticscholar.org/coronavirus-research
[2] Sur le site officiel gouvernement.fr
[3] “Endothelial cell infection and endotheliitis in COVID-19”, The Lancet, 20 avril 2020, https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)30937-5/fulltext
[4] “Recherche d’un traitement contre le Covid-19 : plus de 30 études en France”, L’Express, 19 avril 2020, https://www.lexpress.fr/actualite/societe/sante/recherche-d-un-traitement-contre-le-covid-19-plus-de-30-etudes-en-france_2124092.html
[5] “Jean-Laurent Casanova : « Les cas graves inexpliqués suggèrent l’existence de facteurs génétiques »”, Le Monde, 16 avril 2020, https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/04/16/jean-laurent-casanova-les-cas-graves-inexpliques-suggerent-l-existence-de-facteurs-genetiques_6036776_3244.html
[6] “Reinfection could not occur in SARS-CoV-2 infected rhesus macaques”, BiorXiv, https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2020.03.13.990226v1