Chers amis,

Tout récemment, un ami de longue date, observant ma calvitie galopante, me demandait pourquoi je ne cherchais pas à la ralentir, ni même à l’inverser.

« Avec toutes les solutions naturelles que tu connais, il doit bien y en avoir une pour stopper la chute de tes cheveux et même les faire repousser ! »

Je lui répondis qu’il y en avait effectivement, et même plusieurs – mais que je ne désirais pas les employer.

Mon ami (qui se reconnaîtra) eut du mal à me croire. « Tu ne vas pas me dire que tu entends continuer à perdre tous tes cheveux sans rien faire ?? »

Eh bien… si.

J’eus toutefois du mal à le convaincre que je préférais ne rien faire.

D’abord, parce que j’ai bien assez de travail et d’occupation comme cela pour ne pas en plus m’encombrer la tête de la meilleure façon de faire pousser des cheveux dessus !

Mais, surtout, parce que… c’est très bien ainsi – et peut-être même mieux.

La boule à 2 euros

Plus jeune, j’étais très chevelu :

Et puis, quand j’avais 25 ans, un coiffeur me dit tout à trac : « vous serez chauve avant 30 ans ».

Sur le coup, je fus choqué. Mais pas surpris : l’un de mes grands-pères était devenu chauve très jeune. Il va sans dire que je l’ai toujours connu ainsi. Et cela ne me choquait pas, enfant.

Ce coiffeur avait un peu trop joué les Cassandre : à 30 ans, je n’étais toujours pas chauve… mais je commençais à me dégarnir, c’est vrai.

J’en avais cependant pris mon parti et décidé que je me raserais le crâne le jour où j’aurais vraiment moins de cheveux sur le caillou. J’aime les choses tranchées !  

La toute première fois que je franchis le pas, je me trouvais au Kosovo (je vous raconterai peut-être pourquoi un jour).

Je me rappelle très bien, un jeune homme me tondit complètement pour la modique somme de 2 euros et j’appréciai ma nouvelle tête dans le miroir avec un mélange de fascination et… je l’avoue, de fierté.

Lorsque je quittai ce petit salon du sud du Kosovo, les gens commencèrent à m’appeler « Zidane ! Zidane ! » (c’était peu de temps après la coupe du monde).

Mais il y a deux autres choses qui me frappèrent encore plus.

La première, c’est la délicate sensation du vent sur mon crâne nu. C’est comme si j’étais à la tête (ah, ah) d’un nouvel organe sensoriel. Ce fut une expérience extraordinaire.

La seconde, c’est que, me découvrant pour la première fois ainsi rasé, des femmes me firent un compliment que je n’aurais jamais imaginé : « tu as un beau crâne ! »

D’un défaut menaçant, d’un complexe possible, j’avais fait sinon une qualité, du moins une caractéristique contre toute attente plaisante pour moi, et pour d’autres.

Les lauriers de César

Depuis, j’ai appris que la fameuse couronne de lauriers de César, indissociable de l’image d’Épinal du général romain, lui venait… de sa calvitie.

La couronne de lauriers était utilisée dans la République romaine pour les triomphes : les généraux paradaient avec dans les rues de Rome au retour de campagnes victorieuses.

Mais Jules César en bouleversa complètement l’usage.

Pourquoi ? Parce qu’à Rome, dans l’antiquité, la chevelure était un attribut majeur de beauté et de virilité.

Or, César perdait ses cheveux. Selon les canons de la beauté de l’époque, la calvitie était laide et honteuse !

J’ignore si Jules César tenta de faire repousser ses cheveux, mais il eut une idée à la postérité infiniment plus féconde, comme le raconte Suétone dans La Vie des douze Césars :

« Il souffrait beaucoup de sa calvitie, ayant éprouvé que ses ennemis en faisaient un objet de plaisanteries. Aussi avait-il coutume de faire revenir sur son front le peu de cheveux qu’il avait et, de tous les décrets que prirent en son honneur le Sénat et le Peuple, aucun ne lui fut plus agréable et dont il profitât plus volontiers que celui qui lui donnait le droit de porter constamment une couronne de laurier. [1] »

Ainsi, la couronne de lauriers est-elle devenue l’emblème du pouvoir impérial romain… parce que César souhaitait dissimuler sa calvitie !  

À défaut de faire taire les canons de beauté, détournez-les !

Jules César, en cherchant à cacher un complexe, créa un emblème dont le port fut ensuite convoité par tous les ambitieux de Rome.

De ce qui était considéré comme une faiblesse, Il fit une force.

Nous avons tous ce que nous considérons comme des points faibles et des points forts.

Mais d’une part, le regard que vous portez sur vos « faiblesses » est influencé par votre expérience, votre entourage, et ne reflète pas nécessairement ce que des personnes neutres en pensent.

L’une de mes toutes premières petites amies avait un long et grand nez. Elle ne me croyait pas lorsque je lui disais que c’était ce qui donnait de la force et du caractère à son visage. Je n’étais pourtant pas le seul à le lui dire.

Mais nous étions des adolescents, cet âge où une moquerie, une remarque assassine, sont capables d’empoisonner et de fausser durant des années votre estime de soi.

Mais d’autre part, il nous appartient de faire de ce point faible, qui nous fait honte ou nous complexe, une force – comme le fit Jules César.

Un excès de poids, chez une femme, peut se traduire par des formes voluptueuses. Si vous cherchez à vous habiller comme une femme mince, il y a des chances que vous vous exposiez aux regards désobligeants des tenants de canons de beauté actuels.

En revanche, si vous assumez vos formes et cherchez à les mettre en valeur, la donne change complètement.

Vous connaissez peut-être l’histoire de cette mannequin, Ashley Graham, qui figurait avec d’autres mannequins « grande taille » dans une vidéo rendant hommage aux femmes rondes… vidéo censurée sur les chaînes de télé américaines il y a cinq ans, ce qui avait créé une vague d’indignation.

Dans le monde de la mode, obnubilé par la minceur au point de rendre anorexiques des centaines de jeunes filles, Ashley Graham a débarqué comme un chien dans un jeu de quilles.

Car non seulement elle commença à faire la une des magazines de mode, mais plusieurs grandes marques de prêt-à-porter se mirent à la solliciter pour en faire leur égérie.

Finalement, elle crée depuis quelques années ses propres lignes de lingerie, de maillots de bain et de vêtements.

Pour réussir cela, elle ne s’est pas forcée à maigrir pour ressembler au tout-venant du mannequinat : elle a au contraire assumé sa propre silhouette.

Elle a fait de sa rondeur, a priori une faiblesse dans le milieu de la mode… une force, qui a changé le monde de la mode lui-même.

Il n’y a pas que le physique dans la vie

Les « success stories » de Jules César et d’Ashley Graham sont parties de caractéristiques physiques qui les ont, ou qui auraient pu, les complexer.

Mais cultiver ses défauts pour en faire des qualités dépasse évidemment la seule question de l’apparence.

Les points faibles et les points forts de votre caractère, de votre tempérament et même de votre intelligence, sont avant tout une question de point de vue…

… et ensuite une question de ce que vous en faites

Reconnaître un « défaut » demande beaucoup de travail sur soi, du courage et aussi une certaine dose d’auto-dérision.

Mais tirer de ce défaut une qualité est également possible, et plus facile qu’on ne le croit.

Une personne gravement désordonnée n’a que deux options pour « dépasser » son défaut :

  • Soit se faire violence et apprendre l’ordre – c’est une question de discipline ;
  • Soit développer des capacités de mémoire accrues qui lui permettront de retrouver rapidement ce qu’elle cherche dans son désordre.

Or, cette capacité de mémoire sera bonne à bien d’autres choses dans la vie quotidienne, et même… pour maintenir son cerveau plus jeune !

Une personne maladivement timide n’a que deux options pour « dépasser » son défaut :

  • Soit se « forcer » à aller vers les autres, au risque d’être gauche et de se sentir mal les premières fois, mais cela s’apprend, bon an mal an ;
  • Soit trouver sa propre façon de nouer des contacts avec les gens, qui ne ressemblent qu’à elle.

C’est pourquoi des grands séducteurs, ou des personnes réputées pour leur humour, sont en réalité de grands timides : c’est la façon d’être avec autrui qu’ils ont développée pour dépasser leur timidité initiale.

On peut faire ça, j’en suis certain, avec presque tout ce qui est défini comme un défaut dans notre société contemporaine, que ce défaut soit physique ou psychique :

  • Les personnalités paresseuses sont aussi souvent les personnes les plus efficaces… quand elles s’y mettent ;
  • Les personnes plus petites que la moyenne apprennent très tôt à se mettre en avant (exemple le plus célèbre : Napoléon !) ;
  • Les bègues et les grands nerveux sont aussi capables d’être de grands orateurs (voyez le comédien Vincent Lindon, agité de tics nerveux quand il ne joue pas… mais acteur réputé sur scène et sur les plateaux, où ses tics disparaissent immédiatement) [2];
  • Etc.

C’est littéralement ce qu’on appelle avoir les qualités de ses défauts !

Au lieu de souffrir de ses défauts toute sa vie, il est plus profitable de les regarder en face et de trouver un moyen, frontal ou détourné, pour en faire une qualité à part entière.

Ce faisant, non seulement on s’épargne le complexe de ne pas correspondre à quelque norme ou canon du temps présent, mais on est davantage en accord avec soi-même, plus authentique, plus heureux. 

Je suis sûr que des exemples vous viennent à vous aussi, tirés de votre propre expérience : n’hésitez pas à les partager en commentaire de cette lettre.

Portez-vous bien.

Rodolphe Bacquet

P.-S. : je ne garde pas les cheveux complètement rasés toute l’année : je les ai un peu plus longs à la saison froide, pour ne pas m’enrhumer, et je réadopte la boule à zéro au retour des beaux jours.

Je suis habitué aux plaisanteries de mes proches et de mes collègues dès que je reviens la boule à zéro : « alors ? tu rentres dans un ashram ? »

Et c’est, au final, le rire avec lequel j’accueille ces remarques qui rend si lointain et étrange mon complexe initial de devenir chauve !