Chers amis,

J’adore le cinéma mais pas beaucoup les films d’horreur.

Je fais une exception pour L’Exorciste, ce film saisissant de William Friedkin (1973).

Il raconte la spectaculaire possession par le démon (plus exactement par Pazuzu, une divinité mésopotamienne) d’une jeune adolescente américaine sans histoire.

Et les tentatives fatales de deux prêtres pour la « délivrer ».

Le film est adapté d’un roman qui s’était lui-même inspiré d’une histoire vraie.

Un cas officiel de possession

L’histoire s’est déroulée dans le Maryland, aux États-Unis, à la fin des années 1940, au sein d’une famille protestante de la classe moyenne, et très croyante.

Un adolescent de quatorze ans y change de comportement du jour au lendemain : il se roule par terre, hurle, est saisi de convulsions, semble prise de visions effrayantes.

Les parents appellent des médecins, qui ne comprennent ni ne résolvent le problème.

Ils se tournent alors vers l’Église, qui fait un diagnostic de possession.

Ce diagnostic a été défini par le rituel romain de 1614 avec des critères très stricts :

  • « Parler couramment des langues inconnues ou comprendre celui qui les parle ;
  • Révéler des choses cachées ou lointaines ;
  • Manifester des forces supérieures à l’âge ou à la condition physique ;
  • Une forte aversion pour Dieu, pour la Très Sainte personne de Jésus, pour la Bienheureuse Vierge Marie, les saints, l’église, la Parole de Dieu et les réalités sacrées, surtout les Sacrements et les images sacrées[1]. »

Un pasteur luthérien et pas moins de trois prêtres catholiques sont appelés au chevet de l’adolescent.

Ils finissent par l’« exorciser » dans un hôpital psychiatrique après l’avoir baptisé.

L’adolescent se serait écrié : « Satan, je suis Saint-Michel, sors de ce corps ! »[2]

Une fois libéré, il eut une existence parfaitement normale, avec semble-t-il aucun souvenir de cette « possession ». 

Des cas rarissimes mais très bien documentés

Les cas avérés de « possession » sont à la fois rares et antérieurs à la fondation de l’Église catholique.

On les retrouve dans la culture juive (les « dibbouk »), ainsi que dans plusieurs cultures traditionnelles, tel le vaudou.

Les prêtres exorcistes existent toujours aujourd’hui.

Et si les cas officiels sont peu nombreux… ces prêtres sont régulièrement sollicités, surtout dans les pays très croyants.

Un prêtre exorciste français confiait même, en 2018, que les cas « augmentaient » en France, et qu’il en traitait un millier par an (!)[3].

Les « symptômes » que ce prêtre décrit sont les mêmes : une force démesurée, des personnes se mettant à parler dans une langue étrangère, un visage changeant d’aspect, etc.

Il n’y a pas que les prêtres qui ont affaire à ces symptômes.

Dans un article publié en 2010 dans la revue Annals of Neurology, le Dr en neurologie pédiatrique Guillaume Sébire revient sur le cas qui a inspiré L’Exorciste, en notant que les symptômes cliniques de l’adolescent (épisodes de rage soudaine, agressivité et automutilations, troubles du langage, cris dans une « langue inconnue », contorsions improbables…) se retrouvèrent à l’identique… chez 6 jeunes garçons admis dans son service en 1992, au Canada.

Ces 6 garçons, écrit-il, présentaient des troubles du langage, une « démence régressive » aux allures autistiques, des expressions faciales et mouvements du corps « paroxystiques », dont des épisodes de convulsion où le corps se raidit en un arc au-dessus du lit, etc.[4]

Scanners du cerveau, prises de sang, examen des poumons : tout semblait étrangement normal chez eux.

Ils guérirent au bout de quelques mois, continue le Dr Sébire, « sans exorcisme », mais au terme de traitements antiépileptiques et de prises occasionnelles de médicaments neuroleptiques.

Et surtout : sans séquelles.

Vingt ans plus tard, soit au moment où le Dr Sébire écrit son article, 40 autres cas ont été documentés par des pédiatres du monde entier.

Même tableau clinique, avec ses spectaculaires manifestations… et même rémission au bout de plusieurs mois.

Le démon… ou une mystérieuse maladie neurologique ?

Les cas décrits par le Dr Guillaume Sébire ont donné lieu à une véritable enquête internationale dans le domaine de la virologie.

Une hypothèse a longtemps tenu le haut du pavé : il s’agissait d’une infection virale.

Puis plusieurs cas d’adultes ont été investigués et ont abouti au diagnostic d’une « nouvelle » maladie : l’encéphalite limbique avec anticorps anti-récepteur N-méthyl-D-aspartate[5].

Cette appellation très longue décrit une maladie dans laquelle des anticorps du système immunitaire s’attaquent à des cellules du cerveau, les récepteurs NMDA.

« Nouvelle »… pas parce qu’elle est apparue récemment, mais parce que son identification toute récente permet de comprendre, rétrospectivement, la plupart des cas dits de « possession ».

Il s’agit donc d’une maladie auto-immune, c’est-à-dire d’une maladie caractérisée par la production d’anticorps par le corps, contre lui-même, qui aboutirait à une inflammation générale du cerveau.

Les premiers signes de la maladie font penser à une grippe… ou au Covid-19 !! Maux de tête, fièvre, difficultés à respirer. C’est pourquoi la recherche a d’abord pensé à un virus, et a investigué du côté des poumons.

Ces signes peuvent se produire plusieurs semaines, voire plusieurs mois, avant la phase plus critique de la maladie[6].

Puis viennent les symptômes caractéristiques, la plupart de façon brusque : changement de comportement, agressivité, paranoïa, psychose, mais aussi crises convulsives, troubles du langage, perte de mémoire, grimaces incontrôlées

C’est une maladie spectaculaire, donc.

Qui touche pour majeure partie les très jeunes adultes (âge moyen des malades : 21 ans) mais dont 80 % des patients se remettent au bout de deux ans.

Dans de rares cas, les patients atteints présentent une tumeur, qui peut être facilement extraite.

Les premiers signes d’alerte sont des troubles du comportement, de plus en plus « asociaux » et psychotiques.

Dans un livre publié en début d’année, un neurologue français, le Dr Laurent Vercueil, identifie environ 1 500 cas « officiels » depuis l’identification de la maladie[7].

Il revisite aussi les cas documentés de possession à la lumière de ces progrès médicaux, et en conclut que de nombreux « possédés » conduits autrefois par centaines au bûcher… étaient vraisemblablement atteints de cette maladie auto-immune.

L’Exorciste n’aurait pas dû être un prêtre mais un neurologue…

Si de tels cas surviennent dans votre entourage… vous savez à quoi vous en tenir !

Portez-vous bien,

Rodolphe


[1] Dr VERCUEIL Laurent, La Belle au bois dort-elle vraiment ? Humen sciences, Paris, pp.73-74

[2] « Feeling Devilish? TryThe Exorcist », Strange Magazine, Issue 20, disponible en ligne sur ce lien : http://www.strangemag.com/exorcistpage1.html

[3] Propos recueilli par Valentin FAUVEAU, « Le prêtre qui fait plus de 1000 exorcismes par an », juillet 2018 sur lemondedesreligions.fr, disponible ici :

http://www.lemondedesreligions.fr/une/le-pretre-qui-fait-plus-de-1000-exorcismes-par-an-11-07-2018-7372_115.php

[4] SEBIRE Guillaume, In Search of Lost Time From « Demonic Possession » to Anti-N-Methyl-D-Aspartate Receptor Encephalitis, January 2010, Annals of Neurology, 67(1):141-2, disponible ici :

https://www.researchgate.net/publication/41579603_In_Search_of_Lost_Time_From_Demonic_Possession_to_Anti-N-Methyl-D-Aspartate_Receptor_Encephalitis

[5] Josep DALMAU, Erdem TUZUN et al., « Paraneoplastic anti-N-methyl-D-aspartate receptor encephalitis associated with ovarian teratoma », Annals of Neurology, vol. 61, no 1,‎ 2007, p. 25–36. (PMID 17262855PMCID 2430743DOI 10.1002/ana.21050)

[6] Josep DALMAU, Amy J GLEICHMAN et al., « Anti-NMDA-receptor encephalitis: Case series and analysis of the effects of antibodies », The Lancet Neurology, vol. 7, no 12,‎ 2008, p. 1091–8. (PMID 18851928PMCID 2607118DOI 10.1016/S1474-4422(08)70224-2)

[7] Dr L. Vercueil, op.cit., p. 83