Chers amis,

On ne peut pas dire que la charcuterie soit bonne pour la santé.

Une étude très médiatisée en 2015 l’a confirmée : la charcuterie ferait partie des aliments cancérogènes[1].

D’après ce rapport, 50g de charcuterie par jour augmenterait de 18% le risque de cancer du côlon. 

En cause notamment : les procédés de transformation des viandes par l’industrie agro-alimentaire (j’y reviens dans un instant).

Un an plus tard, rebelote : une enquête du magazine télévisé Cash Investigations[2] intitulée « pourquoi le jambon est-il si rose ? » et suivie par près de 3 millions de téléspectateurs, dénonce le principal additif coupable dans les charcuteries : les nitrates !

Une bonne tranche de jambon de Bayonne, ça ne se refuse pas

Conséquence de ces deux révélations médiatiques pour l’industrie de la charcuterie : des ventes en baisse constante.

« Tant mieux », penseront certains, « de toute façon la charcuterie, ce n’est pas bon pour la santé ».

C’est plus compliqué que ça.

Car il n’est pas normal qu’un jambon ou un saucisson soit associé à un risque de cancer.

Moi qui ai des racines béarnaises par mon père, je peux vous avouer que j’ai beaucoup de mal à résister à une bonne tranche de jambon de Bayonne. Nos aïeux consommaient des jambons du terroir sans mettre leur santé en péril !

Le nitrate : un coupable facile à identifier…

Si la charcuterie en général et le jambon en particulier peuvent être cancérogènes, c’est lié à l’emploi de nitrates et de nitrites (ne cherchez pas : c’est à peu près la même chose).

Les industriels emploient nitrates et/ou nitrites pour empêcher le développement de la bactérie liée au botulisme. Les nitrates accélèrent en outre le processus de maturation de la viande crue séchée.

Il y a donc, historiquement, une raison précise à leur emploi.

Or ce sont les nitrites et les nitrates qui donnent leur couleur rose au jambon.

A l’état « naturel » (une salaison à l’ancienne, donc), un jambon oscille entre le blanc et le gris. Exactement comme pour un rôti de porc… ce qui ne choque personne.

Les nitrites et les nitrates ont donc « habitué » les consommateurs, depuis un demi-siècle, à ce qu’un jambon « normal » soit rose !

Je dois ici préciser que les nitrites et les nitrates ne sont pas dangereux en soi pour la santé. Je vous invite à lire ou relire notre article « les nitrates, diabolisés hier, prescrits demain ? » dans Alternatif Bien-Être n°130.

Le problème, c’est la « rencontre » entre les nitrates et d’autres substances de la viande : cette rencontre forme des nitrosamines et du fer nitrosylé… et ce sont eux qui peuvent accélérer le développement du cancer.

Mais alors, si on supprime les nitrates des jambons ?…

Quand on supprime les nitrates et les nitrites des charcuteries, l’effet « accélérateur de cancer » disparaît[3].

Les jambons « bio » en utilisent moins (la réglementation européenne les limites à 80 mg/kg, tandis que les jambons « pas bio » peuvent aller jusqu’à 150 mg/kg)… mais concernant les nitrates, un peu plus ou un peu moins ne fait pas de différence, en réalité !

Le seul critère valable, c’est leur présence, ou leur absence !

Bref, il suffirait de fabriquer et vendre du jambon sans aucun nitrate.

Mais ce n’est pas si facile car un jambon sans nitrates, c’est :

  • Un jambon pas rose, donc pas appétissant selon nos habitudes ;
  • Un jambon qui mature beaucoup plus lentement, donc plus long à produire ;
  • Un jambon qui se conserve beaucoup moins longtemps.

Sur le papier, l’industrie agro-alimentaire est largement perdante.

Cependant, cette même industrie a compris que le « sans nitrite » était aussi un bon concept marketing.

« Jambon sans nitrite » ? Ben voyons…

Des poids lourds du domaine, Fleury Michon et Herta, ont lancé il y a deux ans des jambons estampillés respectivement « sans sel nitrité » et « conservation sans nitrite ».

Wahou ! les grandes marques ont donc réussi ??

NON.

Ces marques ont contourné le problème.

Fleury Michon n’ajoute pas de sel nitrité, c’est vrai, mais ajoute à ses jambons des jus de légume, notamment de céleri[4].

Or, que contient naturellement le céleri ? je vous le donne en mille : du nitrate.

Vous vous retrouvez donc face à un produit alléguant fièrement son absence de nitrites ajoutés… mais contenant quand même du nitrate – mais attention, du nitrate « naturel » !

Malheureusement, naturel ou chimique, le nitrate reste le nitrate !

Dans les faits, il est très difficile de se passer des nitrates dans la confection de jambon à l’échelle industrielle.

Et le bio, alors ?

En scrutant les étiquettes de jambons estampillés bio, j’ai retrouvé dans la plupart des nitrites, des nitrates ou du sel nitrité.

Ce n’est pas très étonnant : la législation européenne permet l’emploi d’une trentaine d’additifs dans la filière bio… dont les nitrates et les nitrites[5].

Le cochon dont vient votre jambon peut donc avoir été élevé en plein air, nourri sans OGM… et bel et bien contenir des nitrates au final.

J’ai réussi à trouver deux exceptions.

La charcuterie bio Rostain propose depuis 2016 des jambons bio sans nitrite[6] (mais attention la même marque en propose aussi avec nitrites : lisez donc bien l’étiquette pour choisir !) : www.rostainbio.fr

Le réseau Biocoop propose depuis 2017 un jambon blanc « sans sel nitrité » et sans ajout de jus « au nitrate » comme le céleri : https://drive.biocoop-rouen.fr/jambon-blanc-sans-sel-nitrite-4-180g_8029.html

Kit de survie au rayon charcuterie

Je résume : à moins d’aller chez un tout petit producteur (et encore) vous ne trouverez pas de jambon dépourvu d’additif.

Un bon critère de qualité (outre l’alimentation et le mode d’élevage du cochon) est la présence de moins de trois additifs.

Le jambon Rostain dont je vous parlais plus haut par exemple n’en contient qu’un seul, par ailleurs inoffensif (E301, ascorbate de sodium). C’est rarissime.

Les nitrites, nitrates et sels nitrités répondent aux noms de code E249, E250, E251 et E252. Ils sont à proscrire si vous y arrivez.

Pour le reste privilégiez les produits sans OGM, peu gras et peu salés… et autant que possible ayant l’appellation « supérieure[7] »

Ces jambons valent plus cher, voire beaucoup plus cher que les jambons transformés classiques.

Mais comme la consommation de jambon, de toutes façons, doit rester exceptionnelle dans notre alimentation, selon moi autant y mettre le prix.

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet


[1] Bouvard (V.) et al.« Carcinogenicity of consumption of red and processed meat », The Lancet Oncology, 26 octobre 2015, vol. 16, no 16, pp. 1599-1600, consulté en juin 2019, disponible sur https://doi.org/10.1016/S1470-2045(15)00444-1

[2] « VIDEO. « Cash Investigation » : pourquoi le jambon est-il si rose ? », France Info, mardi 13 septembre 2016, consulté en juin 2019, disponible sur https://www.francetvinfo.fr/france/cash-investigation-pourquoi-le-jambon-est-il-si-rose_1823381.html

[3] Santarelli (R L) et al., « Meat processing and colon carcinogenesis: cooked, nitrite-treated, and oxidized high-heme cured meat promotes mucin-depleted foci in rats », Cancer Prevention Research, juillet 2010, vol. 3, no 7, consulté le 28 juin 2019, disponible sur https://doi.org/10.1158/1940-6207.CAPR-09-0160

[4] « Jambon le supérieur cuit à l’étouffée », Fleury Michon, consulté le 28 juin 2019, disponible sur https://www.fleurymichon.fr/produit/jambon-le-superieur-cuit-letouffee-5

[5] « Règlement (CE) n°  834/2007 du Conseil du 28 juin 2007 relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques et abrogeant le règlement (CEE) no 2092/91 », Journal officiel de l’Union européenne (European Union Law), OJ L 189, 20 juillet 2007, pp. 1–23. Special edition in Croatian: Chapter 15, vol. 008, pp. 139-161. Consulté  le 28 juin 2019, disponible sur http://data.europa.eu/eli/reg/2007/834/oj

[6] « Jambon cuit supérieur sans nitrite ni nitrate ajoute – Rostain – 90 g », Open Food Facts, consulté le 28 juin 2019, disponible sur https://fr.openfoodfacts.org/produit/3507170902082/jambon-cuit-superieur-sans-nitrite-ni-nitrate-ajoute-rostain

[7] Celle-ci garantit le plus souvent l’absence de polyphosphates et de gélifiants, autres additifs problématiques dans le jambon.