Chers amis,

Cet été est celui de la colère.

La colère contre le pass sanitaire pour les uns (j’en fais partie)… et la colère contre les opposants au pass sanitaire pour les autres !

Avant de prendre quelques jours de repos, j’ai vu s’exprimer ces colères de part et d’autre de mon propre réseau, et jusque dans les commentaires à mes lettres.


Une manifestation contre le pass sanitaire, samedi 7 août dernier

Les manifestations du week-end dernier avaient pour mot d’ordre : « liberté ! ».

Je vous avoue que ça n’est pas sans frisson que j’ai entendu ce mot scandé dans les cortèges.

La privation de liberté, décrétée sous des motifs discutables sinon fallacieux, est une source légitime de grande colère.

Mais que faire de cette colère ?

Il est très facile, et périlleux, de la laisser nous envahir de façon destructrice.

Comment la transformer en quelque chose de positif, de constructif ?

Une émotion censurée

La colère est une émotion ressentie comme négative, souvent mal perçue et associée à la violence.

Pourtant, l’expression de votre colère lorsque vous vous sentez offensé est naturelle… et bénéfique.

Mais nous avons le plus souvent appris, dès notre plus jeune âge, qu’il ne fallait surtout pas l’exprimer.

Des études de sociologie[1] montrent que cette répression de la colère est d’autant plus forte chez les petites filles, chez qui cette émotion est traditionnellement très mal perçue, alors qu’elle peut être au contraire approuvée et encouragée chez les garçons au nom de la « virilité » !

C’est vrai que quand ils sont en colère, les enfants tapent du pied, hurlent, se roulent par terre…

Des comportements très irritants pour les parents !… qui peut les pousser à se mettre eux-mêmes en colère !

Mais en les réprimant, l’enfant se met à croire que cette émotion n’est pas valide.

Pour continuer d’être aimé, il ne s’autorise plus à l’exprimer.

Ni même à jurer quand il a mal !

Résultat : une fois adulte, il ne parvient plus à comprendre, exprimer sainement et évacuer sa colère.

Or, le fait de jurer a bel et bien un effet non seulement pour calmer sa colère, mais aussi sa douleur. Qu’elle soit physique ou psychique.

Les gros mots soulagent de la frustration… et de la douleur !

Lâchez-vous spontanément un gros mot lorsque vous vous cognez un orteil contre le pied de la table basse ?

Et si quelqu’un vous bouscule sans s’excuser, sentez-vous monter en vous comme une chaleur qui ne demande qu’à exploser et vous étouffez un juron contre le maladroit ?

C’est tout à fait normal, et même sain.

Des neurologues ont montré que ces jurons que nous prononçons de manière réflexe en cas de soudain coup de colère, sont traités dans une aire du cerveau distincte de celles habituellement dédiées au langage[2] (l’aire de Wernicke pour la compréhension ; l’aire de Broca pour la prononciation, toutes deux situées dans l’hémisphère gauche).

Ces gros mots prononcés de manière automatique sont produits dans un circuit cérébral totalement différent de celui dédié au langage rationnel : dans « les ganglions de la base », qui font partie du système limbique, siège de nos émotions situé dans l’hémisphère droit.

C’est d’ailleurs cette région du cerveau qui dysfonctionnerait chez ceux qui souffrent du fameux syndrome Gilles de la Tourette, un trouble neurologique très handicapant qui fait dire des insultes de manière obsessionnelle et totalement involontaire aux malades[3].

Ce circuit cérébral primitif, ancestral et profondément enfoui dans notre cerveau, qui nous ferait ainsi jurer spontanément, avant même d’avoir eu le temps de conscientiser notre colère.

Et ces gros mots sont très utiles.

Ils nous servent de « décharge émotionnelle », nous soulagent de la frustration, bien sûr, mais aussi de la douleur !

En 2009, Richard Stephens, docteur en psychologie à l’université de Keele, en Angleterre, a dirigé une expérience durant laquelle deux groupes de participants devaient plonger leur main dans une eau glaciale[4].

Les membres du premier groupe devaient répéter un mot « neutre » tout en laissant leur main dans l’eau le plus longtemps possible, tandis que les membres du second groupe devaient faire la même chose, tout en répétant un « gros mot ».

Résultat : ceux à qui on avait dit de dire un gros mot ont déclaré avoir eu moins mal que les autres… et ont réussi à laisser leur main dans l’eau gelée pendant en moyenne 1 minute de plus !

En observant le cerveau des participants au scanner, les chercheurs ont constaté que l’activation des ganglions de base lorsque vous prononcez un gros mot sécrète en effet un antidouleur naturel : l’endorphine.

Un signal essentiel

Mais qu’est-ce réellement que la colère ?

C’est un signal d’alarme qui nous informe qu’un ou plusieurs de nos besoins ne sont pas comblés.

Contrairement à la tristesse, qui peut aussi nous accabler lorsque nous sommes témoins d’une injustice, la colère ne pousse pas au repli sur soi

Elle nous pousse à sortir de nos gonds… ou dans la rue !

Plus qu’un état subi, c’est d’ailleurs une émotion active : on « se met » en colère, alors qu’on ne se met jamais en tristesse.

Elle ne réduit pas non plus notre vitalité contrairement à la tristesse, mais au contraire nous dynamise !

Une « bombe » d’énergie

Une récente étude espagnole[5] a montré que la colère provoque de nombreuses modifications physiologiques et mentales importantes, préparant le corps au mouvement et à la réaction :

  • Une accélération du rythme cardiaque et un afflux de sang, notamment dans la partie supérieure du corps, ce qui peut colorer votre peau. Vous ressentez ainsi un réchauffement de tout le corps et le besoin d’agir ;
  • La respiration devient ample et rapide, ce qui cause notamment la hausse involontaire du volume sonore lorsque vous parlez ;
  • Un resserrement des mâchoires, donnant une expression dure au visage, et une dilatation des narines, pour s’adapter à un flux d’air plus important ;
  • Une contraction involontaire du corps dans son ensemble et en particulier des mains, qui tendent alors à se fermer en poing, ainsi que du visage dont les sourcils se froncent;

Qu’il s’agisse d’une offense ressentie vis-à-vis d’un individu ou d’une indignation collective plus politique, la colère nous fournit donc le surplus d’énergie nécessaire pour faire entendre ce qui a été blessé en nous, demander réparation, et rétablir l’équilibre.

Parfois on peut aussi être en colère contre soi-même : c’est alors une invitation à ne pas reproduire les mêmes erreurs.

Chaque fois, trois réactions s’offrent à nous face à la colère : refouler, exploser ou nous affirmer.

Les dangers de la colère rentrée

« C’est la colère refoulée qui donne naissance aux explosions de violence et non la colère gérée », explique la psychothérapeute Claudia Rainville.

La colère rentrée et ravalée, infuserait donc comme un poison émotionnel dans notre psyché…

… jusqu’à ce que la colère non exprimée finisse par exploser !

Refouler sa colère ou la laisser exploser ne seraient en définitive que les deux revers d’une même pièce.

Comme toutes les émotions non exprimées, nous explique aujourd’hui la psychologie, la colère ravalée ne mourrait pas vraiment mais disparaitrait temporairement, avec une tendance à devenir plus vive et plus douloureuse chaque fois qu’elle resurgit.

En médecine chinoise, la colère est associée au foie.

Si la colère s’accumule en excès sans être évacuée, nous dit la médecine chinoise, elle perturbe les fonctions de drainage et de dispersion du foie, entrainant des déséquilibres tels que des céphalées, des insomnies avec ruminations, un teint rouge, des blocages physiques comme des lumbagos ou des torticolis, des tendinites, ou de l’hypertension artérielle !

La colère mal canalisée est aussi terriblement contagieuse et influence les dynamiques de groupes, montre la psychologie sociale[6].

Les personnalités colériques auraient tendance à juger plus négativement et avec plus de préjugés ceux qui ne font pas partie de leur groupe. Elles auraient même davantage tendance à rejeter la faute d’un problème sur une personne plutôt que sur les circonstances.

Cet engrenage dangereux conduirait ainsi à toujours plus de colère contre le bouc émissaire, pouvant perpétuer une spirale irrationnelle de rage… pouvant virer à la haine et à la violence physique.

Une grosse colère peut cacher une grande tristesse

Si vous êtes très colérique et que vous explosez chaque fois que vous vous sentez offensé, vous avez sans doute remarqué que votre colère vous cause en définitive plus de souffrance que les faits eux-mêmes.

Je vais vous donner dans un instant quelques astuces qui pourraient vous aider à « faire redescendre » la colère quand vous la sentez monter en vous.

Mais j’aimerais d’abord partager avec vous cette piste de réflexion qui me vient d’un ami psychologue, et qui vous sera peut-être utile.

Vous savez probablement qu’une tristesse profonde et diffuse peut masquer une très forte colère (vis-à-vis d’un agresseur par exemple), que notre inconscient garde pour lui, pour éviter de nous consumer dans une haine plus dangereuse encore.

De la même manière, la colère est parfois un mécanisme de défense qu’a mis en place notre inconscient pour nous éviter de nous engluer dans la tristesse.

Vous éprouvez peut-être de violents sursauts de colère car sinon vous seriez trop triste.

Enfin la colère peut parfois être un masque qui sert à cacher notre vulnérabilité. Selon l’éducation et les différents conditionnements qu’on a reçus enfant, il peut nous apparaître plus facile de nous mettre en colère contre quelqu’un plutôt que de lui dire qu’il nous a blessé.

Comment réguler notre colère

Si se mettre en colère est une émotion tout à fait naturelle et nécessaire, elle ne devrait idéalement être qu’un état transitoire, qu’un signal qu’un équilibre a été rompu, qu’un de nos besoins n’a pas été respecté et qu’une limite a été franchie.

Si elle peut faire peur, une colère bien comprise est le plus souvent de courte durée : ses signes s’effacent lorsque l’attention se centre sur un objet neutre et ses effets s’estompent.

“Quand vous êtes en colère, comptez jusqu’à quatre. Quand vous êtes très en colère, jurez !”, disait fort à propos l’humoriste américain Mark Twain, nous invitant à éviter d’agir dans la colère pour ne pas nous embarquer dans la tempête.

Le meilleur antidote à la colère n’est autre que la patience, et toutes les grandes traditions invitent ainsi à se garder de réagir vivement et de manière incontrôlée lorsque l’on en est colère.

« Rester en colère, c’est comme saisir un charbon ardent avec l’intention de le jeter sur quelqu’un : c’est vous qui vous brûlez », disait par exemple Bouddha.

Et quand la colère est collective, comme en ce moment ?

On le voit, le juste milieu difficile à trouver.

Il serait impensable de ne pas exprimer notre colère face à des décisions autoritaires et liberticides. Son expression est juste, et légitime.

Dans le même temps, la laisser exploser jusqu’à la violence est illégitime, et dessert la justesse de ce que nous défendons.

Mais une colère comme celle-ci est aussi un acte d’expression, qui s’adresse à un destinataire – en l’occurrence, le gouvernement et des pouvoirs étatiques.

Que se passe-t-il quand celui à qui s’adresse l’expression de colère ne l’écoute pas ou la nie ? Eh bien cette colère peut redoubler, et déborder. C’est un scénario bien connu au cours de notre histoire…

Je pense toutefois qu’il nous appartient de faire garder à cette colère une forme pacifique, argumentée et déterminée.

8 techniques pour faire redescendre la colère

Quelques conseils d’ordre plus intime et domestique, à présent.

La colère apparaît spontanément, et il est illusoire de vouloir totalement « la contrôler ».

Vous pouvez cependant choisir ce que vous faites quand elle est là, et éviter de blesser verbalement ou physiquement votre interlocuteur.

Voici 8 techniques qui je crois pourront vous être utiles pour calmer la tempête si vous ressentez souvent des sursauts de colère :

  • Mordez votre lèvre inférieure : cette technique toute bête et immédiatement applicable va vous permettre de faire un retour sur vous-même et sur vos sensations, et cela vous calme directement.
  • Pensez « Je suis en colère parce que… » : marquer un temps d’arrêt en tâchant de discerner et de formuler la raison de votre colère va vous aider à réactiver les parties rationnelles de votre cerveau et vous éviter une réaction émotionnelle incontrôlée.
  • Respirez lentement et profondément : concentrez-vous sur le mouvement de votre ventre quand vous inspirez et expirez, et essayez d’expirer pendant le double de temps afin de dissiper l’excès d’énergie.
  • Relâchez vos tensions physiques : asseyez-vous sur une chaise, contractez tous les muscles de votre corps pendant 10 secondes, puis relâchez tout votre corps en expirant. En faisant redescendre vos épaules et en relâchant vos poings, l’énergie qui est montée vers le haut de votre corps va tranquillement redescendre.
  • Cherchez un trait d’humour : si vous y parvenez, trouver une manière comique d’envisager la situation au travers est une excellente manière de faire redescendre immédiatement la colère et désamorcer tout conflit naissant.
  • Trouvez un objet pour canaliser votre colère : en cas de gros coup de colère, cela peut vous aider de trouver un moyen d’évacuer l’émotion d’une manière qui limite les dommages aux autres, par exemple en déchirant un journal, en tapant ou en criant dans un oreiller ;
  • Activez-vous: des activités de diversion, comme la danse sur une musique rythmée, prendre une douche relaxante, écrire ou dessiner peuvent vous aider à prendre du recul par rapport à la situation.
  • Méditez : voici une technique de méditation dite « de la bienveillance » que m’a présentée la naturopathe Anne Portier, qui s’avère redoutable pour calmer votre colère et pour résoudre les conflits, même ceux qui durent depuis longtemps.
    Faites chaque étape durant 3-5 minutes :
  1. Fermez les yeux, mettez vos mains sur votre cœur et pensez à une personne que vous aimez : envoyez-lui de l’amour, de la bienveillance, et même de l’énergie lumineuse si vous êtes habitué à pratiquer la visualisation ;
  2. Faites de même avec une personne qui vous est indifférente, que vous croisez parfois mais pour qui vous n’avez aucun intérêt. À nouveau, envoyez-lui de la bienveillance et toute votre énergie lumineuse ;
  3. Pensez maintenant à la personne avec qui vous êtes en colère. Envoyez-lui toute votre bienveillance, tout le bonheur de la Terre. En ayant réalisé les deux étapes préalables, vous devez être en mesure de vous plonger dans un état de bienveillance malgré la colère que vous éprouvez.

S’affirmer sans attaquer

Une fois que vous aurez retrouvé le calme, vous pouvez communiquer les causes de votre courroux à votre interlocuteur.

Plutôt que de refouler ou d’exploser, s’affirmer consiste à exprimer à l’autre ce qui vous a blessé… sans pour autant l’attaquer mais en mettant en avant une demande qui permettrait de rétablir l’équilibre rompu.

Vous pouvez pour cela recourir à la communication non-violente (CNV), telle que théorisée dans les années 1970 par le psychologue américain Marshall B. Rosenberg :

  1. Évacuez tous les reproches qui vous viennent à l’esprit. Acceptez-les car ils expriment (certes, de façon maladroite) vos besoins insatisfaits. Par exemple : « il est malhonnête », « il ne m’écoute pas »…
  2. Essayez d’identifier les besoins non satisfaits en lien avec la situation. Par exemple, si vous vous plaignez que votre interlocuteur est « égoïste », c’est que vous avez un besoin de partage et d’être pris(e) en compte.
  3. Cherchez les demandes/les solutions qui pourraient satisfaire ces besoins. Pensez bien à utiliser un langage positif et à traduire votre demande en actes concrets et réalistes.
  4. Si nécessaire, exprimez cette demande. Par exemple : « Quand tu laisses tes affaires éparpillées, je me sens tendu(e) car j’ai besoin que mon environnement soit ordonné. Peux-tu prendre le temps de ranger tes affaires dès que tu as fini de t’en servir s’il te plaît ? »

L’idée est d’aborder vos sentiments à vous, et de vous exprimer à la première personne (« Je trouve que… », « J’ai ressenti comme une injustice… »), plutôt qu’en assénant des jugements absolus (« Tu es égoïste ! »).

En vous donnant l’opportunité d’exprimer sainement votre colère et d’écouter en retour les explications de votre interlocuteur, vous vous donnez une chance d’accéder à l’antidote ultime de la colère : le pardon !

N’hésitez pas à partager en commentaire de cette lettre vos moyens à vous de canaliser votre colère, je les découvrirai avec grand intérêt.

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet


[1] Devlin, H. (12.05.2019). Science of anger: how gender, age and personality shape this emotion. Theguardian.com. https://www.theguardian.com/lifeandstyle/2019/may/12/science-of-anger-gender-age-personality

[2] Le Temps. Que se passe-t-il dans notre cerveau quand nous jurons? https://www.letemps.ch/node/1198306

[3] Walkup J T, Mink J W, & Hollenback P J, (eds). (2006). Advances in Neurology, vol. 99, Tourette Syndrome. Lippincott, Williams & Wilkins: Philadelphia, PA, p. XV

[4] Stephens R, Atkins J, Kingston A. (2009). Swearing as a response to pain. Neuroreport. 5;20(12):1056-60. doi: 10.1097/WNR.0b013e32832e64b1. PMID: 19590391.

[5] Herrero N, Gadea M, Rodríguez-Alarcón G, et al. (2010). What happens when we get angry? Hormonal, cardiovascular and asymmetrical brain responses ». Hormones and Behavior 57: 276. DOI:10.1016/j.yhbeh.2009.12.008

[6] Devlin, H. (12.05.2019). Science of anger: how gender, age and personality shape this emotion. Theguardian.com. https://www.theguardian.com/lifeandstyle/2019/may/12/science-of-anger-gender-age-personality