Chers amis,

Si je le pouvais, je passerais ma vie allongé.

J’exagère, évidemment… mais j’exagère à peine.

Passer du temps allongé ou au lit est souvent très mal vu : c’est une position que l’on associe, dans l’imaginaire collectif, soit au repos (ce qui est positif), à la maladie (ce qui est négatif) ou à la paresse (ce qui est encore plus négatif, parce que là… c’est de notre faute).

C’est une vision non seulement très limitée des choses, mais surtout fausse : la position allongée, quand on ne dort pas, a bien des vertus.

On ne fait rien couché, et autres contes à dormir debout

La première idée reçue à combattre au sujet de la position allongée, est qu’elle est synonyme d’inactivité, voire d’improductivité, ce qui est le pire des maux à notre époque qui ne jure que par la performance et la croissance.

Pardonnez-moi cet aparté un peu badin, mais la plupart d’entre nous n’existerions pas si nos parents n’avaient pas passé un minimum de temps allongés ensemble… sans dormir !

Mais, allongé, on peut faire bien autre chose que l’amour et des enfants.

Voici un exemple :

Vous avez peut-être reconnu la peintre mexicaine Frida Kahlo.

Certes, elle ne restait pas au lit par choix : jeune étudiante en médecine, elle fut victime d’un grave accident de bus qui lui brisa la colonne vertébrale et le col du fémur ; elle subit au cours de son existence pas moins de 32 opérations chirurgicales.

Alitée par obligation, ses parents lui achetèrent un chevalet adapté et un lit à baldaquin doté d’un miroir en guise de plafond : c’est couchée que Frida devint peintre, c’est clouée au lit que la peinture devint sa « raison de vivre ».

D’autres chefs d’œuvre ont été réalisés au lit : je pense par exemple à A la recherche du temps perdu.

L’œuvre monumentale et sensible de Marcel Proust a en effet été rédigée du fond de son lit : asthmatique et à la santé fragile, l’écrivain passait le plus clair de ses nuits et de ses jours couché. Il repliait ses genoux, y posait un plateau d’argent, et passait des heures à écrire.

Couché, de la contrainte au choix

La position allongée est donc particulièrement propice au travail intellectuel et créatif.

Qu’il s’agisse de Frida Kahlo, brisée, ou de Marcel Proust, asthmatique, rester au lit fut une obligation avant de devenir un choix, et un lieu de travail et de création.

J’ai moi-même éprouvé, à une époque précise de ma vie, cette évolution ; je vous ai déjà raconté comment un accident de la circulation, à Londres, m’avait laissé sur le pavé avec une rotule brisée.

Les mois suivant cet accident, je les ai essentiellement passés alité, d’abord à écrire le guide sur Londres que j’étais parti préparer… puis à créer un jeu de société, « Le Tour du monde en 1000 questions »[1]. Ainsi, même cloué au lit, je continuais à voyager et écrire !

C’est une opinion personnelle, mais je trouve que les idées viennent plus facilement, et les mots plus vite, quand on est allongé.

Le corps ne pèse plus, on ne se tortille plus sur sa chaise… tout se passe comme si l’on était, en somme, plus réceptif à ce qui se passe à l’intérieur de soi – mais aussi à l’extérieur.

Car être couché ne veut pas dire non plus rester dans son lit : je ne connais pas de plaisir plus doux et inspirant que celui d’être couché dans l’herbe.

Là, dans la nature, la position allongée permet un moment de méditation simple, je dirais presque fondamentale.

La chanteuse Patti Smith, adepte elle aussi de cette forme de contemplation allongée dans l’herbe, la décrit avec beaucoup de justesse dans son texte autobiographique Glaneurs de rêves : « Tu lèves les yeux, les nuages se forment et se reforment. Ils ressemblent – à un embryon, un ami défunt qui repose à l’horizontale. Ou à un bras immense, charitable comme un printemps, qui sur ordre soulèvera ce sac de lin et tout ce qu’il contient, ne serait-ce que l’âme d’une idée – la couleur de l’eau, le poids d’une colline. (…) il était possible d’entendre une graine se former, d’entendre l’âme se replier comme une nappe blanche »[2]

Cette merveilleuse contemplation de la nature, allongé dehors, vaut le jour comme la nuit – particulièrement en ce moment, alors que les nuits sont très douces, et que nous sommes en plein pic des perséides comme je vous l’écrivais il y a peu[3] : observer la voûte céleste et les étoiles filantes couché sur l’herbe ou sur un transat, est un spectacle ressourçant et gratuit.

Mais si la position couchée est bonne pour l’esprit et pour la tête, elle l’est aussi pour le corps.

La chaise, cet instrument de torture

Être couché est l’une des trois positions naturelles du corps humain, avec la station debout… et le fait d’être assis par terre ou accroupi.

Or la plupart d’entre nous aujourd’hui passons l’essentiel de nos journées ni couché, ni debout, ni assis par terre ou accroupi – mais assis sur des chaises ou des fauteuils.

Ce seul paramètre a une immense part de responsabilité dans l’explosion des maladies de civilisation que nous connaissons : l’obésité, le diabète, les maladies cardiovasculaires, mais aussi les cancers du sein, de l’endomètre et du côlon[4],[5].

Comme si cela ne suffisait pas, aux heures travaillées assis s’ajoutent les heures de loisir assis – et il y a un rapport direct entre ces heures passées à regarder la télévision ou son smartphone par exemple, et le risque de mortalité toutes causes confondues : en gros, trois heures, ça va… six heures, bonjour les dégâts[6].

En somme, le temps passé assis sur une chaise ou un fauteuil est en soi un facteur de dégradation de l’espérance de vie aussi féroce et radical que le tabagisme et une mauvaise alimentation.

Il existe certes des méthodes pour compenser les méfaits des longues journées passées assis ; c’est ce qu’on appelle la posturologie, et sur ce point je ne connais pas de plus grande experte que le Dr Bernadette de Gasquet : si par exemple vous devez travailler assis à l’ordinateur, elle vous explique simplement quelle doit être la meilleure position de votre corps sur la chaise, à quelle hauteur de votre regard votre écran doit se trouver, etc.

Ces simples conseils permettent de réduire voire d’éviter de nombreux problèmes associés à la position assise prolongée, à savoir les douleurs musculosquelettiques et en particulier les lombalgies.

Paradoxalement, travailler allongé plutôt qu’assis offre la possibilité de s’épargner ces douleurs.

Les 3 grands bienfaits de la position allongée sur le corps

1 – Pas de tension, pas de douleur

Le premier bienfait tient au relâchement des muscles et du squelette lorsque vous êtes en position allongée : vous n’avez pas à faire l’effort de vous tenir droit. Cette position repose votre corps.

2 – Faites ceci pour améliorer votre circulation sanguine et lymphatique

C’est tout bête, mais la station allongée est par ailleurs la seule qui vous permette de surélever les jambes (ça, et faire le poirier, mais il n’est pas très pratique de passer du temps dans cette position !).

Nos membres inférieurs sont en permanence rivés au sol, c’est-à-dire qu’en tout temps notre sang et notre eau sont attirés par la gravité : notre anatomie est adaptée pour, grâce notamment au système complexe du retour veineux.

Mais en vieillissant, ce mécanisme fatigue, et peut même devenir une cause de handicap, provoquant des sensations de jambes lourdes, des varices, etc.

Le moyen le plus simple et le plus naturel de combattre cette tendance et de stimuler la circulation dans les membres inférieurs – que ce soit la circulation sanguine ou lymphatique – consiste à avoir les jambes un peu surélevées par rapport à votre bassin : le sang ne stagne alors plus dans les pieds et les chevilles, et vous luttez également contre la rétention d’eau.

En outre, cette relance de la pompe veineuse a également des effets positifs sur la digestion.

En pratique, placez simplement un ou deux coussins sous vos pieds lorsque vous êtes allongé, et ce de façon régulière.

3 – être allongé… pour mieux se relever et bouger.

Pour autant, il ne s’agit pas de passer tout son temps allongé.

Quand j’ai la possibilité de travailler allongé, je ne reste pas dans cette position plus de trente minutes d’affilée : je m’assieds en tailleur, je me lève et marche régulièrement pour toute autre activité : me préparer une boisson, passer des appels téléphoniques.

Passer du temps allongé n’a, en somme, de sens que si l’on se relève régulièrement pour bouger !

D’une manière générale, une règle simple de la posturologie consiste à changer régulièrement de position – y compris allongé : retournez-vous sur le ventre, par exemple (cette règle ne vaut pas que pour bronzer à la plage !).

Au surplus il y a un moyen simple pour, réellement, faire de cette station couchée un atout au quotidien : c’est de la pratiquer non pas sur un lit surélevé ou sur un canapé, mais sur le sol.

Pourquoi vous devriez vous allonger (ou vous asseoir) sur le sol

Je vous écrivais un peu plus haut que la position assise naturelle, pour le corps humain, c’est en tailleur par terre, ou accroupi.

Vous asseoir ou vous allonger sur le sol a deux effets importants.

Le premier, c’est qu’une peur grandit avec l’âge : celle de tomber.

Or c’est tout bête, mais passer plus de temps assis ou allongé par terre vous permet de reprendre contact avec le plancher des vaches, à ne plus considérer ce dernier comme un danger, mais au contraire comme le support naturel de votre corps.

En apprenant ou en réapprenant à vous asseoir sur le sol, vous serez surpris de voir s’estomper de possibles sensations de vertiges.

Vous « réapproprier » le sol a donc une vertu psychologique… qui rassure votre corps.

Le second effet, c’est que cette habitude va vous donner l’occasion d’apprendre (ou de réapprendre) à vous asseoir ou vous allonger sur le sol et à vous relever sans les mains.

C’est-à-dire sans vous appuyer sur un meuble… ou à mettre les mains au sol.

Il y a quelques années cette faculté a été directement associée, par des chercheurs brésiliens, à l’estimation du nombre d’années en bonne santé qu’il vous reste à vivre[7].

C’est donc une bonne raison de pratiquer cet exercice !

Quand on n’a pas l’habitude, cela paraît mission impossible ; mais c’est simplement que nous avons « désappris » cette aptitude : observez de très jeunes enfants, ils en sont capables, sans y penser.

Pour vous entraîner à cet exercice – s’asseoir ou s’allonger sur le sol et se relever sans les mains – vous trouverez des vidéos sur internet (je vous en indique une dans le lien en source[8]). Il y a plusieurs techniques, consistant à se relever les jambes croisées, ou faire une sorte de roulé-boulé.

Dormir par terre

Pour vous y aider, voici un dernier conseil : c’est de dormir par terre.

Pas à même le sol, non, mais le plus bas possible. Cela fait plusieurs années qu’avec ma compagne nous dormons sur un tatami et un futon.

Ce simple changement vous aidera, au quotidien, à vous réhabituer à vous asseoir, vous allonger et vous relever sans les mains (et puis vous n’aurez plus de problèmes pour faire la poussière sous le lit !).

Si vous n’êtes pas prêt à franchir ce pas, vous pouvez à minima vous réhabituer à la sensation du sol, en vous installant par terre, contre un mur : les fesses par terre, le dos calé par un coussin, les jambes allongées (ou surélevées).

C’est ma position préférée pour lire, ou laisser mon esprit vagabonder.

Portez-vous bien,

Rodolphe

[1] Bacquet R (2014). Le tour du monde en 1000 questions. Lonely Planet : Paris, France. EAN13 : 9782816145175. https://www.payot.ch/Detail/le_tour_du_monde_en_1000_questions-lonely_planet-9782816145175

[2] Smith P (2016). Glâneurs de rêves. Gallimard : Paris, France. EAN13 : 9782070468980

[3] https://alternatif-bien-etre.com/developpement-personnel/spiritualite/il-ny-a-quen-prenant-conscience-quon-est-petit-quon-peut-grandir/

[4] Patterson R, McNamara E, Tainio M, et al. (2018). Sedentary behaviour and risk of all-cause, cardiovascular and cancer mortality, and incident type 2 diabetes: a systematic review and dose response meta-analysis. Eur J Epidemiol. 33(9):811-829.

[5] Cao C, Friedenreich CM, Yang L. (2022). Association of Daily Sitting Time and Leisure-Time Physical Activity With Survival Among US Cancer Survivors. JAMA Oncol. 8(3):395-403. https://jamanetwork.com/journals/jamaoncology/article-abstract/2787951

[6] Patel AV, Maliniak ML, Rees-Punia E, et al. (2018). Prolonged Leisure Time Spent Sitting in Relation to Cause-Specific Mortality in a Large US Cohort. Am J Epidemiol 187(10):2151–2158. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29947736/

[7] Demmer B (05.12.2014). Voici le petit exercice qui vous permet de savoir si vous êtes en bonne santé. Medisite. https://www.medisite.fr/a-la-une-ce-petit-exercice-vous-permet-de-savoir-si-vous-etes-en-bonne-sante.743506.2035.html

[8] https://www.facebook.com/CulturePhysique.ca/videos/%EF%B8%8Fse-lever-du-sol-sans-les-mains-%C3%AAtes-vous-encore-capableavec-l%C3%A2ge-on-perd-de-plu/1240178929483289/