Chers amis,
Un doux-amer parfum sulfureux se dégage de l’absinthe, qui reste associée aux rêveries parfois torturées de Baudelaire, Rimbaud, Toulouse-Lautrec et Van Gogh.
Mais il y a absinthe et absinthe : il y a la plante, et la « fée verte ».
Sur l’une comme sur l’autre, il y a eu beaucoup de malentendus.
— « Venez-vous la prendre ? » dit Regimbart.
— « Prendre qui ? »
— « L’absinthe ! »
(Flaubert, L’Éducation sentimentale)
Commençons par les raisons du malentendu : la liqueur.
La liqueur d’absinthe, qui a par raccourci pris le nom de la plante, en a conduit beaucoup à jeter le bébé (la plante) avec l’eau du bain (la liqueur).
Or cette liqueur était-elle aussi démoniaque qu’on l’a dit tout au long du XXème siècle, durant lequel elle fut interdite ?
Il y a tout un rituel assez pittoresque associé à l’absinthe, et qui a participé à son succès.
J’en ai bu, pour la toute première fois, dans le sous-sol d’un bar à Prague en 2007 : j’avais le sentiment de braver un interdit (elle n’était pas encore réautorisée en France) et, surtout, d’être initié à une étrange cérémonie.
On installa en effet sur la table une fontaine à robinet, sous lequel on plaça mon verre rempli d’absinthe, surmonté d’une cuillère percée ouvragée : le sucre placé sur cette cuillère se fondait, par le goutte à goutte, dans l’alcool pour en réduire l’amertume.
C’était très bon, mais moi qui m’attendais à vivre une expérience transcendantale et hallucinatoire, je fus déçu : je rangeais l’absinthe au rayon du folklore Art nouveau. Mais j’avais tort.
On doit la recette de la distillation de l’absinthe, associée à de l’anis et du fenouil – selon les versions – à un médecin français, le docteur Pierre Ordinaire, ou à une herboriste suisse, Henriette Henriod, à la fin du XVIIIè siècle.
Autrement dit, c’était un breuvage médicinal !
L’absinthe, la grande absente
D’emblée on remarque donc que, quel que soit son inventeur réel, le spiritueux a un lien étroit avec la santé ; j’y reviendrai dans un instant.
Tout au long du XIXè siècle l’absinthe – l’alcool – grandit en popularité et est rapidement associée au monde de l’art, ce qui tient vraisemblablement à sa teneur en thuyone, une huile essentielle hallucinogène.
Mais elle est aussi appréciée par les colons français en Algérie, qui la plébiscitent pour lutter contre la dysenterie et la malaria.
Ce succès fait exploser sa production : elle devient plus abordable, et donc plus démocratisée que jamais.
Devenue la boisson alcoolisée populaire par excellence, on ne tarde pas à l’accuser de tous les maux.
Les ligues anti-alcooliques demandent l’interdiction dès la fin du XIXè siècle de « l’absinthe qui rend fou » : ils obtiennent gain de cause en Suisse en 1905, suite à l’émotion provoquée par l’assassinat d’une femme et de ses enfants par un mari ivre d’absinthe.
Quelques années plus tard, la France l’interdit à son tour.
Pendant un siècle, dans le Val-de-Travers en Suisse – le berceau de l’absinthe – on continua clandestinement à distiller de l’absinthe, et ces particuliers, qui faisaient fréquemment les frais de descentes de police, furent considérés comme des résistants.
Assez ironiquement c’est un président français qui relança malgré lui le débat sur l’interdiction de l’absinthe : en 1983, François Mitterrand est en voyage officiel dans le canton de Neuchâtel (dont dépend le Val-de-Travers), et on lui sert comme dessert… un glacé soufflé à l’absinthe !
Le débat est relancé ; il sera long et en 2005 l’absinthe est réautorisée en Suisse ; la France lui emboîte le pas en 2011 (après une première réautorisation partielle en 1988… soit sous François Mitterrand !).
On sait aujourd’hui que la dimension hallucinogène de l’absinthe est due à l’huile essentielle de thuyone, qui peut être neurotoxique à fortes doses : sa teneur est désormais strictement contrôlée dans les absinthes autorisées à la vente.
Mais l’absinthe, ce n’est pas que la thuyone, loin que là.
L’absinthe vient d’une grande famille de plantes médicinales
L’absinthe vient d’une grande famille de plantes médicinales dont je vous ai parlé à plusieurs reprises depuis le Covid : le genre Artemisia.
L’Artemisia absinthium – c’est son nom officiel – est connue et employée comme herbe médicinale depuis l’antiquité : le célèbre papyrus Ebers l’évoque, Hippocrate puis Hildegarde de Bingen la recommandent également.
Elle n’a cependant, jusqu’à la création de la liqueur, pas été très populaire. Et pour cause : elle est très, très amère !
Mais cette amertume est déjà un signe de ses vertus : comme toute plante amère, elle est en effet tonique : « tonique du système digestif lorsqu’il est paresseux au niveau de l’estomac et des intestins, tonique hépatique quand le binôme foie-vésicule biliaire peine à digérer de copieux repas, tonique cérébral et d’ailleurs neuroprotecteur, tonique utérin puisqu’emménagogue, c’est-à-dire apte à déclencher les règles chez les femmes, enfin indiquée en cas d’anémie et de convalescence pour sa capacité à susciter l’appétit et un regain de vitalité. Autrefois, on l’utilisait en cas de fièvre, de nausées causées par le mal de mer et de fatigue », écrit la phytothérapeute Caroline Gayet dans ma revue Alternatif bien-Être[1].
Aujourd’hui, elle révèle avoir des effets anti-cancer assez puissants, notamment dans le cas du cancer du sein[2].
Mais, comme sa cousine désormais plus connue l’Artemisia annua, elle révèle sa large capacité anti-infectieuse :
- Antibactérienne
- Antiparasitaire
- Antifongique
- Antiulcéreuse…
… et elle serait même un rempart contre la dépression et le déclin cognitif[3] !
Pour ma part, j’ai toujours un paquet d’absinthe chez moi : j’en bois en tisane quand je sais que mon système digestif a du travail devant lui.
J’en mets par contre assez peu, car c’est vraiment très amer. Cette amertume ne me rebute pas : je bois déjà du maté et mon café, quand j’en bois, est noir, sans sucre ni lait.
Attention : elle est à proscrire absolument chez les femmes enceintes ou qui allaitent car elle a un effet abortif.
Si vous utilisez l’absinthe chez vous, je serais curieux de lire votre expérience et vos recommandations en commentaire de cette lettre !
Portez-vous bien,
Rodolphe Bacquet
[1] Gayet C, (avril 2021). Alternatif Bien-Être, N°175, p.21. L’absinthe, bien plus qu’une liqueur qui rend fou.
[2] Shafi G, Hasan TN, Syed NA, et al., (2012). Artemisia absinthium (AA): a novel potential complementary and alternative medicine for breast cancer. », Mol Biol Rep 39(7):7373-9. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22311047/
[3] Szopa A, Pajor J, Klin P, Rzepiela A, et al (2020). Artemisia absinthium L.-Importance in the History of Medicine, the Latest Advances in Phytochemistry and Therapeutical, Cosmetological and Culinary Uses. Plants (Basel) 19;9(9):1063. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32825178/
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En soumettant mon commentaire, je reconnais avoir connaissance du fait que Total Santé SA pourra l’utiliser à des fins commerciales et l’accepte expressément.
Intéressante histoire. Merci de toutes ces informations. Je ne connaissais pas du tout.
Bonne journée !
Bonjour,
Juste une anecdote: lorsque gamine de 7-9 ans, habitant en Franche Comté, je rongeais mes ongles, ma mère me frottait le bout des doigts avec une feuille d’absinthe. C’était une toute petite feuille mais d’une efficacité redoutable…et très vite j’ai perdue l’habitude de mettre mes doigts en bouche.
Bonjour,
J’ai planté un pied d’absinthe au jardin et j’en mets quelques feuilles dans mon verre de thé à la menthe. C’est une habitude de ma belle-mère lorsque nous habitions au Maroc, elle appelait ça Chiba. Je n’en mets pas dans la théière car personne n’aime ça ! C’est très amère effectivement. C’est une plante vivace.
Bonjour,
À votre liste des plantes de la famille des artemisias, je voudrais ajouter le génépi très connu et apprécié des habitants des Alpes dont je fais partie. Pour ma part je l’utilise en infusion pour combattre la fièvre et bien sûr en liqueur. Quant à l’absinthe, comme décongestionnant du foie. C’est une plante commune dans nos montagnes. Pour ma part, je fais maintenant pousser l’artemisia annua dans mon jardin, j’adore l’odeur et c’est une plante très délicate.
Merci pour vos articles !
Bonne journée à vous
Michèle
j’utilise de l’Artemisia Annua depuis plusieurs années de facon épisodique contre des infections fongiques que Big-Pharma m’a refilé avec tous les traitements antibio qu’on m’a force a prendre étant gamin ….avec de l’Argent Colloidal aussi et plein d’autres trucs genre Quercetin, Vit. C (lipo), épices de tous genres (Ginger, Curcuma, Cannelle, Piment)…. j’ai aussi testé a Prague le rituel de la boisson alcoolisée d’Absinthe (avec la cuillere & le sucre et tout le toutim) ca déchire grave et les mecs (et nana aussi) la-bas a l’époque carburaient a plein régime 🤣
En fait la thuyone n´est pas une huile essentielle mais une molécule qui la compose, classiquement car étymologiquement associée au Thuya (thuya occidentalis) qui en contient entre 30 et 60 %.
La thuyone ou thujone est du type monoterpénone, c´est à dire une cétone monoterpénique en C10.
La présence de de thuyone est d´ailleurs indiquée dans le nom de l´absinthe : Artemisia absinthium thujonifera qui en contient entre 35 et 45 %.
Une des particularités des cétones en général, et de la thuyone en particulier est l´inversion des effets : stimulant du SNC avec augmentation de l’activité physique et cérébrale à faible dose, apaisant ensuite, puis stupéfiant à doses plus fortes.
Tout dépend donc de la dose utilisée !
L´effet abortif est très important aussi.
L´effet cumulatif des petites doses répétées est également à noter.
Concernant l´Artemisia annua, elle co tient également des cétones, mais sous forme d´artemisia cétone (entre 20 et 35 %), moins neurotoxique que la thuyone mais à ne pas négliger.
Bonjour,
Vous savez certainement que dans le Maghreb on boit du thé à la menthe très chaud durant les mois d’été. En hiver, ce thé est remplacé par du thé à l’absinthe, si bien qu’on trouve de l’absinthe en vrac chez les marchands et épiciers qui vendent des produits du Maghreb.
Et je me permets de vous corriger sur ce le dessert servi à M. Mitterrand, il s’agissait d’un « soufflé glacé à l’absinthe » et non d’un glacé soufflé…
Cordialement à vous.
Bonjour! Merci pour cet article sur l’histoire et les vertus de l’absinthe. J’ai prepare, en Mai pendant la saison de l’absinthe, de l’elixir d’absinthe selon la recette de Hildegarde de Bingen, avec vin, miel et jus d’absinthe fraiche. Recommendation de Hildegarde de Bingen: boire un verre a liqueur tous les 2 jours jusqu’a l’automne. L’amertume est tempérée par le miel. Voila!
j’ai une plante d’absinthe dans mon jardin et quand je passe devant elle je prends une petite feuille que je mache. En effet c’est très amer mais j’aime l’amertume. cela me procure un moment de fraicheur.
Bonjour,
J’habite au Val de travers (Suisse ) et mon mari (comme tout le monde ici 😅) adore l’absinthe !
Et on a beau en déguster partout, c’est La Fée verte, là meilleur 😊
Ici les papys n’ont pas eu le Covid 😂
bonjour
j’ai de l’artemisia absinthium dans mon jardin et je m’en sert pour faire une infusion que je prend avant les repas a la place de la gentiane .plus facile a cultiver que la gentiane et effet identique.
ma grand mère (début xxémè) avait des plantes dans son jardin (comme toutes les copines) (plante abortive) elles étaient soigneusement cachées par d’autres car les gendarmes contrôlaient
Je cultive de l’artemisia annua depuis 1 an. Je fais des tisanes contre les coups de froid. Elle m’a aidé à lutter contre un début de covid qui a guéri en 3 jours. Je lui trouve un coup agréable et doux. Et elle sent super bon.
Facile à cultiver. J’ai donné plein de plants à des amis. Je la fais sécher et je la broie au mixer. Et la mets dans des sachets. Tout est prêt et à portée de main.
Un vrai bonheur cette plante 😊
j’achète de l’absinthe en Espagne, il y a beaucoup plus de choix et elle est bien moins chère ! j’en consomme peu mais
pure seulement quand je suis pas bien ou malade – je prends la pure la très forte, une autre a un super goût d’anis et se boit très facilement mais fait son effet !! par contre pour ma part, elle remplace largement les médicaments, si j’ai mal à la gorge, me sens fiévreuse ou autre, il est certain qu’un petit verre le soir avant de dormir de préférence va me guérir radical, en la brulant elle est si forte qu’elle brule tous les microbes !! c’est mon remède miracle et ça marche !
Fascinant, votre article sur l absinthe, mais ou peut on en trouver en forme de thé ou de boisson ? Je vis à Londres et j au souvent des problèmes digestives. Merci !