Chers amis,

Vous vous souvenez probablement de Boucle d’Or et de la maison des trois ours. 

Dans ce conte, la petite fille découvre que chaque objet usuel de la maison existe en trois tailles : grand pour Papa ours, moyen pour Maman ours, petit pour Bébé ours.

Le plus impressionnant, ce sont évidemment les lits :

Boucle d’Or les essaye tous les trois avant d’adopter, comme à chaque fois, celui du petit ours et d’y dormir à son aise.

La famille ours écoute ses besoins, et vous ?

Les trois ours sont pleins de bon sens : ils ont adapté leur mode de vie à leurs besoins.

Papa ours, qui est vraiment très grand, a le plus grand bol de soupe, tandis que l’ourson, encore bien jeune, a le plus petit. Parce qu’ils n’ont pas les mêmes besoins de nourriture.

Pourtant Boucle d’Or semble mal évaluer ses propres besoins : elle tâtonne avant de faire son choix, pour la chaise, pour le fauteuil, pour le lit.

Il me semble que face au sommeil, nous sommes nombreux à être comme Boucle d’Or.

Il n’y a pas que la taille des lits qui diffère d’une personne à l’autre et d’un âge à l’autre : il y a aussi les besoins de sommeil.

Et nous les évaluons mal.

Bébé ours est un gros dormeur, Papa ours plutôt un petit !

Bébé, nous dormons en moyenne dix-huit heures sur vingt-quatre. À partir de trois mois, quand nos parents ont de la chance, nous commençons à « faire nos nuits », qui demandent dix à onze heures… et nous faisons trois à quatre siestes dans la journée.

Plus nous avançons en âge, moins nous avons besoin de dormir.

De nombreuses études ont été effectuées à ce sujet, mais la plus complète qui date de 2004 a impliqué 3 577 personnes âgées de 5 à 102 ans[1]. Voici ce que les chercheurs ont pu établir :

  • Notre besoin total de sommeil passe de douze heures (entre 3 et 5 ans) à dix (entre 10 et 12 ans). À l’entrée de l’adolescence, nous n’avons plus besoin « que » de neuf à dix heures.
  • De 15 à 35 ans environ, nous perdons doucement une heure de sommeil pour tomber à une moyenne comprise entre sept heures et demie et huit heures, que nous garderons pendant environ… quarante ans.
  • Passés 75 ans, notre temps de sommeil se réduit inexorablement… ainsi que sa qualité « réparatrice ». Autrement dit, nous dormons de moins en moins et de moins en moins bien.

L’affaire semble donc entendue : tel âge = tel besoin de sommeil.

Mais à âge égal, nous n’avons pas tous non plus exactement les mêmes « profils » de dormeurs.

Il y a la moyenne… et il y a vous

Il y aurait aussi trois « profils » de dormeurs :

  • les « petits » dormeurs qui n’auraient besoin que de 5 à 6 heures de sommeil par 24 h pour être reposés et en forme ;
  • les « moyens » dormeurs qui auraient besoin des sept à huit heures dont je vous parlais plus haut ;
  • les « gros » dormeurs qui ont besoin de neuf heures au moins.

Les « moyens dormeurs » constituent par définition la moyenne… et l’écrasante majorité : plus de 80 % de la population se situerait dans cette catégorie.

Les « petits » dormeurs constituent 7 % de la population.

Les « gros » dormeurs environ 10 %[2].

Il semble que faire partie de l’une de ces deux dernières catégories (les petits et les gros dormeurs) soit un désavantage en termes de santé.

Le conte des trois dormeurs est-il à dormir debout ?

Les études sur le rapport entre la durée de sommeil et le développement de certaines maladies sont nombreuses.

Il est fermement établi qu’un temps de sommeil trop court est proportionnellement associé à :

  • plus d’AVC[3] ;
  • plus de diabète de type 2[4] ;
  • plus de chance de contracter un virus[5] (4 fois plus de chances d’attraper un rhume quand on a dormi moins de six heures !) ;
  • un ressenti plus vif de la douleur[6] ;
  • un plus grand nombre de symptômes dépressifs[7].

Comme pour confirmer tous ces résultats, une grande méta-analyse a établi un lien très net entre un temps de sommeil trop court (moins de sept heures) et la mort, toutes causes confondues[8] !

De façon plus surprenante, la même étude note que ce risque accru de mort précoce est également associé… à un temps de sommeil trop long !

Cela signifie-t-il que nos petits dormeurs et nos gros dormeurs seraient frappés d’un destin les exposant à plus de maladies ?

Je ne crois pas. Le problème est ailleurs.

Beaucoup de « petits dormeurs » sont en fait des dormeurs endettés

Lorsqu’on n’a pas suffisamment dormi au cours de la nuit, et que l’on se réveille trop fatigué, on a contracté une « dette de sommeil ».

Une dette d’une nuit est assez facile à « rembourser ».

Le problème, c’est quand ce manque de sommeil se répète ou devient chronique.

La dette devient alors dangereuse pour la santé. Elle augmente le risque de développer les pathologies que nous avons vues plus haut.

D’autant que le manque chronique de sommeil pousse souvent à adopter l’usage répété d’excitants comme le café ou la cigarette pour maintenir l’éveil et la concentration…

…sans compter les somnifères pour s’endormir !

Je vois dans l’augmentation constante de la dépression, du diabète de type 2 et de l’obésité, un signe révélateur de notre société de plus en plus endettée de sommeil.

Cette intuition est confirmée par l’INSV (Institut National du Sommeil et de la Vigilance) qui estime que 31 % des Français de 18 à 65 ans dormiraient en moyenne 5 heures et 33 minutes par nuit[9].

Même à considérer que tous les « petits dormeurs » de France et de Navarre font partie du lot, un rapide calcul suffit pour voir que plus de deux tiers de ces personnes sont en réalité en dette chronique de sommeil !

Nous dormons de moins en moins et nous sommes de plus en plus malades

Les nuits de sommeil plus courtes ne sont pas un phénomène récent. La généralisation de l’électricité dans les foyers, puis celle de la télévision, ont entamé le temps de sommeil, plutôt sévèrement.

En revanche, le fait que quasiment 1/3 de la population adulte dorme moins de six heures par nuit est, ça, très récent.

Aux États-Unis, ce nombre a doublé en moins de dix ans[10].

En France, nous faisons pire encore.

Il n’y a pas une seule et unique raison à ce triste phénomène. On peut l’attribuer à :

  • la multiplication des écrans (smartphones, tablettes, etc.) ;
  • l’allongement du temps de trajet entre le lieu de travail et le lieu de résidence ;
  • l’augmentation du stress, qui retarde le temps d’endormissement, et provoque des insomnies ;
  • la pollution lumineuse et sonore des grandes villes[11].

Peut-être aussi notre monde contemporain a-t-il un regard plus négatif qu’avant sur le sommeil, considéré comme un besoin physiologique embêtant et une perte de temps.

C’est regrettable. Car le sommeil est un médicament, le plus naturel et efficace qui soit.

Premier moyen de rembourser votre dette de sommeil

La sieste est un moyen simple et excellent de récupérer une dette de sommeil. Même courte (un quart d’heure), elle permet de réparer une dette de sommeil et de redonner de la vigilance.

Mais en Occident, la sieste est souvent considérée comme un « truc de paresseux ». Nous avons tout de suite l’image du mexicain endormi sous son sombrero ou de Gaston Lagaffe ronflant comme un bienheureux dans son hamac !

Et de fait il est très mal vu de piquer un roupillon sur son lieu de travail. Et cela même si de plus en plus d’études démontrent qu’il est plus efficace, en termes de productivité, de s’accorder quelques minutes de sommeil léger[12] !

Dans des pays comme la Corée du Sud ou le Japon, qui comptent parmi les plus grands travailleurs de notre planète, on a institutionnalisé la sieste au bureau !

Les bienfaits d’une sieste courte (10 à 30 minutes) sont bien connus[13] :

  • la sieste atténue la douleur et le stress ;
  • elle renforce l’immunité ;
  • elle réduit les risques de maladies ou d’accidents cardiovasculaires ;
  • elle améliore l’humeur ;
  • elle consolide la mémoire.

Prendre soin de son sommeil LA NUIT

Comment améliorer et rallonger le temps de sommeil de nuit ?

Voici quelques conseils qui j’espère, vous aideront :

  • coupez tous les écrans au moins deux ou trois heures avant de vous mettre au lit ;
  • dès la fin de l’après-midi, appliquez un filtre à lumière bleue sur vos écrans (lumière des écrans qui retarde la production de mélatonine, l’hormone du sommeil) ;
  • veillez à dormir dans une chambre fraîche et plongée dans le noir ;
  • faites un repas léger (voire sautez le dîner), abstenez-vous absolument de sucres avant de vous coucher ;
  • détendez-vous, par exemple en prenant un bain chaud ou en faisant quelques étirements.

Si vous avez d’autres « trucs » pour passer une bonne et longue nuit, n’hésitez pas à les partager en commentaire de cette lettre !

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet


[1] Ohayon (M. M.) et al., « Meta-Analysis of Quantitative Sleep Parameters From Childhood to Old Age in Healthy Individuals: Developing Normative Sleep Values Across the Human Lifespan », Sleep, octobre 2004, vol. 27, no 7, pp. 1255–1273, consulté en novembre 2019, disponible sur https://doi.org/10.1093/sleep/27.7.1255

[2] Roenneberg (T.) et al., « Epidemiology of the human circadian clock », Sleep Medicine Reviews, décembre 2007, vol. 11, no 6, pp. 429-438, consulté en novembre 2019, disponible sur https://doi.org/10.1016/j.smrv.2007.07.005

[3] Fernandez-Mendoza (J.) et al., « Objective short sleep duration increases the risk of all-cause mortality associated with possible vascular cognitive impairment », Sleep Health, 20 novembre 2019, consulté en novembre 2019, disponible sur https://doi.org/10.1016/j.sleh.2019.09.003

[4] Francesco (P.) et al., « Quantity and Quality of Sleep and Incidence of Type 2 Diabetes », Diabetes Care, février 2010, vol. 33, no 2, pp. 414-420, consulté en novembre 2019, disponible sur https://doi.org/10.2337/dc09-1124

[5] Prather (A. A.) et al., « Behaviorally Assessed Sleep and Susceptibility to the Common Cold », Sleep, 1er septembre 2015, vol. 38, no 9, pp. 1353-1359, consulté en novembre 2019, disponible sur https://doi.org/10.5665/sleep.4968

[6] Edwards (R.) et al., « Duration of sleep contributes to next-day pain report in the general population », Pain, juin 2008; vol. 137, no 1, pp. 202-207, consulté en novembre 2019, disponible sur https://doi.org/10.1016/j.pain.2008.01.025

[7] Taeryoon (K.) et al., « Associations of mental health and sleep duration with menstrual cycle irregularity: a population-based study », Archives of Women’s Mental Health, vol. 21, no 6, pp. 619-626, consulté en novembre 2019, disponible sur https://doi.org/10.1007/s00737-018-0872-8

[8] Cappucio (F. P.) et al., « Sleep Duration and All-Cause Mortality: A Systematic Review and Meta-Analysis of Prospective Studies », Sleep, mai 2010, vol. 33, no 5, pp. 585-592, consulté en novembre 2019, disponible sur https://doi.org/10.1093/sleep/33.5.585

[9] Faraut (B.), Sauvés par la sieste, éditions Actes Sud, mars 2019.

[10] Ibid., p. 84.

[11] Debry (M.), « Pollution lumineuse : les éclairages extérieurs déclenchent des insomnies », Pourquoi Docteur, 3 décembre 2018, consulté en novembre 2019, disponible sur https://www.pourquoidocteur.fr/Articles/Question-d-actu/27619-Pollution-lumineuse-eclairages-exterieurs-declenchent-insomnies

[12] Herrera (T.), « Take Naps at Work. Apologize to No One », The New York Times, 23 juin 2017, consulté en novembre 2019, disponible sur https://www.nytimes.com/2017/06/23/smarter-living/take-naps-at-work-apologize-to-no-one.html

[13] Op. cit., p. 211.